Le Design Thinking, l’UX Design et la méthode Centrée Utilisateur ne sont pas des trucs de designers

Est-ce que tu t’es déjà demandé d’où venait le Design Thinking et toutes les démarches qui en déclinent ? Et bien moi oui.

Rémi Garcia
We Are Outsiders
7 min readDec 23, 2019

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La naissance du design thinking

Le design thinking ce n’est pas vraiment un truc récent. En fait la première mouture a été théorisée dans les années 50–60 par John E. Arnold et L. Bruce Archer dans deux livres qu’ils ont respectivement écrits : Creative Engineering et Systematic method for designers.

Puis dans les années 80, une nouvelle vague s’approprie le concept, en essayant de comprendre comment les architectes formalisaient leur pensée. Les livres How designers Think ou Design Thinking étaient des condensés méthodologiques de l’approche des designers “en architecture”.

C’est au début des années 90 qu’apparait la version final du concept (et l’adjonction des notions de UX design et Design centré utilisateur) par ceux qui sont vus comme les papes du métier Don Norman, Jakob Nielsen, Tim Brown ou les frères Kelley.

Mais le point amusant dans cette histoire c’est que quasiment aucun d’eux n’est designer.

John Arnold, Bruce Archer, Don Norman, Jakob Nielsen sont tous des ingénieurs, des psychologues ou des ergonomes. Des métiers techniques, cadrés et scientifiques.

il faut comprendre que le design thinking était avant tout destiné à un public d’ingénieurs (et de non designers). Et ça dans le but de les aider à trouver des solutions moins … mécaniques.

En théorisant une approche, un méthode, bien cadrée, ils pensaient permettre à ce public de penser comme des designers.

De la standardisation à l’industrialisation

En formalisant une approche du design, n’importe qui pouvait prendre la place du designer (ou tout du moins faire comme si c’était le cas).

Le problème c’est que les humains sont friands d’ordre. Nous sommes des animaux d’habitudes et de routines alors sitôt qu’on peut normaliser notre approche nous le faisons.

Mais si quelqu’un aime encore plus la normalisation des processus, c’est le business. La méthode ça rassure, ça donne un cadre, ça permet de mesurer des résultats, d’éviter l’imprévu. Il suffit de suivre les étapes pour que tout se passe bien.

Il suffit de voir ce qu’est devenu l’agile en quelques années. Du manifeste agile, qui propose un état d’esprit de focalisation sur l’essentiel, de livraison régulière et de bien faire son boulot, nous voilà rendu avec des méthodes de delivery ordonnées, cadencées et bourrées de rituels pour la plupart inutiles.

C’est du travail à la chaîne moderne.

Ce que les développeurs ont vécus, nous sommes en train de le vivre aujourd’hui en tant que designers. Suivre la méthode est plus important que de fournir un bon design (si autant est-il possible de mesurer la qualité d’un design)

Et nous designers, friands de nouveautés et de modes en tout genre, nous plongeons dedans sans nous poser de question.

La culture et l’esprit du design

Je reste persuadé que les chiens ne font pas des chats. Si un ingénieur devient ingénieur c’est qu’il y a une raison et c’est pareil pour un designer. J’en ai fréquenté suffisamment des deux espèces pour voir qu’il y a de vrais différences. Bien sûr ce sont des généralités mais en moyenne c’est vrai.

Un ingénieur aura une tendance à l’ordre et à la sécurité dans son travail. Là où le designer va plus aller vers le bordel et la découverte. Est-ce que ça veut dire qu’il n’y a pas de designers qui aiment que tout soit carré, bien sûr que non. Certains ont même une tendance à être super maniaque. Mais par essence, le travail du designer est un travail créatif (au sens imaginatif du terme pas au sens résolution de problème qu’il veut dire aujourd’hui).

J’aime cette définition de wikipédia qui dit que le design “se situe à la croisée de l’art, de la technique et de la société”. Je pense que c’est le meilleur résumé qu’on puisse en faire.

Le sens même de design est un mélange entre concevoir, dessiner et à dessein.

Le design c’est transcrire sur un support une conception de l’esprit avec intention. Peu importe qu’il s’agisse d’une chaise, d’un bâtiment ou d’une application mobile.

Le designer est un artisan, pas un ingénieur. Il y a une notion artistique dans ce qu’il doit faire, c’est SA vision du résultat qu’il met en jeu, son interprétation. Son originalité.

Malheureusement aujourd’hui le design se situe surtout à la croisée de la technique et de la société, tout comme le ferait un ingénieur. Perdant petit à petit sa vision artistique. Transformant ainsi les designers en ingénieurs dont la mission est de trouver des solutions techniques standardisées à travers des méthodes balisées et faisant croire que n’importe qui peut devenir un designer sous peu de suivre cette méthode.

La force de l’imagination

Pourquoi la part d’art est si importante? Après tout, si on peut régler le problème avec juste de la technique pourquoi en a-t-on besoin ?

Tout simplement parce que c’est la dimension artistique, la force de l’imagination, qui va permettre au designer d’aller plus loin, d’explorer des choses nouvelles ou d’inclure de l’émotionnel au sein d’un design.

C’est en exploitant les biais personnels du designers, chose vue comme une faiblesse voire un sacrilège absolu, qu’on peut construire des choses uniques et qui changent la donne.

J’ai travaillé pendant longtemps dans les espaces numériques de travail pour les écoles primaires (des banques d’outils comme une messagerie, un blog, des contenus,… pour aider les enseignants à animer plus simplement leurs classes).

Les solutions classiques étaient des solutions techniques, des trucs d’ingénieurs. Souvent des déclinaisons infantiles des ENT du collège ou du lycée. Pas de fioritures, on se concentre sur l’essentiel. On essaye d’apporter du “fun” en collant des couleurs bariolées et une typo marrante et le tour est joué.

Bref un truc comme ça (et encore là c’était le haut du panier) :

Sauf qu’en tant que designer j’avais une culture différente.

J’ai une passion pour l’animation (de Disney à Miyazaki en passant par ce qui passe sur Nickelodeon ou Cartoon Network), pour les mangas, les comics et les univers fantastiques. J’avais une approche de scénariste, d’illustrateur. Une approche de gamin.

Alors quand il a fallut refondre (les très bonnes bases) de l’ENT proposé par mes associés, on n’a pas fait les choses à moitié :

Nous avons créé un monde autour, imaginé des héros, des aventures pour accompagner les élèves et rendre l’école vraiment fun.

En apportant une vraie part d’artistique dans le design, nous nous démarquions des autres au point que les élèves en sortie de primaire, demandait si il pourrait garder l’outil au collège.

Sur le plan ergonomique pur, la solution n’était pas parfaite. Mais sur le plan émotionnel, on avait tout bon. Et ça à fait une vraie différence.

Là où les concurrents proposaient juste des outils, le concept initial (une approche tournée vraiment vers l’enfant, un univers, des héros,…) nous a permis de créer des contenus et des activités pour engager les élèves. Nous avions les bases nécessaires pour le faire.

Redonner au designer sa capacité de création

Sans mes biais, ma culture propre, nous nous serions contentés de faire comme les autres. Et ce qui vaut pour un ENT vaut pour un e-commerce ou une solution métier. En standardisant tout, en appliquant une méthode, on perd ce champ des possibles et on se coupe de choses qui changent vraiment.

Nous vivons dans un monde professionnel qui ne jure que par l’organisation scientifique du travail. Il recherche la sécurité, le contrôle et la productivité.

C’est pour ça que toutes les méthodes qui lui permette de quantifier les résultats et d’éviter les dérives inhérentes à la création (inspiration, temps de mûrissement, prise de risque…) sont, pour lui les meilleurs options.

Transformer ses designers en ingénieurs, en scientifiques, lui permet de mieux maîtriser les risques. Mais il laisse au passage quelques plumes, en faisant perdre aux designers la grande force qui était la leur. Leur pouvoir de création et d’imagination apporté par leurs biais, leur culture et leur approche artistique.

Des outils parmi d’autres

Que faire alors du design thinking, de la démarche centrée utilisateur et du reste ? À mon sens, il faut les prendre pour ce qu’ils sont. Des outils utiles, parfois nécessaires, pour aider les designers dans leur quotidien.

Plutôt que de les mettre au centre du processus de design, il faut les garder en périphérie. Accessibles dès qu’on en a l’utilité. Que ce soit pour confirmer un concept, prioriser une fonctionnalité, créer un consensus au sein d’un groupe et même parfois explorer des alternatives en utilisant “l’intelligence collective”.

Les designers doivent connaître ces méthodes mais il ne faut pas qu’ils en soient de simples exécutants. Car c’est leur vision unique avec tout ses biais et ses défauts qui redonneront de la valeur au design.

PS. Nos concurrents des ENT ont presque tous fini par reprendre ce que nous faisions (sans jamais y arriver vraiment), alors peut-être que l’approche n’était pas si mauvaise malgré une non-utilisation de démarche et méthode.

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Rémi Garcia
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Designer d’expérience un peu rebelle, passionné d’éducation, touche-à-tout, illustrateur et auteur à ses heures perdues. Geek dans la vraie vie.