la Marque Jaune

Ronan de la Croix
5 min readDec 24, 2018

DE QUOI LE JAUNE EST-IL LA COULEUR ?

Un gilet jaune en anglais se dit high visibility jacket. Il se voit le jour grâce à sa couleur fluorescente, une couleur de synthèse qui renvoie plus de lumière, et la nuit grâce à ses bandes réfléchissantes. Peut-on refléter sans réfléchir ?

Après les bonnets rouges 🎅contre la fiscalité des actes officiels et sur le tabac sous Louis XIV, ceux de l’Ecotaxe sur le transport routier en 2013, le gilet jaune est un bon symbole pour un mouvement initié par des automobilistes qui veulent être vus. Pour être sauvés ?

Qui sont les Gilets Jaunes ?

Je n’en sais rien et qui prétendrait le savoir ? J’ai parlé à beaucoup de gilets jaunes pendant 2 manifestations à Paris : un auteur de romans de science-fiction libertaires, son éditeur, une graphiste en agence, un inspecteur de l’éducation nationale à la retraite, 5 baba-cools venus (en min-van) d’Alsace qui distribuaient des roses jaunes, quatre poètes révolutionnaires auteurs des Lettres Jaunes, une fonctionnaire municipale paysagiste, une bibliothécaire, deux jeunes bretons de droite qui venaient en découdre… Aucun drapeau, aucune banderole, aucun porte-parole, juste un sursaut, un frisson qui traverse un peuple et provoque une réaction épidermique, l’envie de marcher ensemble, de gueuler, d’exprimer sa frustration, de mettre en garde les dirigeants, voire le système, dont l’hubris semble faire le plus grand bonheur du plus petit nombre.

Le mouvement circulaire

Un ami me faisait remarquer que le point de ralliement initial des Gilets Jaunes était justement le rond-point. Péri-urbain et rural, cet aménagement public est bien étranger des Parisiens. Mais quand les Gilets Jaunes débarquent à Paris, c’est bien le plus grand rond-point de France qu’ils prennent confusément d’assaut. Ce n’est pas à la Bastille, qui est déjà tombée, mais c’est sous l’arc éminemment républicain et napoléonien qu’ils s’abritent, c’est la Marianne, Madone hurlante qu’ils lacèrent, c’est la flamme du soldat inconnu qu’ils protègent, c’est la Marseillaise qu’ils entonnent.

Quand ils débarquent à Paris, c’est bien le plus grand rond-point de France qu’ils prennent confusément d’assaut.

L’ennui avec un rond-point, c’est qu’on y reste parfois parfois coincé à tourner en rond, comme Raymond Devos, à faire une révolution sur soi, sans sortie, sans espoir. En l’occurrence, à la fin 2018 et avec déjà 10 milliards d’euros déplacés dans le budget de l’Etat, il prouvent que tourner autour du pot peut être un moyen efficace de pression.

Entre “l’essence” et le “bon sens”, joies du rond-point par R. Devos

Revendiquer, c’est bon pour les syndicats

Mais qu’est-ce que c’est que ce mouvement spontané ? Sans tête ni queue, cette force brute de frustration, de non-dits ? Enfants sans parole, d’une muette colère animés. Sans pancartes ni slogans, les mots cèdent vite place aux explosions. Parfois s’échappent de mégaphones : « Revalorisation des salaires » ou encore « Macron démission ».

La panique des partis institutionnels face aux Gilets Jaunes est palpable. Pas de porte-parole, pas de message clair donc pas de négociation. Le gilet jaune signale l’accident démocratique, reflète l’exaspération, prévient le danger. Qui donc a écrit cette liste de revendications ? Car, si elle n’est pas nécessairement représentative (on trouve des listes de 45, de 13, de 5 revendications…), elle est intéressante à plusieurs égards :

  • Elle demande de l’équité, de la progressivité, pas d’égalitarisme ni d’anticapitalisme. « Les gros payent gros et les petits petit » ; « Traitement humain des demandeurs d’asile » et « reconduction des déboutés aux frontières » ; « Taxation du fuel maritime et kérozène » ; « Fin du travail détaché » ; « multiplication des tranches d’impôts »…
  • Elle sonne l’alerte de la mort rurale : « favoriser les petits commerces vs zones commerciales » ; « réduire les taxes pour le carburant des voitures » ; « protéger l’industrie française » ; « arrêter l’hémorragie des services publics ruraux (poste, transports, écoles, maternité…) »…
  • Elle témoigne du ressenti d’un manque de représentativité d’une part et de moyens d’expression d’autre part « Mandat de 7 ans » ou « Macron Démission » en sont des avatars.

D’où émanent ces revendications ? Droite ? Gauche ? Saurez-vous jouer au jeu des 7 différences avec les programmes politiques ? Selon moi, elles ressemblent bien moins à des propositions de techniciens des lois qu’à l’expression du bon sens près de chez vous, bon sens qu’on a trop vite fait de discréditer en le renommant “populisme”, et qui, si elles ne sont pas entendues, seront vite récupérées par les populistes de tout crin.

L’état d’urgence social

On a vu dans un autre article que les violences sociales se nourrissent de violences réelles ou symboliques subies ou ressenties par une partie de la population. La juste réponse à ce sursaut de dignité serait une réponse symbolique forte qui envoie un signal d’apaisement et de prédominance de de la chose publique. Or les concessions accordées à la suite des mobilisations des Gilets Jaunes ressemblent plus à des diversions malhabiles, à des aumônes sans visions stratégiques, à des pansements sur une jambe de bois, qu’à l’adresse sincère des trois besoins vus ci-dessus : 1. équité 2. survie rurale 3. expression.

Sur le 1. rien n’est fait pour l’équité et les mesures prises seront à la charge des classes moyennes ou de leurs enfants. La demande de contribution équitable de toutes les tranches de la société n’est pas entendue, c’est le serpent qui se mord la queue. 2. La question de la ruralité n’a même pas été comprise ni pensée 3. Quant à l’expression, il se forme un intéressant machin, dirigé par Chantal Jouanno : le Grand Débat, organisé par la Commission Nationale du Débat Public, dont la lettre d’intention promet un débat “apolitique” où le Gouvernement est en posture d’“écoute active”. On aimerait y croire, mais pourquoi une bien-nommée “Commission” aurait plus de succès qu’un #MAVOIX, NuitDebout, #DataGueule, Place Publique, pourquoi pas EnMarche, et tant d’autres projets aux rêves citoyens ?

Lettre de mission du Premier Ministre à Chantal Jouanno

Qui nous donnera des raisons d’espérer ?

NB : Ce billet a été écrit avant que le Référendum d’Initiative Citoyenne, forme dévoyée et hautement instrumentalisable de la démocratie locale, ne vienne sur la table, sans doute soufflé par quelqu’extrémiste hâté de flatter les bas instincts populaires afin de rétablir la peine de mort ou autre joyeuseté.

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Ronan de la Croix

General manager at qqf.fr / Founder of Musei.on / Artistic director at Château Jouvente. History geek, media explorer, wine amateur, royalist. Opinions are mine