Pokémon X/Y, expédition de jouvence

samyz
12 min readFeb 7, 2015

Attrappez-les tous, Pokémon ! La catchphrase emblématique du dessin animé adaptée de la série est encore aujourd’hui la meilleure définition du défi que s’impose un joueur de Pokémon. Une mission acceptée, plébiscitée et relevée depuis maintenant 17 ans, par des dizaines de millions de joueurs qui ont grandi avec les petites bêtes prodiges de Nintendo. Avec l’arrivée de la série sur 3DS, le duo Pokémon X et Pokémon Y engage définitivement la 6ème génération de monstres de poche dans la voie du renouveau, avec deux fers de lance : le passage en full 3D et une imbrication totale des fonctions online. Comment Game Freak a pu répondre aux attentes des fans, préserver les mécaniques du succès tout en revigorant la formule pour la rendre encore plus attractive et retrouver la fraîcheur des premiers jours ? Réponses avec le fascinant Junichi Masuda, producteur de la série au background technique et musical, qui révèle tout sur le blockbuster 2013 du jeu portable.

Junichi Masuda

Junichi Masuda — Crédit photo : Raphaël Farfart

Membre de Game Freak depuis les premiers pas du développeur nippon en 1989, Masuda-San a été impliqué dans les premiers jeux de la firme en tant que compositeur et programmeur, avant de travailler sur l’avènement de la série Pokémon aux postes de musicien (Pokémon Rouge / Bleu en 1996), game designer (Pokémon Or / Argent en 1999), directeur (Pokémon Saphire / Rubis en 2002, Pokémon Perle / Diamant en 2006, Pokémon noir / Blanc en 2010), et producteur depuis 2009. Masuda-San a également produit des titre originaux tels Drill Dozer en 2005 et Harmoknight en 2012 disponible sur le Nintendo Shop 3DS.

Game Freak, Paris et la méthode Masuda

Bonjour Masuda-San. J’ai un peu suivi votre périple parisien sur twitter, merci pour les photos et les vines ! Comment trouvez-vous Paris depuis votre dernière visite, une chose vous a interpellé ?

Un jour en sortant de la station de métro Passy, il pleuvait énormément, et c’est alors que la tour Eiffel s’est mise à s’illuminer et à se refléter sur la façade du trocadéro. J’ai trouvé ça splendide, magnifique, ça m’a beaucoup ému. Je pense que c’est mon souvenir préféré de Paris.

Vous faites aujourd’hui partie du conseil d’administration de Game Freak et avez-connu une ascension assez remarquable. Comment vous en êtes venu à travailler sur cette série au départ ?

Au lycée je jouais du trombone, a ce moment là j’ai rencontré M. Satoshi Tajiri qui m’a dit proposé de faire la musique de son jeu (Pokémon rouge et bleu) et j’avais accepté. Comme je savais également programmer, j’ai donné un coup de main en programmation. Puis comme j’étais bon en réseau, j’ai aidé à la mise en réseau du programme. A force d’être impliqué dans les aspects techniques, je me rapprochais du développement du jeu, et commencé à donner des idées par ci par là, ce qui m’a fait passer game designer, et de fil en aiguille, directeur du jeu. C’est en réalité une évolution qui n’a pas été fulgurante mais qui s’est faite logiquement et calmement au fur et à mesure des années.

La série Pokemon a évolué au fil des années. De part l’accueil des joueurs, X et Y semblent être les meilleurs de la franchise car les plus aboutis. Quelles sont les points-clés de ces nouveaux épisodes et qu’est ce qui vous a motivé à incorporer ces fonctions ?

La nouveauté dont je suis le plus fier dans Pokémon X et Y est le système de mise en réseau en ligne et local via Spotpass. Quand vous êtes en train de jouer à Pokémon et qu’autour de vous, d’autres personnes y jouent aussi, ceux -ci vont apparaitre également dans le jeu. Il suffit alors de les toucher à l’écran pour enclencher une interaction de manière très simple, je pense que cela permet d’ouvrir le jeu à d’autres horizons que sa simple console. Cela change la manière de jouer pour les gens, et je suis fier qu’on aie réussi à la faire de manière simple et fluide. Le fait de pouvoir partager avec les autres dans une expérience totalement intégrée enrichit vraiment l’expérience de jeu.

“Partager son aventure Pokémon avec d’autres joueurs en ligne dans une expérience totalement intégrée enrichit vraiment l’expérience de jeu”

Vous avez la particularité de pouvoir être tout à la fois compositeur, programmeur, directeur ou producteur. Comment cela affecte-t-il votre point de vue & vos interactions avec le reste de l’équipe sur une base journalière ? Quels sont les avantages de votre situation ?

Pour vraiment différencier les choses, quand je travaille avec mes équipes, je leur annonce sous quelle casquette je m’adresse à eux : en tant que directeur, en tant que compositeur etc. Cela permet aussi et surtout de se focaliser sur des points précis et d’avoir des exigences plus poussées plutôt que d’être réduit à jouer le rôle d’un simple inspecteur des travaux finis. Évidemment, en tant que directeur, je surveille la qualité globale de l’œuvre, donc c’est un rôle de supervision, mais en tant que compositeur, je peux par exemple identifier tel ou tel passage nécessitant une composition dramatique, dire qu’à ce moment il faut une partition sonore puissante, et effectivement exprimer ma volonté d’une manière plus précise que si j’étais un simple directeur. Dans un jeu vidéo, finalement, le plus important, c’est le programme, et là aussi je peux exprimer clairement ce que j’attends de mes équipes, quitte à remettre parfois la main à la patte. Mais c’est très dur pour eux de m’avoir sur le dos (rires).

Inspirations, Jeu online et passage à la 3D

Lorsque vous avez commencé à travailler sur les jeux Pokémon, quelles ont été vos sources d’inspiration ? Sont-elles les mêmes pour les jeux X et Y ?

Je suis quelqu’un de très minutieux, attaché à tous les détails, je peux être inspiré par tout et n’importe quoi. Or, c’est ce qui déclenche chez moi un processus de questionnement, conduisant à l’inspiration. Par exemple, dans la chambre d’hôtel où nous nous trouvons en ce moment, je peux me dire : pourquoi est-ce qu’ils ont placé un miroir ici, pourquoi y a-t-il une boule au pied de la table ? C’est la même chose quand je suis venu en France, j’ai été questionné par une multitude d’éléments, par exemple pourquoi le ciel n’a pas la même couleur chez vous ? Du coup, je vais rechercher à chaque fois une réponse à toutes ces questions que je me pose vis à vis de mon environnement. C’est en absorbant le tout que cela me permet d’avoir des idées pour la suite. Évidemment, à l’époque du premier Pokémon, j’étais jeune et n’avais pas trop les moyens de voyager, aujourd’hui, je vais à Londres, Seattle, en France, cela me permet d’avoir énormément de sources d’inspiration à chacun de mes voyages. Par exemple, j’adore aller au supermarché, car la nourriture différente dans chaque pays peux elle aussi apporter son lot de nouvelles idées.

D’ailleurs, vous avez un plat que vous appréciez en France ?

Ce que j’adore ici, c’est les plateaux de fruits de mer avec les huitres, les crabes etc. J’en mange à chaque fois que je viens ! J’adore les artichauts aussi, mais je n’ai pas encore eu l’occasion d’en déguster ici.

Ça sera peut-être l’occasion d’en manger ou d’un planter dans un prochain Pokémon !

(rires) — (Masuda-San sur le mur le poster du pokémon Marisson, lequel semble effectivement nourrir un certaine ressemblance avec… un artichaut !)

On apprécie la facilité avec laquelle on peut passer du jeu solo au jeu online, que ce soit pour défier d’autres joueurs comme pour les aider , ou procéder à des échanges de Pokémon. Celà répondait-il à une demande des joueurs ?

Bien entendu, nous essayons toujours d’innover, et à chaque nouveau jeu développé, on essaie de trouver l’idée qui va surprendre les joueurs. L’idée initiale est soumise, puis retravaillée par une personne de l’équipe, ensuite d’autres personnes l’améliorent à nouveau et ainsi de suite. C’est avec ce type de progression pas à pas que de nouveaux concepts de jeu voient le jour comme ici avec la fusion des modes solo et en ligne.

L’autre aspect frappant, en dehors du fait de jouer dans une atmosphère inspirée de la France, est la façon dont les Pokémon prennent vie en 3D. Pour la première fois, ils ressemblent davantage à des être vivants qu’à des amas de pixels, grâce aux animations et au style graphique. Vous étiez pourtant un farouche défenseur de la 2D. Qu’est-ce qui vous a décidé à faire ce passage à la 3D et à adopter cette direction artistique ?

C’est vrai, j’ai toujours été un grand amateur de pixel art et trouve une certaine puissance dans ce que peux apporter une représentation en 2D. Avec Pokémon Noir et Blanc, nous sommes toutefois arrivés à la limite de ce que l’on pouvait exprimer avec les animations classiques. Ce qui rend séduisant les Pokémon, c’est bien entendu leur aspect physique, mais aussi la manière dont ils bougent et se déplacent, car ce sont les animations qui les rendent vivants. Cette fois, en passant à la 3DS, on a enfin pu faire de la 3D, et même si je suis un grand défenseur de la 3D, j’avais étudié dans une école de CG/images de synthèse, du coup, j’étais parfaitement au faite des problématiques liées à la 3D, ce que cela engendre en terme de modélisation, mouvements de caméra etc. Comme nous partions du principe que nous voulions rendre les Pokémon plus vivants, il fallait les animer, et au delà, déplacer les camera pour rendre les mouvements plus dramatiques, ce que l’on ne pouvait pas faire avec la DS de manière satisfaisante, mais que nous avons enfin pu accomplir avec la 3DS.

L’univers Pokémon en expansion

Un autre aspect important au sein des jeux consiste à capturer ces monstres de poche (ndlr : Pokémon en japonais est la contraction de Pocket Monsters). Quels sont les process derrière le design des Pokémon, la façon dont ils sont nommés, et quel est votre rôle dans ces décisions de vie ou de mort sur les Pokémon ?

Oui, j’en accepte et j’en refuse, mais pour cet épisode, c’est l’équipe de designers que j’ai formé qui a opéré un premier filtre sur les Pokémon que nous allions garder ou non. Il est vrai qu’à chaque épisode, j’essaie de trouver un thème différent, de changer l’amorce, mais la sélection se fait assez naturellement. Quand on se fait présenter un projet de nouveau monstre, il est assez rapide de voir si ce Pokémon a du potentiel. Rien qu’en découvrant son dessin, on doit être capable d’en tirer plusieurs informations : peut-on deviner ce qu’il mange, ce qu’il fait, où vit-il, comment bouge t-il? C’est une première piste pour décider si un Pokémon est viable ou non.

Nous apportons énormément de soin au design de chacun des pokémon, en accordant une attention particulière à chacun d’entre eux, afin qu’ils soient pensés dans les moindres détails. Je pense à Marisson : sa tête bien ronde est surplombées de trois sortes de feuilles qui accentuent le relief de son visage. Mais ce sont aussi des lignes singulières qui permettent aux enfants de pouvoir dessiner facilement ce Pokémon. Voyez également Feunnec à côté : il possède trois traits sur le front, qui ne sont pas indispensable à sa constitution. Mais c’est ce qui rajoute de la fermeté à son visage et lui donne cet air de canidé, de renard. Ce sont tous ces petits détails qui rendent les personnages vivants et c’est le genre de petites choses sur lesquelles nous insistons pour que chaque Pokémon soit crédible et unique.

De vous à nous, comment avez-vous fait pour enfin insuffler un vent de fraîcheur dans la franchise Pokémon ? X et Y correspondent enfin à ce que nous attendions. Pour être sincère, on a un peu l’impression que vous avez séquestré une bande d’enfants de primaires pendant une semaine dans la même pièce avec des bonbons et des Pokémon en leur demandant de balancer les idées les plus cool possible à ajouter dans un jeu d’élevage de petits monstres. Est-ce que c’est comme ça que ça s’est passé ? Et est-ce qu’il y a eu des enfants impliqués dans les décisions de design ?

Je vous rassure, on n’a kidnappé personnes (rires). Mais je vous donne un exemple du genre de retour qui nous alimente : lors de la sortie de Pokémon noir et blanc, j’ai eu l’occasion de rencontrer Kiritani Mirei, une célèbre mannequin japonaise, étudiante à l’époque. Lors de nos discussions, elle me faisait cette drôle de confidence : ‘quand je joue à Pokémon Noir/Blanc, je n’arrive pas à toucher l’écran tactile du bas, il me fait peur’. C’est un feedback qui m’a beaucoup choqué et auquel j’ai longtemps réfléchi. Du coup, dans Pokémon X et Y, les icônes de l’écran tactile du bas, auparavant géométriques sur fond noir, avec un aspect d’interface électronique, ont été redesignés pour être remplacées par de grandes zones tactiles colorées ainsi que par des écrans affichant sous forme de petits personnages les joueurs rencontrés par Streetpass et jeu en ligne. Je m’étais dit qu’il fallait retravailler cet écran pour en faire une zone que les enfants et jeunes filles ou n’importe quel joueur puisse toucher sans appréhension, confusion ou peur de faire un mauvais geste, et qui soit utile tout en étant agréable.

Vous me confirmez qu’aucun enfant n’a été soumis au travail forcé pour vous souffler des idées ?

J’y joue moi-même en tant que grand enfant (rires). J’essaie vraiment de me mettre dans la peau d’un enfant, du coup je passe volontairement à coté de certains éléments, je loupe des indications, j’essaie d’être coincé etc. Cela permet de vérifier la cohérence et d’équilibrer le jeu pour qu’il reste accessible à tous. Mais nous laissons les enfants tranquille durant le développement (rires).

“Le design des Pokémon est conçu de sorte que grâce à des éléments-clés, les enfants puissent facilement les identifier et les dessiner”

Un certain nombre d’éléments des jeux ont pour effet de réveiller l’enfant qui sommeille dans les adultes jouant à X et Y. Parfois ça donne l’impression d’être dans un rêve où l’on est excité par les mécanismes de Méga Evolution, l’entraînement et le dressage des Pokémon, le fait de vanter sa collection, etc. C’est exactement comme si on se retrouvait à l’école élémentaire, période où l’on était des collectionneurs en série. Dans le même ordre d’idées, quel effet a Pokémon sur vous ?

Quand je fais du test-play sur les prototype de jeu, je joue de plusieurs manières différentes, mais la manière la plus simple et amusante consiste à adopter l’approche de base d’un enfant, comme lorsqu’il s’amuse en jouant à chat ou cache-cache. Avoir le sentiment de redevenir un enfant en jouant à Pokémon est intimement lié à une expérience de jeu qui tente de revenir à la plus simple expression de ce qui est ludique, et donc, aux jeux pratiqués par les enfants, à leur façon de s’amuser. Je pense que ce retour aux sources de l’amusement est la bonne manière de profiter de Pokémon.

Musique électronique, Megadrive et musique de film

Dans la musique électronique, de nombreux DJ avouent être également inspirés par les musiques de jeux vidéo. On nous cite souvent le chip sonore conçu par Yamaha qui a équipé la Megadrive.

C’est vrai, ce processeur a marqué beaucoup de musiciens à l’époque. Mon intérêt pour la musique électronique date même d’avant la Megadrive, car je possédais un synthétiseur analogique, le MS-10, me permettant de créer mes propres effets en enlevant ou rajoutant des éléments et en branchant différents câbles pour créer des sonorités nouvelles. J’ai toujours eu une approche assez technologique de la musique, par extension c’est ce qui me fait apprécier la musique techno. Cela remonte vraiment à l’enfance, quand je m’amusais à bricoler des sons sur les synthés de l’époque. Si on raisonne en terme de génération, je suis plutôt de la génération Jean Michel-Jarre, bien avant le chip FM.

Plutôt 8 bits que 16 bits donc ?

Pulseman — 1994, Game Freak

En fait je situe même cela avant l’apparition des micro-ordinateurs personnels, à l’époque où l’on bidouillait son synthétiseur avec des pièces mécaniques. Plus tard, j’ai réalisé la bande-son de Pulseman sur Megadrive, un jeu Game Freak développé pour Sega, et je me suis aussi beaucoup amusé en bidouillant le chip FM.

Quand vous ne jouez pas à Pokémon, à quoi vous vous occupez ?

Quand j’ai du temps libre, je mange des bonnes choses, je vois du très bon vin et je regarde des films que j’aime bien. Le dernier que j’ai bien aimé est Star Trek Into Darkness, je l’ai vu au cinéma et je l’ai regardé à chaque fois que j’ai pris l’avion, au total j’ai du le regarder au moins six fois. Et le voir plusieurs fois me permet de me centrer sur de petites détails. Je pense par exemple à un thème au piano très triste, qui m’avait beaucoup plu. Ce dont je ne m’étais pas rendu compte au début, c’est qu’il s’agissait en réalité du thème des méchants, qui donnait une dimension dramatique au film que je n’avais pas saisi la première fois. Cela m’a fait plaisir de découvrir de nouveaux détails après chaque visionnage. L’idée de regarder un film plusieurs fois, d’analyser comment le réalisateur et son équipe s’y sont pris pour faire ressortir telle émotion à tel moment, c’est vraiment quelque chose que j’aime beaucoup.

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