Quand votre mère vous dit qu’elle est grosse…

Romain Pillard
7 min readFeb 2, 2015

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Chère Maman,

J’avais sept ans lorsque j’ai découvert que tu étais grosse, moche et dégoûtante. Jusqu’à ce jour je t’avais crue belle — dans toutes les acceptations du terme. Les souvenirs remontent à mesure que je feuillette un album de famille et que je regarde des photos de toi, debout sur le pont d’un bateau. Avec ton maillot de bain blanc en bustier, tellement glamour, telle une star de cinéma. A chaque fois que j’en avais l’occasion, je sortais ce merveilleux maillot de bain dissimulé dans le tiroir du bas de ta commode et je m’imaginais en âge de le porter ; quand je serai grande, comme toi.

Mais tout a subitement changé, un soir. Nous nous étions apprêtées pour une fête et tu m’as dit, “ Regarde comme tu es mince, belle et charmante. Et regarde comme je suis grosse, moche et dégoûtante…”

Je n’ai pas compris de suite ce que tu voulais dire.

“Tu n’es pas grosse,“ ai-je fait, très sérieusement et très innocemment. Tu m’as alors répondu, “Si, ma chérie. J‘ai toujours été grosse, même lorsque j’étais enfant.”

Dans les jours qui ont suivi, j’ai eu quelques révélations douloureuses qui ont façonné toute ma vie depuis. J’ai appris que :

1. Tu es grosse parce que les mères ne mentent pas.
2. Etre gros c’est moche et dégoûtant.
3. Quand je serai grande je serai comme toi et donc je serai grosse, laide et dégoûtante tout pareil.

Des années plus tard, j’ai repensé à cette conversation ainsi qu’aux centaines qui ont suivi et qui m’ont condamnée à me sentir peu attractive, pas en confiance et sans valeur. Ainsi, en tant que première et principale influence de référence, tu m’as appris à croire la même chose de moi-même.

Avec chaque grimace face à ton reflet dans le miroir, avec chaque nouveau régime miracle qui allait changer ta vie, avec chaque cuillère coupable de “Oh, je ne devrais vraiment pas,” j’ai appris que les femmes doivent être minces pour être valables et dignes de ce nom. C’est ainsi et pas autrement pour les femmes, dont la plus grande contribution au monde est leur beauté physique.

Tout comme toi, j’ai passé toute ma vie à penser “Grasse”, “Grosse”. Quand la graisse est-elle devenue un sentiment de toute façon ? Et parce que je me croyais grosse, je me considérais comme mauvaise.

Mais maintenant que je suis plus âgée, et maman, je sais que te blâmer pour ce corps que je déteste est inutile et injuste. Je comprends maintenant que tu es également le produit d'une longue et riche lignée de femmes à qui l’on a appris à se détester.

Prends l'exemple que grand-mère a établi pour toi en tant que femme. Elle a beau représenter une sorte de victime de la mode “famine-chic”, elle continue son régime quotidien et mourra sans cesser d’en faire à l’âge de 79 ans. Elle porte du maquillage même pour sortir chercher son courrier, de peur que quelqu’un la voie au naturel.

Je me souviens sa “réponse pleine de compassion” lorsque tu lui as annoncé que papa t’avait quitté pour une autre femme. Son premier commentaire fut, '' Je ne comprends pas pourquoi il t’a quittée. Tu prends soin de toi, tu portes du rouge à lèvres. Bon, tu es en surpoids - mais pas tant que ça ''.

Avant que papa ne parte, il n’y a pas non plus été tendre au sujet de ton corps tourmenté.

‘‘Mon Dieu, Jan,’’ l’ai-je entendu te dire. ‘‘C’est pas si dur que ça. Energie ingurgitée contre énergie dépensée. Tu veux perdre du poids, alors mange moins.’’

Et cette même nuit, au souper, je t’ai vu tenter de mettre en application le régime préconisé par papa. Tu nous as servi des nouilles sautées (tu te souviens comme dans les années 80, en Australie, on considérait comme le summum gourmet de l’exotisme de simples légumes hachés arrosés de sauce de soja ?). Tout le monde en a pris une pleine assiette, tandis que toi tu en as simplement étalé un peu sur une petite tartine de pain beurrée.

Et alors que tu prenais place face à ton pathétique menu, des larmes silencieuses ont perlé sur tes joues. Je n’ai pas dit quoi que ce soit, pas même lorsque tes épaules on trahi quelques sanglots difficilement contenus. Personne ne t’a dit d’arrêter d’être ridicule et de te servir une assiette normale. Personne ne t’a expliqué que l’on t’aimait ainsi et que tu étais tout à fait à la hauteur. Tout ce que tu avais accompli, et tout ce qui définissait ta valeur humaine — professeur pour enfants en difficultés et maman de trois — ne faisait pas le poids face à ces quelques centimètres de tour de taille que tu ne parvenais pas à perdre.

Cela m’a brisé le cœur d’être le témoin de ton désespoir, et je suis tellement désolée de ne pas avoir volé à ton secours pour te défendre. Mais tu m’avais déjà inculqué le fait que c’était ta faute, si tu étais grosse. J’avais même entendu papa dire du processus de perte de poids qu’il était “simple” — à priori, ce n’était pas aussi simple que cela pour toi. Leçon à retenir : tu ne méritais pas de nourriture et certainement pas de compassion.

Mais je me trompais maman. Maintenant je comprends ce que c’est que de vivre au sein d’une société qui raconte aux femmes que c’est leur apparence qui prime sur tout le reste, une société qui définit des standards de beauté perpétuellement hors de portée. Et je connais aussi la douleur que cela cause de tout intérioriser de ces messages. Nous sommes devenues nos propres geôliers et nous nous infligeons nos propres châtiment pour ne pas parvenir à “faire le poids”. Personne n’est aussi cruel et dur avec nous-mêmes que nous pouvons et savons l’être.

Mais toute cette folie doit cesser, maman. S’arrêter pour toi, s’arrêter pour moi, s’arrêter tout court. Nous méritons mieux — mieux que de voir nos vies détruites par des pensées négatives s’agissant de nos corps et à souhaiter que les choses soient autrement.

Il ne s’agit plus uniquement de toi et de moi. Désormais il y a Violet et cela la concerne. Ta petite fille a trois ans et je ne veux pas que des complexes vis à vis de son corps s’enracinent en elle et étouffent sa faculté à être heureuse, sa confiance en elle et son potentiel. Je ne veux pas que Violet croie que son premier atout est sa beauté, que c’est uniquement ce critère qui définira sa valeur aux yeux du monde. Lorsque Violet nous observe pour apprendre ce que c’est que d’être une femme, nous devons être les meilleurs modèles possibles. Nous devons lui montrer, par nos actes, par nos paroles, qu’une femme est juste bien telle qu’elle est. Et si nous voulons que Violet nous croie, alors nous nous devons de croire en nous-mêmes.

A mesure que l’on vieillit, les êtres aimés disparaissent, accidents ou maladies. Leurs disparitions sont toujours tragiques et arrivent toujours beaucoup trop tôt. Il m’arrive parfois de penser à ce que ces amis, ces proches — et les gens qui les aiment — seraient prêts à donner pour simplement avoir un peu de temps en plus à passer dans un corps en bonne santé. La taille des jambes de ce corps, ou les traits de ce visage n’auraient alors que très peu d’importance. La vie serait toujours là, vibrionnante, en eux, et tout serait de fait juste parfait !

Ton corps aussi est parfait . Il t’offre la possibilité de désarmer une salle bondée par un simple sourire et d’infecter tout le monde avec tes éclats de rire. Ton corps t’offre les bras pour embrasser Violet et la serrer jusqu’à l’entendre glousser.

Rendons hommage et respectons nos corps pour ce qu’ils sont au-lieu de les mépriser pour ce à quoi ils ressemblent. Concentrons-nous sur l’idée d’avoir une vie active et saine, perdons du poids lorsque nous le devons, et remisons la haine de notre corps là où elle devrait se trouver : dans le passé . Lorsque j’ai regardé cette fameuse photo de toi dans ce beau maillot de bain blanc sur le pont de ce bateau et tant d’années plus tôt, mes jeunes yeux innocent ont vu la vérité, à savoir un amour, une beauté et un savoir inconditionnel. J’ai vu ma Maman.

Je t’aime, Kasey xx

Kasey Edwards est un auteur de Melbourne. Jetez un œil à ses livres sur son site ou suivez-la sur Twitter.

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