Au cœur de la mémoire, psychologie cognitive en UX design — Part 2

Mémoire à long terme et à court terme

Rudy
9 min readNov 11, 2019

On a tous un jour entendu parler de la mémoire à long terme et à court terme. Étudions-les en détail et voyons si cela peut nous être utile en théorie lors de la création de notre produit…

Vous serez d’accord avec moi pour dire qu’une interface mal conçue pourrait susciter ces impressions :

  • Trop de choix, trop de pensées
  • Densité de l’information trop importante
  • manque de structure et de cohérence dans le design
  • Trop de couleurs, vives et saturées
  • Contrastes pas assez élevés
  • 😧

On peut résoudre tous ses points listés en organisant mieux l’interface, en redéfinissant correctement l’architecture de l’information ou encore en améliorant la structure graphique. (On verra en détail comment dans un article suivant). Mais si nous retraçons l’origine du problème, on remarquera que tout part toujours du même point : notre cerveau.

Comprendre comment fonctionne notre cerveau et plus particulièrement le rôle de notre mémoire, peut nous aider à prendre les bonnes décisions lors de la conception de votre produit. Cela vous permettra de créer des composants fluides et épurés qui épargneront de la ressource mentale à vos utilisateurs.

Mémoire sensorielle

Au commencement, il y a la mémoire sensorielle, c’est celle qui entre le plus rapidement en jeu. C’est l’impact émotionnel direct que va dégager votre site.

Vous n’allez pas vraiment réagir à la structure du site, mais plutôt à ce que dégage la marque en lien avec votre vécu. On l’a vu dans le chapitre précédent, c’est la première impression, ce que vous voyez, entendez ou ressentez.

Ensuite, dans le monde scientifique l’on distingue deux types de mémoires : Celles à long et à court terme. Ces deux types de mémoire n’existent pas “vraiment” en tant que tels, mais il faut plutôt les voir comme des modèles heuristiques qui nous aident à mieux schématiser le fonctionnement de notre cerveau.

Mémoire à long terme

La mémoire à long terme est spécialisée dans le passé. Vous pouvez récupérer des informations stockées vieilles de plusieurs années. Et le point important c’est que cette mémoire n’a pas de limite !

Cependant, la plupart des informations sont oubliées et ne rentrent jamais dans la mémoire à long terme. Et c’est peut-être une bonne chose, imaginez que vous gardiez en mémoire tout ce que vous avez vu au long de la journée, plus rien n’aurait d’importance. En définitive, vous gardez le plus mémorable de votre journée en mémoire.

It’s a Small World (La Maison des Poupées)

Comment ça marche ?

Première difficulté : enregistrer l’information. Pour qu’une information soit enregistrée dans la mémoire à long terme cela prend beaucoup de temps et d’effort. Pour ce faire, l’information doit sans cesse être répétée pour réactiver le même schéma de neurones que celui qui a été stimulé lors de la création de l’information dans la mémoire.

Les applications pour apprendre les langues en lignes sont un très bon exemple. Sous forme de petits jeux répétés, vous apprenez des mots facilement.

Deuxième difficulté : récupérer l’information. Parfois, une réponse ne vient pas spontanément. Vous en avez peut-être déjà fait l’expérience un jour en ayant un mot sur le bout de la langue. Sans oublier que les informations dans la mémoire à long terme qui nous reviennent sont bien souvent déformées avec le temps.

En d’autres termes, la mémoire à long terme c’est le saint Graal du design. Imaginez que vous pouvez laisser une empreinte immuable (positive) de votre produit dans la mémoire des utilisateurs. La question : est-ce seulement possible, si oui, comment ?

Même avec la moitié des lettres en moins vous l’aurez reconnu

À l’heure actuelle, selon les modèles scientifiques établis, on peut retrouver deux grandes catégories dans la mémoire à long terme :

La Mémoire implicite

C’est la connaissance procédurale le “comment”. Elle fait partie de la catégorie de la mémoire dite implicite, c’est celle qu’on apprend par la pratique et qui arrive quand une tâche est souvent répétée. (faire du vélo, passer les vitesses d’une voiture quand on roule…) Elle est devenue tellement familière qu’on ne fait même plus attention à comment fonctionne la tâche, cela devient naturel sans qu’on puisse l’expliquer. Pour en arriver là, l’intégration d’informations dans la mémoire procédurale nécessite une très longue phase d’apprentissage répétée.

Par exemple, vous savez maintenant par automatisme que pour fermer une fenêtre c’est la croix en haut à droite. Vous le savez parce que cette croix est toujours posée au même endroit partout dans toutes les applications et vous l’utilisez tout le temps.

C’est pour cela que votre design doit garder une cohérence fonctionnelle et une unité graphique. Si vos boutons d’action primaires sont bleus, alors vous devez garder la même logique pour tous vos autres boutons primaires.

Le design system de Apple (Human Interface Guidelines)

La Mémoire explicite

La deuxième grande catégorie de la mémoire à long terme est la mémoire explicite. On peut diviser cette catégorie en deux : la mémoire épisodique et sémantique.

Pour simplifier, cette catégorie contrairement à l’autre fait appel à des souvenirs conscients qui ont été appris et/ou vécus.

Vous l’aurez compris, contenir de l’information dans la mémoire à long terme demande un grand travail au préalable. Il faut créer des habitudes pour mieux retenir l’information. Et avant d’être enregistrée, l’information passe d’abord par la mémoire de travail :

Mémoire à court terme & mémoire de travail

Les deux catégories de mémoires temporaires que tout le monde connaît sont la Mémoire à court terme et la Mémoire de travail, qui permettent de retenir des informations très rapidement, malheureusement (ou pas) elles sont limitées dans le temps. On a tendance à confondre les deux.

  • La mémoire à court terme est la capacité à retenir des données pendant un temps très limité (moins d’une minute), on peut retenir plus longtemps de l’informations à condition que celles-ci soient répétées.
  • La mémoire de travail retient l’information aussi rapidement que la mémoire à court terme mais contrairement à elle, les données retenues sont manipulées et peuvent accéder à la mémoire à long terme.

La loi de Miller

Comment réduire la quantité d’informations que l’utilisateur doit garder à l’esprit

Vous avez peut être entendu parler de la loi de George A. Miller et du fameux chiffre 7 ±2, qui dit que l’on ne peut pas retenir plus de 7 choses en même temps. En pratique, on s’accorde pour dire que ça serait plutôt entre 3 et 5, mais vous avez compris, l’idée reste la même. Elle est très utile dans la création d’interfaces. Concrètement, on peut faire en sorte de n’afficher qu’un nombre restreints d’éléments pour réduire la charge cognitive de l’utilisateur.

Une petite liste…

Prenons l’exemple d’une liste de mots comme métaphore. Si vous essayez comme ça de retenir tous les mots de la liste ça risque d’être compliqué. De ce fait, on peut utiliser plusieurs techniques pour nous aider…

1. Découper

Si vous segmentez votre liste en plusieurs catégories, la récupération se fait avec peu d’efforts, bien souvent les choses qui font sens sont plus faciles à retenir. C’est pour cela qu’utiliser des designs patterns est une bonne chose. Ils ont été acquis et peuvent être maintenant interprétés rapidement au sein de votre interface.

Les éléments chimiques, ordonnés par numéro atomique croissant et organisés en fonction de leur configuration électronique (source Wikipédia)

“Meaningful structure can organize apparent chaos and arbitrariness”.

En pratique pour naviguer facilement on séparera les éléments dans des catégories distinctes en évitant d’avoir plus de 9 catégories. Idéalement, il ne faudrait jamais dépasser 5 catégories.

Plusieurs exemples de barres de navigation sur mobile

2. Associer

Comme on l’a vu plus haut, nous sommes plus à l’aise lorsque nous reconnaissons des choses qui nous sont familières. Créer des associations entre différents éléments permet de créer des repères pour l’utilisateur.

Sur les sites de presses l’abonnement au magazine est souvent en haut à droite et sur fond jaune

Mémoire de travail

Contrairement à la mémoire à court terme on l’a dit, la mémoire de travail est une mémoire dite “active” axée sur les tâches. On peut l’associer à un bloc note dans lequel l’esprit dépose des informations pertinentes ou non sur la tâche en cours. Mais le bloc note à une place limitée. Imaginez ça comme une mémoire tampon qui la sépare de la mémoire à long terme et ne va garder que l’essentiel qui aura du sens pour l’utilisateur.

L’information s’échappe si elle n’est pas répétée.

Gardons la métaphore du bloc-note : si vous naviguez sur un site pendant une tache trop longue, vous allez oublier les étapes que vous avez précédemment effectuées. C’est parce qu’il n’y a plus de place sur le bloc note et que vous êtes obligé de décharger de votre mémoire.

Sur un site e-commerce, au moment du paiement il vaut mieux découper les instructions

À noter que les tâches qui remplissent « le bloc note » sont perçues comme difficiles. Pour éviter cela, on peut faire appel à la mémoire externe qui va nous aider à décharger proprement la mémoire de travail.

La mémoire de travail, qui rend possibles tous les apprentissages à une capacité limitée ; l’apprentissage peut être entravé si les tâches demandées la sollicitent de manière très importante

La Mémoire externe

Si je vous demande de multiplier 33 par 294 vous allez surement avoir besoin d’un stylo et d’une feuille de papier pour bien poser les bases. Car faire cela de tête ça n’est pas évident. Ça peut être possible, mais la moindre petite distraction pourra vous faire perdre votre fil. En utilisant un stylo vous déchargez cette difficulté.

La mémoire externe aide à soulager la mémoire de travail

Le fait de soulager la mémoire externe rend moins facile l’apprentissage via la mémoire à long terme. Ça n’est pas très grave, cela peut être utile dans certains cas.

S’abonner à un rappel d’un prochain direct sur youtube

Par exemple, pouvoir comparer des produits sur un site est très compliqué, il faut se souvenir de toutes les caractéristiques entre chaque produit que vous visitez. La mise en place d’un comparateur peut aider à décharger la mémoire de travail.

La comparaison de téléphones sur kimovil

Mettre des objets dans un panier, ouvrir un nouvel onglet, utiliser un header sticky en sont d’autres exemples.

Rétention de l’information

On l’a vu, la répétition est le moyen le plus efficace pour passer la barrière de la mémoire de travail vers la mémoire à long terme. Si on résume, pour mieux retenir une information on pourra user de plusieurs techniques :

  • Découper l’information en plus petit paquet,
  • Faire en sorte que l’utilisateur puisse associer de nouvelles données en relation à quelque chose de déjà connu ou conservé en mémoire à long terme, les chances de mémorisation augmentent,
  • Renforcer l’architecture de l’information du produit,
  • Garder une cohérence graphique et fonctionnelle,
  • Ne pas présenter trop de choix à l’utilisateur.

Récupération de l’information

Reconnaissance & Rappel

  • Est-ce que la tour Eiffel se trouve à Paris ? On utilise la reconnaissance
  • En quelle année a été construite la Tour Eiffel ? On utilise le rappel

C’est bien connu, nous sommes beaucoup plus doués pour reconnaître des objets, des formes qui existent déjà dans le monde plutôt que de nous rappeler quelque chose qui n’existe pas matériellement.
Utiliser la reconnaissance plutôt que le rappel sur un site fera gagner de la ressource au visiteur.

Par exemple, utiliser à certains moments des icônes reconnaissables pour aiguiller rapidement l’utilisateur.

La cloche avec la petite pastille pour les notifications est un bon repère

Une suggestion de recherche est une bonne chose car elle transforme une tâche de rappel en reconnaissance.

la recherche sur Majelan, Medium et france.tv

De la même manière, pour la connexion / inscription sur un site : ce sont des tâches de rappel. C’est pourquoi bien souvent la mise en place de la connexion via Google ou Facebook est une bonne idée pour éviter de remplir les champs de formulaire.

La possibilité d’utiliser Facebook ou Google pour la connexion (nrj.fr)

Conclusion

Quand on conçoit des interfaces on ne doit pas négliger le rôle de la mémoire. Comprendre son fonctionnement c’est mettre tous les atouts de votre côté pour pouvoir créer un produit fluide et optimisé.

Dans la prochaine partie, j’aimerai revenir plus en détail sur la charge cognitive et apporter des solutions concrètes sur la simplification d’une interface…

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