Holacracy, une règle du jeu pour jouer la partie différemment

Philippe Pinault
7 min readJul 10, 2016

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Les meilleures stratégies dans un ancien système peuvent être de mauvaises stratégies dans un nouveau

Parlons Sport, c’est d’actualité :)

Parce qu’une image vaut parfois mieux que de longs discours, laissez-moi vous présenter 2 équipes.

2 équipes, une seule règle comme différence.

L’équipe A

Dans l’équipe A, des joueurs qui jouent les yeux bandés. Au bord du terrain, des assistants pour les guider, et dans la tribune le coach. De sa position, le coach y voit globalement clair. Du haut de sa tribune, il communique ses instructions à ses assistants qui les relaie aux joueurs pour leur transmettre les mouvements à exécuter.

Depuis toujours, on joue la partie ainsi. Le coach est seul à connaitre le score, il est donc le plus légitime pour définir la stratégie. Les assistants la déclinent en objectifs, en trajectoire, en mouvements et les joueurs font leur meilleur effort pour les respecter. Depuis toujours, lorsqu’un joueur fait la passe, il ne sait jamais vraiment comment son coéquipier va la recevoir, ni ce que le ballon va devenir, …. Chaque joueur évite de sortir du périmètre dans lequel il évolue et ne s’y risque généralement pas. En fait, ce n’est pas vraiment important puisque le coach est là, puisque le coach sait et puisqu’il y a tous ces assistants pour aligner tout ce petit monde.

Dans l’équipe A, on recrute les joueurs pour leurs qualités techniques sur les postes à pourvoir, les assistants sur leur capacité à obtenir les meilleurs résultats pour satisfaire le projet du coach : gagner la partie (et renforcer sa légitimité à être le coach).

Aussi, dans cette équipe, la plupart des joueurs rêvent de devenir assistant et parmi les assistants, certains se verraient bien en coach. Ce qui donne lieu à un spectacle bizarre, étonnant de décisions et actions réalisés dans le seul but de réaliser ces objectifs individuels “non-dits”.

Dans ce système de jeu, le jeu est globalement assez lent et imprécis. Les qualités du coach, la vitesse et la qualité des informations transmises sur le terrain par les assistants, le nombre d’assistants et de joueurs, leur discipline sont autant de paramètres sur lesquels l’équipe A améliore son jeu.

L’équipe B

Dans l’équipe B, chaque joueur y voit parfaitement.

Dans cette équipe, chaque joueur sait pourquoi il est là. Faire vibrer les supporters, leur apporter une expérience de plaisir collectif intense le temps d’un match, … C’est sa raison d’être profonde, celle pour laquelle ces joueurs jouent. Pour y parvenir, il leur faut gagner le match, si possible en assurant un beau jeu.

Pour réaliser cette mission, chacun a un ou plusieurs rôles bien identifiés. Ces rôles interagissent ensemble avec un certain souci d’efficacité pour la réalisation de la mission pour lesquels ils sont entièrement dévolus. Chaque rôle exprime ainsi pleinement son potentiel tout en assurant les actions requises par les autres. Les joueurs ont été recrutés autant pour leur capacité à remplir leurs rôles que leur adéquation avec la culture et les valeurs de l’équipe. Ces valeurs sont d’ailleurs un élément important d’une règle qu’ils ont construit collectivement et qui constituent leur hygiène de vie.

Dans cette équipe, les assistants et le coach sont sur le terrain dans les rôles pour lesquels ils apportent le plus de valeur.

L’équipe B évolue avec vitesse, couvrant l’ensemble du terrain et s’adaptant très vite aux situations qu’elle rencontre… A côté, les joueurs de l’équipe A ressemblent aux mêmes petits personnages que ceux que l’on trouve sur un baby-foot.

Bien qu’ils jouent le même sport, presque tout oppose A et B. Et force est de constater que malgré leur petit effectif, B marque progressivement plus de points.

Une règle du jeu pour changer de paradigme

Vous avez reconnu deux types d’organisation. Bien sûr, l’équipe A est quelque peu caricaturée, mais qu’importe, une seule différence de règle du jeu amène ces deux équipes à évoluer dans deux paradigmes totalement différents.

Passer de A à B est certainement la chose la plus audacieuse et la plus difficile pour un ex-coach A car c’est accepter de basculer dans un système ou la plupart des choses qu’il connaît et qui lui sont familières fonctionnent moins bien ou ne fonctionnent plus. Passer de A à B, c’est prendre le risque d’aller dans une direction sur un chemin qui se dévoile au fur et à mesure, éclairé par chacun, et qui apporte à chaque étape son lot de nouvelles opportunités.

Passer de A à B, c’est accepter de jouer la partie avec une nouvelle règle et à partir de cette nouvelle règle, revisiter un grand nombre de pratiques….

Leadership et transparence : 2 moteurs pour passer d’un paradigme à l’autre

Holacracy est cette règle du jeu. Une règle suffisamment générique et synthétique pour s’appliquer à tout type d’organisation. En ce sens, elle se distingue de systèmes élaborés sous l’impulsion d’un leader visionnaire, qui a permis la transformation de son organisation mais s’applique plus ou moins facilement à d’autres.

Adopter Holacracy comme règle du jeu, c’est passer d’une hiérarchie du pouvoir et de personnes les unes par rapport aux autres à une hiérarchie de rôles, leaders dans les missions qu’ils ont à remplir. J’aime dans Holacracy le principe de transparence qui est à mon sens un levier extraordinaire de transformation dans les organisations.

Donnez à chacun la capacité d’y voir clair, sur ce qu’il fait, sur ce à quoi il participe et plus largement ce à quoi il contribue ; donnez à chacun la capacité d’impacter l’organisation au niveau où il se trouve pour rendre son action plus pertinente pour la réalisation du projet collectif : vous avez là 2 moteurs essentiels pour vous arracher de l’attraction du système en place depuis +100 ans.

La transparence est un pré-requis essentiel et le support à toutes les transformations.

Dans une organisation, la transparence, c’est d’abord mettre de la clarté sur l’organisation et sur l’ensemble des rôles qui y participent, à commencer par leur raison d’être. La transparence, c’est mettre de la clarté sur toutes les règles qui existent, formelles et informelles, c’est rendre l’implicite explicite et passer le tout à travers le filtre impitoyable de ce qui est requis pour la raison d’être de l’organisation. La transparence, c’est donner à chaque rôle la capacité de lire et de comprendre son environnement, en accédant notamment aux informations dont il a besoin, en “l’augmentant” via le digital, pour faciliter sa prise de décision et réduire le risque d’erreur. La transparence, c’est donner à chacun la capacité de ressentir les choses et de les exprimer parce qu’il n’existe de solution pour les choses qu’on ne peut décrire.

Mettre de la transparence, c’est prendre le risque de s’exposer à l’esprit critique et à l’intelligence du collectif. Si vous êtes dirigeant, la bonne nouvelle, c’est qu’un collectif orienté favorablement sur une raison d’être qui fait sens vous débarrassera rapidement du mille-feuille complexe que vous avez construit au fil des années au profit d’une organisation plus légère, plus agile et beaucoup plus performante.

Holacracy n’est qu’une règle du jeu et c’est déjà beaucoup !

Holacracy est une règle du jeu, et n’est qu’une règle du jeu (Holacracy est décrit dans une constitution d’une trentaine de pages). Holacracy s’intéresse à la raison d’être de l’organisation et les conditions requises pour l’atteindre à travers une organisation de rôles à remplir exécutant le “job à faire”.

J’aimerai conclure cette note par 2 observations.

  • L’une concerne les critiques envers Holacracy au motif que cela rendrait l’organisation moins humaine ou non-humaine.
  • L’autre concerne les interrogations sur la façon dont Holacracy gère toutes les questions d’ordre RH (recrutement, évaluation, paie, etc.) et d’une manière générale comment Holacracy impacte les pratiques

Holacracy n’a rien à voir avec l’Humain

Ici et là, on peut lire ou entendre que c’est un système inhumain ou qui ne considère pas l’humain. En tant que règle, Holacracy n’a effectivement rien à voir avec tout ce qui a trait à ce que nous sommes et aux interactions que nous pouvons avoir les uns avec les autres. Holacracy nous propose simplement un système qui permet de distinguer le “job à faire” (au travers un ensemble de rôles et de relation entre rôles, rien d’Humain donc dans ce concept), de ce que nous sommes avec notre intelligence, nos émotions, nos capacités à ressentir, nos capacités à nous déterminer et nous adapter en fonction de situations, … Cela veut-il dire que nous n’ayons pas besoin de ces qualités ? Bien sûr que non! Pour de nombreux rôles que je remplis, en particulier dans la relation à nos clients, au marché ou en écrivant cette note, j’interviens dans ces rôles avec toute ma personnalité. Le rôle en lui-même, lui, n’a rien à voir avec tout ça.

Quel intérêt alors de parler de rôle ? J’en vois 2 immédiat. a) en décrivant les rôles qui interviennent dans l’organisation, vous contribuez à rendre l’organisation plus explicite et plus claire pour les autres ; la description d’un rôle commence par la définition de sa raison d’être, c’est tout. b) en explicitant le rôle à remplir, il est d’autant plus facile d’identifier les ressources nécessaires pour le remplir ou les plus à même pour le remplir, évaluer ces ressources régulièrement et leur permettre de progresser pour atteindre le meilleur “fit” possible. La recherche du meilleur “Fit” par une évaluation continue des ressources (humaines ou non-humaines) dans chaque rôle de l’organisation est quelque chose qui m’apparaît essentiel dans la recherche de performance.

Holacracy ne vous dicte pas comment jouer la partie

Si je reprend l’image du début de cet article, Holacracy ne dit pas comment vous recruterez vos joueurs, comment vous les paierez, comment vous les remplacerez, … Holacracy ne vous dit pas non qui fera la passe, qui tirera le penalty, quelle stratégie de jeu (4–4–2, 4–2–3–1, …) vous choisirez…. Quelle bonne nouvelle ! Lorsque vous adopterez Holacracy, tout ce qui touche à ces questions ne changera pas avec ce que vous connaissez aujourd’hui, vous ne serez pas projeté ou catapulté dans un monde inconnu !

Par contre, en amenant plus de transparence et plus de leadership, Holacracy va rapidement être un révélateur de ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien, à tous les étages de l’organisation, et amener ces questions à l’ordre du jour. Alors, il est tout aussi certain que vos pratiques évolueront au fil du temps vers un état que Frédéric Laloux décrit derrière l’expression “Organisations Teals”. Un état qui amènera chacun de vos joueurs à donner le meilleur d’eux même tout en s’épanouissant dans votre équipe.

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