L’article à lire pour comprendre la grève à francetv info

C’est une première. Après cinq ans d’existence, francetv info connaît, jeudi 7 avril, le premier mouvement de grève de son histoire. Conscients que les motifs de cette grogne peuvent paraître obscurs vus de l’extérieur, nous souhaitons avec cet article expliquer clairement à nos lecteurs pourquoi leur site n’est pas mis à jour aujourd’hui.

Quel est le projet de la direction ?

C’est une excellente question, merci de la poser. Pour l’instant, les informations qui nous parviennent sont au mieux parcellaires, au pire contradictoires. Le 1er septembre, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA lancent une nouvelle chaîne d’information en continu. La direction souhaite lui donner le nom de “France Info”, faire de francetvinfo.fr le site de cette nouvelle offre d’information et le renommer, donc, France Info. Le tout pour y proposer du décryptage, de la pédagogie et de l’interactivité.

Pourquoi la rédaction s’y oppose ?

La rédaction de francetv info s’inquiète pour l’avenir du site. Depuis 2011, nous vous proposons un site d’information généraliste, avec un live, des articles, des reportages, des enquêtes et des vidéos. Le décryptage, la pédagogie et l’interactivité sont déjà dans l’ADN de francetv info. Nous craignons de ne plus pouvoir vous offrir cela le 1er septembre, date du lancement de la future chaîne d’info publique. En effet, à cinq mois de l’échéance, la direction ne nous a pas donné suffisamment de garanties sur notre rôle au sein de ce nouveau dispositif.

Nous nous opposons également au choix du nom de “France Info”. Nous pensons que c’est un mauvais choix, d’abord parce qu’en changeant de nom et d’URL, nous risquons de perdre tout le travail de référencement effectué depuis 2011. Ensuite, parce que nous craignons une confusion avec la radio. Enfin, nous ne voyons pas comment cette marque, “vieillotte et surannée”, selon les mots de Michel Field, directeur de l’information à France Télé, peut prétendre développer de nouveaux usages et conquérir de nouveaux publics qui ne consultent pas les médias traditionnels.

Le nom, c’est la seule revendication ?

Non. Mais, selon nous, c’est un point primordial. La discussion sur le nom est notre porte d’entrée pour aborder la question de ce que deviendra francetv info. Avec qui travaillerons-nous ? Comment ? Avec quels moyens ? Et avec quel résultat sur ce que nous proposerons à nos lecteurs ?

Que faire demain si la radio annonce l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès mais que France 2 ou France 3 ont des informations contraires ? Comment s’y retrouver sur un site nommé France Info et qui mélange les podcasts de la radio, les magazines de France 3, les vidéos de la chaîne d’info et le journal de 20 heures de France 2 ? Quelle place restera-t-il pour nos propres articles ? Aujourd’hui, les rédactions de France 2, France 3 et francetv info peuvent traiter le même sujet, chacun avec un style et un ton qui leur sont propres. Lecteurs et spectateurs ont donc le choix.

Comment faire quand, sur le terrain, cinq journalistes tendront un micro “France Info” pour interroger un même interlocuteur, un premier pour le 12/13 de France 3, un autre pour France Info la radio, un autre pour France 24, un quatrième pour francetv info et un dernier pour un magazine de France 2 ? Une telle cacophonie est inimaginable. N’y aura-t-il bientôt plus qu’un journaliste pour un seul sujet, et donc un seul angle, un seul point de vue offert au public ?

Pourquoi cela concerne nos lecteurs ?

Le lecteur n’aura plus la possibilité de naviguer entre différentes offres d’informations. La singularité de chaque rédaction est donc menacée. Francetv info n’aura sans doute plus la même marge de manœuvre pour vous informer ni la même garantie d’indépendance.

Derrière le regroupement d’une radio, d’une chaîne d’info en continu et d’un site, c’est la pluralité de l’information du service public qui est menacée. Comment le public va-t-il s’y retrouver si, comme le rêve Michel Field, David Pujadas ouvre bientôt le journal en annonçant : “Bonjour, bienvenue dans le 20 heures de France Info”. L’objectif est-il de revenir à l’ORTF, la voix de la France ?

Mais en fait, vous êtes contre le changement ?

C’est tout le contraire : le changement est ancré dans l’identité de francetv info. Cette plateforme, créée en 2011, a permis à France Télévisions de s’imposer parmi les premières offres numériques d’information.

En cinq ans, francetv info a réussi à rassembler sous sa bannière l’ensemble de l’offre d’information de France Télévisions dans sa diversité (France 2, les éditions locales, régionales et nationales de France 3, les éditions ultramarines du réseau de La 1ere ou encore les magazines), tout en proposant un traitement innovant et singulier de l’actualité, dont le live généraliste et permanent est l’incarnation la plus iconique.

Notre rédaction voit d’un bon œil la création d’une chaîne de télévision d’information en continu publique dans un paysage déjà occupé par des médias détenus par des grands groupes privés. Nous souhaitons simplement qu’elle vienne s’ajouter à l’offre actuelle, sans écraser ou effacer les autres. Bref, une offre commune mais pas unique.

Nous voulons pouvoir garder notre ton, notre ligne éditoriale et la capacité à mettre nos journalistes au travail sur des projets innovants et fédérateurs, comme ils le font depuis cinq ans sous la bannière de francetv info. Nous craignons qu’il ne soit plus possible de le faire en adoptant le nom d’un média à la qualité reconnue, mais créé il y a 29 ans et dont l’ambition sur le numérique se résume aujourd’hui à faire la promotion d’un flux de radio filmée.

Pourquoi aujourd’hui ?

Bien sûr, la date n’a pas été choisie au hasard. Il y a même deux raisons. La première : un comité central d’entreprise (CCE) se tient, à partir de ce jour, à France Télévisions au sujet de la chaîne d’information. Cette étape est cruciale car elle marque la fin d’une période de consultation avec les syndicats et les représentants du personnel. C’est aussi le moment de la présentation au public du projet jusqu’alors discuté dans le secret des réunions. Dans cette période de consultation, nous avons rencontré mardi la direction de France Télévisions qui n’a pas apporté de réponses satisfaisantes à nos inquiétudes.

Deuxième raison : les syndicats de France Télévisions avaient déjà déposé un préavis de grève pour le jeudi 7 avril. Ils s’opposent au projet Info 2015 qui prévoit la fusion des rédactions nationales du groupe. Cela nous concerne également à francetv info. Pour nous, le projet Info 2015 et la chaîne d’information en continu sont liés : la fusion de nos rédactions constitue les prémices d’une offre unique d’information, commune à tout l’audiovisuel public. La chaîne d’information en continu en est l’aboutissement.