Comment les sciences cognitives, le user friendly et les designers ont détruit le monde

Rémi Garcia
We Are Outsiders
Published in
6 min readJan 28, 2020

Allez c’est reparti pour un tour et je sens que je vais encore me faire des ennemis. Mais que voulez-vous, je crois que j’aime la provocation.

Un peu de définition pour commencer

Les sciences cognitives sont un regroupement de disciplines scientifiques qui ont pour but d’explorer les mécanismes de notre psyché. Comment fonctionnent le cerveau (neurosciences), quels processus sont en oeuvres dans la prise de décisions (psychologie cognitive),… c’est ce genre de choses que l’on cherche à comprendre dans ce domaine.

La notion de user friendly quand à elle est une extension de l’ergonomie. L’objectif est de rendre une tâche la plus simple possible à exécuter. Si à la base on ne parlait que de mouvement corporel, la notion de user friendly prend aussi en compte les sciences cognitives. Comme ça c’est facile à faire en mouvement mais aussi en pensée.

Une belle ambition

Les sciences cognitives sont apparus d’abord dans les milieux académiques. Ce sont des sciences qui ont pour but de découvrir la vérité à propos de nous, humains. Comprendre qui nous sommes, comment nous fonctionnons d’abord pour savoir et ensuite nous rendre meilleurs. Car si la science existe c’est avant tout pour lutter contre l’obscurantisme et mieux appréhender notre monde.

Aucun chercheur sur Terre, ne cherche à mal quand il se lance dans des recherches. Au contraire. Les sciences doivent être neutre et tout ce qui compte c’est la quête de vérité.

Le problème vient après. Quand le reste du monde prend en main ces nouvelles connaissances et décide de leur donner un usage.

Je n’ai pour ma part pas de problème particulier avec les sciences cognitives et l’ergonomie, au contraire, j’aurais plutôt tendance à adorer ça. Comprendre comment fonctionne le monde m’intrigue au plus haut point et je suis vraiment friand de ces connaissances. Savoir comment fonctionne un neurone, qu’est-ce qui nous conduit à développer nos personnalités de telle ou telle façon, comment toutes ces choses sont arrivés. Ça fait plusieurs années que je creuse le sujet.

Le syndrome “Projet Manhattan”

Malheureusement toute nouvelle connaissance fini par avoir des bons ET des mauvais côtés.

À l’aube de la Seconde Guerre mondial, les récentes découvertes sur les atomes excitent les scientifiques, notamment une découverte fantastique : la fission nucléaire. Tout ça est un peu complexe mais c’est une histoire passionnante que je vous invite tous à explorer.

Toujours est-il que cette découverte est une vraie source d’espoir pour le monde. En effet la fission nucléaire à l’incroyable capacité de générer une source d’énergie inégalée jusque là. Pourtant ce sont les risques liés à la découverte qui vont prendre le pas. Les américains inquiets des usages que pourraient en faire les allemands fraîchement sous la direction de notre “bon ami” Adolf. Ils mettent donc en place un programme qui a pour objectif d’utiliser la fission nucléaire pour … faire une bombe. La plus puissante bombe qui soit comme en témoignera l’Histoire.

Ce petit exemple s’est aussi produit dans le petit monde des sciences cognitives, d’abord par la psychologie et les théories d’Edward Bernays sur la propagande qui deviendra ensuite le marketing (encore une fois je vous invite à voir comment ce neveu de Sigmund Freud, a rendu ultra populaire un des fléaux de ce siècle : la cigarette).

Au même moment, l’organisation scientifique du travail fait son apparition. Non pas pour améliorer les conditions de travail (ce quelle fera indirectement) mais bien dans l’optique de réduire les coûts et augmenter la productivité.

Ces deux disciplines vont s’améliorer avec le temps jusqu’à aujourd’hui à l’ère numérique.

La bombe atomique numérique

En tant que designer, il n’y a pas une journée où je ne pense pas à de l’ergonomie ou à de la psychologie cognitive. La tendance actuelle est de rendre tout ce avec quoi va interagir l’utilisateur plus simple, plus rapide.

Nous cherchons à résoudre le moindre petit problème que chaque être humain va pouvoir rencontrer sur son passage. Lui faciliter la vie. Pourtant même si l’intention est bonne, elle finit par faire plus de mal que de bien.

Enfin il suffit de regarder autour de soi. L’explosion du nombre de burn-outs, la manipulation à peine masquée des acteurs du marché pour que nous consommions toujours plus (vous savez les fameux dark patterns), l’infobésité, l’explosion de maladies comme le diabète lié aux effets du surpoids provoqués par l’inactivité et une alimentation bien trop riche. Tout ça est le fruit de notre travail, dopé à grand coup de neurosciences.

Alors c’est vrai que nous ne sommes pas complètement responsable de tout. C’est vrai aussi que les gens ont leur part de responsabilité dans leurs propres choix. Mais soyons aussi honnêtes avec nous même, on ne fait pas grand chose pour améliorer tout ça.

Nous ne sommes pas adaptés pour le confort

Je vais vous épargner le laïus sur l’impact de la croissance sur l’écologie, croissance que nous sommes les premiers à pousser en rendant tout plus simple et appétent. Je vais plutôt me concentrer sur l’aspect humain de la chose.

Si homo sapiens (nous) est “apparu” il y a à peu près 300 000 ans, il est le fruit d’une lente, très lente, évolution (le genre homo est daté d’un peu moins de 3 millions d’années). Le monde moderne quant à lui a tout au plus deux siècles dans les pattes (10 000 si on compte les débuts de l’agriculture). Ce qui n’est absolument rien à l’échelle biologique.

Si nous cherchons absolument le confort, tout ce que nous sommes biologiquement est adapté à un monde où ce confort n’existe pas. D’où nous viens notre addiction au sucre ? C’est un moyen évolutif de nous pousser à consommer des sources importantes d’énergie dans un monde qui n’en a pas tant que ça. Sauf que comme pour tout en excès (ce qui était impossible à la préhistoire), cela fini par être mauvais pour notre corps qui n’est pas capable de gérer cette quantité.

Le besoin d’augmenter notre confort est normal, c’est un critère de succès en terme de survie mais comme pour le sucre, nous ne sommes pas fait pour en avoir en excès.

C’est en partie ce qu’explique Pascal Picq, un de nos meilleurs paléo anthropologue, dans cette conférence que je vous invite à écouter.

Le devoir de conscience du designer

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce même si l’intention d’apporter des super produits et services à tout le monde est louable, il s’avère que nous faisons peut-être plus de mal que de bien.

À force de toujours tout optimiser, nous avons fini par créer un monde qui ne nous fait plus de mal que de bien. Certes c’est agréable pour tout le monde, on s’y sent bien mais à quel prix.

La majorité des produits que nous créons sont là pour résoudre des problèmes que nous avons nous même créés (et un peu le système quand même). Il suffit de voir l’explosion des applications de livraisons de bouffe juste parce que les gens n’ont plus le temps (/la flemme) de cuisiner parce qu’ils sont trop occupés par autre chose. Et c’est sans parler de tous les autres produits complètement addictifs (Facebook, Instagram, Netflix, Youtube,…) que nous faisons en sorte de renforcer encore et toujours. Et ça en utilisant toutes les techniques que nous apportent les sciences cognitives.

On va encore penser que ma pensée est un radicaliste mais je trouve qu’il est important que tous les designers, créateurs d’entreprises ou autres en prenne conscience. Nous avons notre part de responsabilité là dedans alors évitons de nous retrouver comme Robert Oppenheimer après l’explosion des bombes atomiques à nous dire : “Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes.”

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Rémi Garcia
We Are Outsiders

Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.