Lettre ouverte aux décideurs de l’ESR

Francois Massol
4 min readJan 5, 2020

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Texte écrit par Alice Lebreton Mansuy, biologiste à l’INRAE

M. et Mmes les visionnaires de l’enseignement supérieur et de la recherche publique, ne vous trompez pas d’ambition.

Les déclarations récentes du PDG du CNRS, reflétant l’esprit des trois groupes de travail ayant planché sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, réaffirment les objectifs de nos dirigeants pour la recherche publique et l’enseignement supérieur français. L’ambition affichée est celle d’une « grande nation de recherche scientifique », d’une recherche française qui domine la compétition internationale.

Passons sans nous attarder sur le constat d’un déclassement par rapport à des états comme la Chine, et d’une rivalité préoccupante à laquelle il s’agirait de faire face. Le nom de la Chine revient de façon incantatoire. Celui du spectre qui nous menace. D’autres comme Laurent Alexandre ont trop fait du Péril Jaune leur fond de commerce pour accorder le moindre crédit à ceux qui agitent la peur de la domination asiatique comme une raison de nous affranchir de décider par nous-même des directions à prendre.

Creusons, et considérons la façon dont nos dirigeants envisagent la place de la recherche dans un contexte mondialisé. On y trouvera l’idée que la mondialisation se vit nécessairement, y compris pour la recherche fondamentale, dans le sens qu’a adopté notre modèle économique dominant : une compétition internationale belliqueuse, sans bornes et sans morale.

Quelle ambition internationale nous propose-t-on ? Elle se résume à celle du classement, d’être premier, d’être vainqueur, d’écraser l’autre, en termes de performance, de chiffres, de résultats concrets. L’enjeu est tentant ! Les beaux classements flattent les bilans des décideurs, et jettent de la poudre aux yeux des électeurs.

Sur la base de cette obsession des classements internationaux, l’on glisse aisément d’une compétition entre nations à une compétition entre chercheurs et instituts d’une même nation.

Les penseurs de ces réformes peuvent-ils pour autant ne pas voir que s’ils continuent d’asséner l’injonction de « faire plus », ce sera au détriment du « faire mieux » — et depuis quelques années, ne serait-ce que « faire aussi bien » ? Ne savent-ils pas que ne survivront dans le système que les prédateurs, les usurpateurs, les fraudeurs, les bricoleurs, les habitués des petites combines ?

Par ailleurs, le PDG du CNRS comme les groupes de travail confondent avec aplomb recherche publique et R&D. Ignorent-ils donc le besoin primordial, civilisateur, de pousser la pensée et la connaissance à leurs limites ?

Ceci pourrait rester une bévue courante — impardonnable pour des dirigeants d’établissements publics de recherche, mais classique. Cependant, même en considérant recherche et R&D comme un continuum, l’on commettrait encore une erreur manifeste : celle de croire que c’est en prenant l’effort international de recherche et d’innovation pour un combat où l’ennemi est à abattre que l’on en tirera le meilleur parti.

Si l’on poursuit sur cette voie, l’on détruira la motivation, l’intégrité, et en dernier lieu la pensée.

Alors soyons ambitieux !

Dotons-nous d’une ambition commune : celle d’une recherche publique éthique, intransigeante et indépendante. Donnons-nous en les moyens.

Alice Lebreton Mansuy.

Biologiste, INRAE

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