Les Kurdes : un peuple chahuté par l’histoire

Polismorphe
6 min readNov 6, 2019

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Dans cet article :
 — L’origine du peuple kurde
 — L’évolution du peuple kurde depuis le VIIIème siècle
 — Les perspectives actuelles d’un peuple chahuté par l’histoire

Le 26 octobre 2019, Ankara menace de « chasser les terroristes » de la frontière syro-turque. Par « terroristes », il entend les Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’union démocratique, le pendant syrien du PKK turc. Ces deux mouvements militent dans leurs pays respectifs pour l’indépendance du Kurdistan, ou du moins pour l’autonomie d’un Kurdistan au sein d’un Etat fédéral. Si le PKK est célèbre pour avoir combattu l’Etat turc entre les années 1970 et 2000, le YPG a récemment gagné un poids politique fort ces dernières années lors de sa lutte contre Daesh.

Depuis le début de la guerre civile en Syrie, les Kurdes du YPG ont réussi à former un embryon d’Etat indépendant dans la région. L’incursion récente du président Erdogan contre les Kurdes du nord de la Syrie peut s’expliquer par la peur d’une potentielle indépendance d’un Etat kurde en Syrie, qui encouragerait les Kurdes de Turquie à se soulever pour obtenir un statut similaire.

Histoire et origine du peuple kurde

À défaut de recensement officiel, on peut estimer que la population kurde est comprise entre 30 et 40 millions d’individus, plus ou moins la population de l’Arabie Saoudite ou de l’Afghanistan. Cela en fait le peuple apatride le plus important au monde.

Les Kurdes sont majoritairement établis sur un territoire montagneux d’environ 500 000 km², l’équivalent de la France. Cette région recouvre de manière continue quatre Etats différents : l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie.

Source: Institute For The Study of War, Le Monde, Syria, liveuamap.com

Les Kurdes se revendiquent comme les descendants de l’empire mède qui contrôlait cette région au VIIème siècle avant Jésus-Christ. Aujourd’hui, ils parlent encore une langue assez proche du perse, qui a su résister à l’arabe apporté par l’expansion musulmane au VIIIème siècle de notre ère.

Cette propagation de l’Islam poussera cependant une grande majorité de la population à se convertir. Aujourd’hui, 80% des Kurdes sont des musulmans sunnites, tandis que les 20% restants appartiennent à d’autres courants de l’Islam, à des minorités religieuses chrétiennes, juives ou encore yézidies (une religion monothéiste provenant de l’ancienne Perse).

Cette influence sur leurs pratiques religieuses est l’un des seuls héritages directs de la conquête musulmane. En effet, leur culture, leur langue ou encore leur système politique basé sur un modèle tribal furent conservés.

Quelques siècles plus tard, au XVIème siècle, la zone d’établissement des Kurdes se trouve à la jonction entre deux empires puissants de la région : l’empire ottoman et l’empire perse, en conflit récurrent. Après la bataille de Tchaldiran en 1514, dont les Ottomans sortent victorieux, la situation des Kurdes évolue. Le sultan Sélim 1er qui cherche à consolider son emprise sur la région va proposer un statut d’autonomie aux Kurdes. En échange, ils devront servir de protecteurs lors d’éventuels nouveaux conflits contre les perses. Cet accord fut accepté et les Kurdes conservèrent ce rôle de région tampon pendant plusieurs siècles.

> Les premiers conflits au XXème siècle

Une nouvelle étape de l’histoire des Kurdes est franchie à la fin du premier conflit mondial. L’empire ottoman fait partie des perdants. Les Kurdes, au nom du principe d’autodétermination des peuples édicté par l’Entente, profitent de l’occasion pour négocier leur indépendance. C’est chose faite lors du traité de Sèvres en 1920 où pour la première fois un Etat kurde indépendant existe.

Cependant, la vie de cet Etat est éphémère. Dès 1923, il disparaît lors du traité de Lausanne. Ce volte-face s’explique par deux raisons principales. La première est qu’entre temps une révolution menée par Mustafa Kemal en Turquie a redonné au pays une place importante sur la scène internationale. La seconde est la découverte dans le nord de l’actuel Irak, dont le territoire est sous domination officieuse des Britanniques, de grandes réserves d’hydrocarbures.

Source : L’Histoire

D’autres expériences de républiques kurdes vont se succéder mais sans succès sur la durée : De 1923 à 1929 en Azerbaïdjan, de 1929 à 1931 autour du Mont Ararat en Turquie et de 1945 à 1946 en Iran.

Aujourd’hui, une situation variable selon les pays

En Turquie

En Turquie, la population kurde est estimée à vingt millions de personnes, soit un quart de la population totale du pays. En 1978, est créé le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un parti politique d’influence marxiste-léniniste dirigé par Abdullah Öcalan.

Le PKK va être en conflit avec l’Etat turc de 1984 jusqu’à février 2000. Au cours de ce conflit, l’armée turque va intervenir en Irak à deux reprises, en 1992 et en 1995, pour détruire les bases arrières des Kurdes de Turquie.

La situation s’apaisent au début des années 2000 après la capture du chef de la milice du PKK. En 2002, le parti se renomme Congrès de la liberté et de la démocratie au Kurdistan et abandonne ses références d’extrême gauche. Le parti souhaite désormais défendre sa position par la voie démocratique, son chef ayant même appelé non plus à l’indépendance mais à un statut d’autonomie.

Lors de la guerre civile syrienne, les Kurdes syriens ayant combattu et vaincu Daesh au nord du pays proclament l’autonomie de leur territoire et constituent un embryon d’Etat. C’est à partir de ce moment, en 2015, que le président turc Recep Tayyip Erdogan lance une vaste répression dans le Kurdistan. En octobre 2019, il lance une incursion de large échelle au nord de la Syrie contre les combattants kurdes de la région.

En Iraq

La situation en Irak, où les 5 millions de Kurdes représentent un cinquième de la population, est assez différente. Les Kurdes y ont conservé un fonctionnement tribal, à l’inverse de l’idéologie laïque et socialiste des Kurdes turcs et syriens. En 1974, les Kurdes obtiennent même de l’Etat l’autonomie de leur territoire.

Cependant, en 1988, après le guerre Iran-Irak, le président Saddam Hussein reproche aux Kurdes d’avoir aidé les Iraniens et mène une répression sanglante à leur égard. Elle fera 100 à 180 000 morts dont le point culminant fut l’attaque à l’arme chimique du village Hallabja, le 16 mars 1988, qui fit près de 5 000 morts civils.

En 2005, l’Irak devient une république fédérale et les Kurdes obtiennent le statut d’autonomie avec un gouvernement et une armée. La discrimination envers les Kurdes s’affaiblit et ceux-ci atteignent les plus hautes fonctions de l’Etat. L’Irak élit un président kurde, Jalal Talabani en 2006, et ses successeurs, Fouad Massoum et Barham Salih sont également tous d’origine kurde.

Pourtant, le président du Gouvernement de la région autonome du Kurdistant, Massoud Barzani, souhaite une indépendance entière et organise un référendum en 2017. Celui-ci est largement remporté (92%) mais n’est pas reconnu par la scène internationale. Ce score permet toutefois à M. Barzani d’engager des discussions avec l’Etat irakien et d’envisager sur le long terme l’indépendance de la région.

Marceau Perret

Quelques sources :

- Le dessous des cartes, Un ou des kurdistan ?, présentée par Émilie Aubry, diffusé sur Arte, 3 mars 2019, 12 minutes.
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PICARD Elisabeth (dir.), La question kurde, Paris, Éditions Complexe, 1991, p.164.

Pour approfondir le sujet :

- BOUQUET Olivier (dir.), PETRIAT Philippe, VERMEN Pierre, Histoire du Moyen-Orient de l’empire ottoman à nos jours, au-delà de la question d’Orient, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016, p.400.
-ENGER, Michael, réal. Le rêve des Kurdes : Rojava, Allemagne, Arte TV, 2019, 43 min.

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