IA & Architecture

Une Perspective Expérimentale

Stanislas Chaillou
24 min readJul 9, 2019

Stanislas Chaillou, Harvard Graduate School of Design| 26 février 2019

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Plan Urbain, Généré par un Modèle GAN | Source: Auteur

L’intelligence artificielle (IA) est une discipline qui a déjà pénétré nombre d’industries, en leur apportant les moyens de relever des défis inédits. Son adoption en Architecture, comme évoqué dans un précédent article, en est encore à ses débuts, mais les résultats escomptés sont prometteurs. Cette technologie est pour nous plus qu’une simple opportunité : elle est un pas en avant sans doute décisif, à même de faire évoluer notre discipline.

Notre travail entend valider cette promesse, et son application au monde du bâti. En fait, nous souhaitons très spécifiquement appliquer l’IA à l’analyse et à la génération de plans. Notre objectif ultime est triple: (1) générer des plans d’étages (2) qualifier et classifier ses plans, afin de (3) faciliter la consultation des options et designs générés.

Notre méthodologie a procédé de deux intuitions principales : (1) la création de plans est un défi technique exigeant, dépassant la stricte optimisation, et (2) la conception d’espaces est un processus séquentiel, nécessitant des étapes successives à différentes échelles (échelle urbaine, échelle du bâtiment, échelle d’une unité et de ses pièces). Pour tirer parti au mieux de ces deux réalités, nous avons choisi un champ de l’IA bien particulier : les réseaux de neurones, et plus précisément les Réseaux Neuronaux Antagonistes Génératifs (Generative Adversarial Neural Networks, ou GANs). De tels modèles nous permettent d’absorber un haut niveau de sophistication en décomposant la complexité des plans traités, pour ensuite séquencer la résolution des problèmes. Chacune des étapes ainsi définies, correspond à l’activation d’un modèle donné, spécifiquement entraîné pour la tâche particulière qui lui est dévolue. Le processus, dans son ensemble, fonctionne comme une navette entre l’homme et la machine dont les allers-retours viennent nourrir l’élaboration du plan.

Plans Générés par des GANs | Source: Auteur

Or chaque plan est le produit de nombreux paramètres, à la croisée de dimensions quantifiables et de propriétés plus qualitatives. L’étude des précédents architecturaux est, à cet égard, très parcellaire et reste trop souvent le fruit d’un processus hasardeux qui néglige la richesse des données existantes et manque de rigueur analytique. Notre méthodologie, en revanche, en s’inspirant des techniques avancées des Data Sciences, permet de qualifier les plans générés de manière plus holistique: partant de six métriques, elle active et combine un jeu de paramètres à même de “qualifier l’Architecture” avec plus de pertinence.

En clair, la machine, qui n’était autrefois que la simple extension de notre crayon, peut être aujourd’hui utilisée pour cartographier notre compréhension de l’Architecture. Partant des principes propre au machine learning, elle a désormais la faculté de pouvoir être entraînée pour assister notre pratique.

I. Méthodologie

Sur ces prémices, notre travail s’est installé à la croisée de l’Architecture et de l’IA. Le premier est le sujet, le second la méthode. Les deux ont été simplifiés en catégories claires afin d’être opérables avec justesse. Ensemble, ces catégories définissent un lexique aussi fidèle que possible au vieux principe de Barbara Minto : “mutuellement exclusifs et collectivement exhaustifs”.

Matrice Qualifier-Générer/Style-Organisation | Source: Auteur

En somme, l’Architecture est ici comprise comme l’intersection entre le style et l’organisation. D’un côté, nous considérons le bâti comme porteur d’une signification culturelle à laquelle concourent géométries, taxonomies, typologies et in fine décorations. Cette réalité apparemment fragmentée, se cristallise en fin de compte en une dimension unique : le ‘’style“. Or, qu’il soit baroque, roman, gothique, moderne ou contemporain, tout style architectural peut être descellé à l’étude minutieuse des plans. D’un autre côté, les bâtiments sont aussi produits de l’ingénierie et de la science qui s’insèrent dans le cadre de l’environnement et de règles strictes: normes constructives, ergonomie, efficacité énergétique, évacuation, programme, etc. Autant de contraintes que l’on peut également discerner ou déduire, en observant attentivement les plans. Combiné avec l’identité du style, cet impératif organisationnel complète ainsi notre définition de l’Architecture et structure notre démarche.

Commençons donc par la génération de plans, une étape où les GANs nous confèrent d’entrée un atout essentiel : la capacité d’éduquer l’IA à la conception architecturale. Cette application ouvre un champ inédit qui, bien qu’expérimental, nous a vite donné accès à des résultats encourageants. Notre ambition d’entraîner la machine à dessiner des plans cohérents s’est avérée rapidement plausible et raisonnable.

Ensuite, nous appliquons une méthode analytique, simple mais rigoureuse qui permet de qualifier et d’ordonner les plans générés. In fine, l’utilisateur peut naviguer aisément dans un univers d’options lisibles et ordonnées. La puissance de calcul et la flexibilité des outils proposés par les Data Sciences ont été pour nous ici des leviers essentiels.

À travers ce double objectif, au carrefour du style et de l’organisation, de la qualification et de la génération, nous avons établi une méthodologie à même de structurer la rencontre entre l’Architecture et l’IA.

II. Génération

De tout temps, la conception de plans a été au cœur de la pratique architecturale. Sa maîtrise, centrale à l’exercice de notre profession, et a été inlassablement améliorée grâce à la technologie. Mais aujourd’hui, nous considérons que le potentiel de l’IA repousse nettement les limites des méthodes génératives connues.

Dans ce chapitre, nous cherchons donc à étudier l’application des GANs à la génération de plans, en s’attelant principalement a l’étude de leur organisation et de style.

Pour cela, trois règles structurent notre utilisation de l’IA et notre travail: (1) d’abord choisir le bon ensemble d’outils, (2) ensuite, isoler les phénomènes à montrer à la machine (3) pour enfin, s’assurer que la machine “apprend” correctement.

L’IA & les GANs

Parmi les différents types d’intelligences artificielles, les GANs constituent un domaine d’investigation clé. Leur capacité créatrice, bien que récemment reconnue, permet l’élaboration de modèles en mesure d’apprendre à répliquer des phénomènes statistiquement significatifs parmi les données qui leur sont présentées. Leur structure est une avancée conceptuellement décisive : combinant deux modèles, le générateur et le discriminateur, les GANs exploitent une boucle de feedback entre les deux modèles pour affiner leur capacité à générer des images pertinentes. Le discriminateur est entraîné à reconnaître les images à partir d’un ensemble de données. Et, correctement entraîné, ce modèle est en mesure de faire la distinction entre un exemple réel, pris dans le jeu de données, et une image “fictive”, étrangère au jeu de données. Quant au générateur, il est lui entraîné à créer des images ressemblant à celles du même jeu de données, ou data set. Dès lors, lorsque le générateur crée des images, le discriminateur lui fournit des informations sur la qualité des résultats qu’il a générés. En réponse, le générateur s’adapte alors pour produire des images encore plus réalistes. Grâce à cette boucle de feedback, un GAN développe progressivement sa capacité à créer des images synthétiques pertinentes, en tenant compte de phénomènes qu’il aura opportunément détectés parmi les données observées.

Structure Type d’un GAN | Image Source

Représentation & Entraînement

Si les GANs représentent une formidable opportunité, il est essentiel de les entraîner judicieusement. En formatant notre base de données d’images de plans, ou training set, nous pouvons contrôler le type d’information que le modèle apprendra. Par exemple, exhiber simplement à notre modèle la forme d’une parcelle et l’empreinte du bâtiment associé produira un modèle capable génériquement de créer des emprises au sol à partir de la forme d’une parcelle. Pour autant, le mimétisme n’est pas exempt de faux pas et d’errance s’il n’est pas guidé. Notre propre sens architectural‘’ restera donc le garant de l’agencement des training sets et de la qualité des résultats du dispositif. En d’autres termes, un modèle ne sera pertinent qu’à la condition d’avoir été entraîné convenablement par un architecte.

Ci-dessous, nous illustrons une séquence d’entraînement type: cette séquence, réalisée au cours d’une journée et demie, montre comment l’un de nos modèles GAN apprend progressivement à repartir des pièces et les ouvertures nécessaires (fenêtres et portes) dans un appartement.

Séquence d’Entrainement | Source: Auteur

Bien que les tentatives initiales soient imprécises et confuses, après 250 itérations, la machine se construit une certaine forme d’intuition.

Précédents & Contribution

Si l’application des GANs à l’Architecture en est encore à ses débuts, quelques précédents ont inspiré notre travail et conduit notre intuition. Hao Zheng’s et Weixin Huang ont présenté à la conférence ACADIA de 2018 une première publication, démontrant le potentiel des GANs pour la segmentation de plan rastérisés et leur aménagement intérieur. En utilisant des taches de couleur, leur modèle dessine le remplissage des pièces, en fonction du programme de la pièce, et de la position de ses ouvertures. La même année, Nathan Peters, dans sa thèse à la Graduate School of Design (GSD) d’Harvard, proposait d’utiliser un GAN (Pix2Pix) pour répartir le programme de maisons modulaires, à partir de la forme de leur emprise au sol.

En ce qui concerne l’assistance à la conception (GAN), Hao Zheng (Dessin avec des robots: Expériences de dessin collaboratif homme-machine, 2018) et la thèse de Nono Martinez au GSD (2017) ont orienté nos recherches. Ces deux auteurs ont abordé l’idée d’une boucle entre la machine et le concepteur afin d’affiner la notion même de “processus de conception”.

C’est en partant de ces précédents que notre travail a pu envisager d’imbriquer trois modèles — l’empreinte, le programme et l’ ameublement- pour créer une “séquence générative” complète (Generation Stack en anglais) tout en améliorant la qualité des résultats à chaque étape. En permettant le traitement de plusieurs appartements simultanément, notre travail s’étend ensuite à la génération de bâtiments entiers. Nous proposons en outre une gamme de modèles traitant le transfert de style architectural. Enfin, notre contribution ajoute une méthodologie rigoureuse pour analyser et classer les résultats générés, permettant aux utilisateurs de consulter de manière intuitive et pertinente la variété des options générées.

A. Transfert de Style

Transfert de Style, Moderne vers Baroque | Source: Auteur

En étudiant la géométrie et l’agencement des éléments présents dans un plan, on peut discerner la présence d’un style architectural. Une église baroque, par exemple, possédera des colonnes volumineuses, avec de multiples retraits arrondis. Une villa moderne de Mies van der Rohe en revanche présentera des cloisons fines et plates. Cette géométrie, propre à la surface des murs et à leur épaisseur, est une caractéristique qu’un GAN peut typiquement appréhender. En présentant des paires d’images, l’une étant une version segmentée d’un plan et l’autre présentant le cloisonnement et la géométrie des murs du plan d’origine, nous pouvons entraîner notre modèle à apprendre le transfert d’une image à l’autre ; en d’autres termes, le modèle GAN en question s’approprie la logique géométrique propre au style architectural.

Cette section présente les résultats d’un modèle formé pour apprendre le style baroque. Nous réalisons donc un transfert de style, où (A) un plan d’étage donné est segmenté manuellement et (B) “réhabillé” d’un nouveau style architectural par un modèle GAN (ici de moderne vers baroque).

Transfert de Style, Moderne vers Baroque | Source: Auteur

Cette section a été développée plus amplement dans un article indépendant, “Architecture & Style”, accessible à l’adresse suivante.

B. Organisation & Assistance

Génération Stack, Etape par Etape | Source: Auteur

Dans cette section, nous proposons un pipeline en plusieurs étapes, intégrant toutes les phases nécessaires au dessin d’un plan. Passant d’une échelle à l’autre, il émule le processus emprunté par un architecte et tente de capturer chaque étape dans un modèle GAN spécifique, lui-même entraîné pour effectuer une opération donnée. Trois étapes ont donc été soigneusement conçues, et testées: (I) de la parcelle de terrain à l’emprise au sol du bâtiment, (II) de l’emprise au sol a l’organisation du programme et des ouvertures, et enfin (III) des pièces à leur aménagement intérieur.

Pipeline (Modèles I à III) | Source: Auteur

En divisant le pipeline en étapes distinctes, cette séquence permet l’intervention de l’utilisateur entre chaque modèle GAN. En sélectionnant le résultat d’un modèle et en le modifiant, avant de le transmettre au modèle suivant, l’utilisateur garde le contrôle du processus créatif. Son action façonne et oriente d’étape en étape le plan réalisé, et témoigne ainsi de l’interaction homme-machine souhaitée.

1. Empreinte

Contexte | Parcelle (input) | Emprise au Sol Générée (output) | Source: Auteur

La première étape de notre séquence considère la création d’une emprise au sol d’un bâtiment adaptée à la géométrie d’une parcelle donnée. Pour entraîner ce modèle, nous avons utilisé une large base de données d’empreintes de bâtiment de Boston et avons créé une gamme de modèles, chacun reflétant un type de programme spécifique: commercial, résidentiel (pavillon), résidentiel (condominium), industriel, etc.

Chaque modèle est ainsi capable, pour une parcelle donnée, de créer une série d’emprises au sol pertinentes, ressemblant en dimension et en style au type de programme pour lequel il a été entraîné. Neuf exemples, utilisant le modèle résidentiel (pavillon) sont présentés ci-dessous.

Résultats: Emprises au Sol | Source: Auteur

2. Programme & Ouverture

Empreinte | Ouvertures et Balcons (input) | Programme & Ouvertures (output) | Source: Auteur

L’agencement des pièces au sein de l’emprise au sol est la prochaine étape logique. Pouvoir diviser un plan d’étage donné tout en respectant des contiguïtés et adjacences nécessaires, des dimensions de pièce raisonnables et une répartition des ouvertures correcte, est un processus difficile. Les GANs permettent de le résoudre, tout en proposant des résultats surprenants.

En utilisant un jeu de données d’environ 700+ plans annotés, nous avons pu entraîner un large éventail de modèles. Chacun est adapté à un nombre de pièces spécifiques et donne des résultats étonnamment pertinents. Les quelques résultats types présentés ci-dessous en donne la mesure.

D’autres résultats sont disponibles à cette adresse.

Résultats: Programme & Ouvertures | Source: Auteur

3. Ameublement

Programme (input, option 1) | Ameublement (input, option 2) | Appartement Meublé (output) | Source: Auteur

Cette dernière étape étend le principe de génération à son niveau de détail le plus poussé: l’ajout de meubles dans l’espace. À cette fin, nous avons d’abord entraîné un modèle pour meubler un appartement dans son entier, en une seule fois.

Le modèle GAN a su apprendre, en fonction de chaque programme de pièce, la disposition relative des meubles dans l’espace et les dimensions de chaque élément. Les résultats sont affichés ci-dessous.

D’autres résultats sont disponibles à cette adresse.

Résultats: Appartements Meublés | Source: Auteur

Si ces résultats peuvent donner une idée approximative des ameublements possibles, la qualité des dessins obtenus est encore trop faible et pixelisée. Pour affiner encore la qualité de nos résultats, nous avons entraîné un éventail de modèles supplémentaires, pour chaque type de pièce (salon, chambre à coucher, cuisine, etc.). Chaque modèle est uniquement chargé de générer l’ameublement d’une pièce donné. Les types de meubles et de sols sont encodés à l’aide d’une charte de couleurs précise. Nous affichons ci-dessous les résultats de chaque modèle.

Résultats: Pièces Meublées, Salle de Bain / Cuisine / Salon / Chambre | Source: Auteur

4. De l’Unité Au Bâtiments

Si cette séquence permet de générer des appartements standards, repousser les limites de nos modèles est la prochaine étape. En réalité, les GANs peuvent offrir une souplesse remarquable afin de résoudre des problèmes sous hautes contraintes. Dans le cas de l’aménagement de plans, lorsque l’emprise au sol change de dimensions et de forme, il peut être difficile de cloisonner et de meubler l’espace manuellement. Nos modèles se révèlent ici relativement “intelligents” dans leur capacité à s’adapter à des contraintes changeantes, comme illustré ci-dessous.

GANs: Une Planification Flexible de l’Espace | Source: Auteur

Notre capacité à contrôler la position des ouvertures, alliée à la flexibilité de nos modèles, nous permet de planifier l’aménagement de l’espace à une plus grande échelle, au-delà de la logique d’un seul appartement.

Pour cela, nous étendons donc notre pipeline a la génération de multiples appartements, comme illustré dans le diagramme ci-dessous.

Pipeline Étendu | Source: Auteur

Au sein de ce pipeline, nous avons développé une interface pour chaque modèle permettant l’intervention de l’utilisateur. De telle façon, celui-ci peut spécifier ces attentes pour chaque modèle GAN: à gauche, dans l’interface, il peut entrer son intention, et après avoir cliqué sur “Transfer”, dans la fenêtre de droite lui est rendu le résultat généré par un de nos modèles GAN. Il peut alors itérer, en adaptant son design, et relancer le transfert. Nous présentons ci-dessous les possibilités offertes pas une telle interface, pour le Modèle II de notre pipeline.

Cette interface peut aussi être testée à l’adresse suivante. (Performance dépendant de la résolution de l’écran et du navigateur employé — Chrome conseillé)

Modèle II, Interface | Source: Auteur | link

Nous présentons ci-dessous des résultats obtenus avec ce nouveau pipeline, alors que notre technique a été déployée à l’échelle de bâtiments entiers.

Expérimentations: Bâtiments et Plan Urbains Générés par nos GANs | Source: Auteur

III. Qualifier

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.”

- Albert Camus

Il est maintenant essentiel d’étendre notre méthode à l’organisation, au tri et au classement des options générées. Les plans créés n’auront d’utilité qu’à condition d’offrir à l’utilisateur un catalogue clair des résultats obtenus. Dans ce but, nous espérons transformer des adjectifs architecturaux courants en métriques quantifiables.

Nous avons donc isolé six caractéristiques clés décrivant six aspects essentiels de la conception d’un plan : Empreinte, Programme, Orientation, Épaisseur & Texture, Connectivité et Circulation.

6 Métriques | Source: Auteur

Ces métriques fonctionnent ensemble de façon exhaustive, abordant à la fois les dimensions stylistique et organisationnelle du plan. Chacune a été développée comme algorithme et rigoureusement testé.

A. Empreinte

La forme d’un bâtiment est surement le raccourci le plus simple et le plus intuitif pour qualifier le style. La métrique “Empreinte” analyse la forme du périmètre du plan et la traduit en un histogramme.

Ce descripteur, tout en encodant la forme d’un bâtiment, peut traduire des adjectifs courants — “étroit”, “volumineux”, “symétrique”, etc. — utilisés communément par les architectes, pour décrire les formes du bâti.

Empreinte, Diagramme Polaire de Convexité | Source: Auteur

D’un point de vue technique, cette métrique utilise la convexité polaire pour transformer un contour donné en une liste de valeurs –ou vecteurs- pouvant ensuite être comparées à celles appartenant à d’autres plans. Pour obtenir ces valeurs, nous traçons des lignes radiales issues du centre du plan, pour extraire la surface du plan capturée par chaque tranche d’espace obtenue. Cette méthode s’est avérée satisfaisante, comme l’indiquent les résultats ci-dessous. Cette technique peut également être utilisée pour qualifier la forme des espaces intérieurs ainsi que la géométrie du périmètre du bâtiment.

Résultats de Requêtes, Utilisant la Convexité Polaire Comme Critère de Recherche | Source: Auteur

B. Programme

Le programme d’un bâtiment, ou en d’autres termes, le type de pièces qu’il contient, est un facteur majeur de son organisation interne. Capturer cette réalité est au cœur de notre approche. Pour décrire le “mix” de pièces, nous représentons par un code couleur la liste des pièces contenues dans un plan donné. Cette bande de couleur nous sert alors de proxy, pour décrire à la fois la quantité et la qualité programmatique des pièces contenues dans le plan. Ce descripteur est visuel et intuitif pour l’utilisateur, et, en tant que vecteur, peut être aisément manipulé par la machine.

Résultats de Requêtes, Utilisant le Programme Comme Critère de Recherche | Source: Auteur

D’un point de vue technique, en utilisant cette bande de couleur, nous pouvons calculer les similitudes et les différences entre les programmes de différents plans. Pour visualiser les résultats, chaque plan est imprimé selon le code couleur, à côté de sa bande programmatique.

Résultats de Requêtes, Utilisant la Convexité Polaire Comme Critère de Recherche | Source: Auteur

C. Orientation

L’orientation des murs dans un plan est une source d’information également précieuse. Elle peut décrire à la fois la clôture du plan, ou la manière dont les espaces sont isolés en raison de la présence de murs, mais également son style. En réalité, en utilisant cette métrique, nous pouvons facilement différencier un pavillon contemporain d’une cathédrale gothique, simplement en extrayant l’histogramme de l’orientation des murs.

Diagramme d’Orientation | Source: Auteur

D’un point de vue technique, l’orientation extrait les murs d’un plan d’étage donné et en additionne le linéaire dans chaque direction de l’espace, de 0 à 360 degrés. La liste de valeurs résultante est une évaluation de l’orientation générale du plan. Nous pouvons en extraire une moyenne, pour obtenir un seul descripteur, ou utilisé le vecteur directement pour être comparé à d’autres plans.

Résultats: Diagramme d’Orientation Pour Différents Plans | Source: Auteur

D. Épaisseur et Texture

La métrique Épaisseur & Texture qualifie ce qu’on appelle la “graisse” d’un plan : l’épaisseur de ses parois et la variation de cette épaisseur. L’épaisseur des murs d’un plan, comme la géométrie de la surface du mur — ou sa “Texture” — peuvent varier considérablement d’un style à l’autre. Une salle de style baroque afficherait des colonnes et des murs épais et crénelés lorsqu’une villa de Mies van der Rohe posséderait de minces cloisons rectilignes que notre métrique saisirait facilement (voir image ci-dessous).

Diagrammes, Épaisseur et Texture | Source: Auteur

D’un point de vue technique, ce descripteur isole toutes les parois d’un plan donné et génère un histogramme des épaisseurs de ces parois. Simultanément, l’algorithme calcule la variation de ces épaisseurs afin de mieux décrire la texture des murs.

Résultats: Diagrammes, Épaisseur et Texture, Pour Différents Plans | Source: Auteur

E. Connectivité

La métrique Connectivité aborde elle, la question de la contiguïté des salles. L’adjacence des pièces entre elles est effectivement une dimension essentielle du plan. De plus, leur adjacence à travers les portes et les couloirs définit l’existence même de connexions entre elles. La Connectivité étudie la quantité et la qualité de ces connexions en les considérant comme un graphe standard.

Diagramme de Connectivité & Matrice d’Adjacence | Source: Auteur

D’un point de vue technique, en utilisant les ouvertures d’un plan, nous pouvons construire le graphique des relations existantes entre pièces. Le descripteur Connectivité génère ensuite une matrice de contiguïté, documentant ces connexions. Un graphe est finalement généré qui nous aide à comparer les plans, au regard de la similitude des connexions entre les pièces.

Résultats: Diagramme de Connectivité Pour Différents Plans | Source: Auteur

F. Circulation

La circulation d’un plan exprime enfin le mouvement des utilisateurs dans l’espace. En extrayant un squelette de la circulation, ou en d’autres termes, une structure filaire du réseau de circulation, nous pouvons à la fois quantifier et qualifier les mouvements des utilisateurs dans le plan.

Diagrammes de Circulation | Source: Auteur

D’un point de vue technique, la Circulation extrait le squelette des circulations d’un plan donné et en additionne le linéaire dans chaque direction de l’espace, de 0 à 360 degrés. L’histogramme résultant est une évaluation de la géométrie de ce réseau et peut être utilisé afin d’être comparé avec la circulation d’autres plans.

Résultats: Diagramme de Circulation Pour Différents Plans | Source: Auteur

IV. Mapping & Browsing

Graphes de Similarité | Source: Auteur

Considérant maintenant nos modèles GANs, chacun d’entre eux propose plusieurs options à chaque étape de notre pipeline. L’utilisateur est ensuite invité à choisir une option préférée, à la modifier si nécessaire, avant de passer à l’étape suivante. Parcourir les options générées peut toutefois être frustrant et représenter une perte de temps. C’est ici qu’entre en jeu l’ensemble des métriques définis dans le chapitre “Qualifier”. Elles démontrent là tout leur potentiel et complètent la cohérence de notre méthode. En les utilisant comme filtres, l’utilisateur peut réduire la gamme des options et trouver en quelques secondes un résultat pertinent, de par sa forme, sa circulation, ou son programme. Cette dualité entre filtrage et génération est sans doute l’une des contributions majeures de notre travail : la méthodologie ici fournie, tout en exploitant l’intelligence artificielle, reste à la portée d’un utilisateur non-expert.

De fait, après avoir permis filtrer les options générées selon un/des critère(s) donné(s) (Empreinte, Programme, Orientation, Épaisseur et Texture, Connectivité ou Circulation), nous fournissons à l’utilisateur une arborescence de résultats. Au centre est un plan qu’il a sélectionné, et autour sont agencés d’autres plans alternatifs, par ordre décroissant de similarités, selon un critère qu’il aura retenu. Celui-ci peut ensuite affiner la recherche en sélectionnant une autre option dans l’arborescence, qui en retour recalculera l’arbre, plaçant au centre le nouveau plan.

Chaque arbre illustré ci-dessous est accessible en ligne aux liens suivants: Empreinte, Programme, Connectivité.

Arbres de Similarité: Empreinte & Programme | Source: Auteur

V. Conclusion

Il est certain que l’IA va contribuer à faire évoluer la pratique quotidienne de l’Architecture. Notre travail, en se plaçant aux avant postes de ce mouvement, entend avant tout participer à la validation du concept. Nous espérons qu’il contribuera à la constitution d’une vraie plateforme de discussion quant à l’avenir de l’IA en Architecture. Nous appelons de nos vœux autant les architectes à s’intéresser à l’IA, que les scientifiques et data scientists à considérer l’Architecture comme un champ d’investigation à part entière. Dans cet espoir, notre manifeste peut se résumer en quatre points principaux.

D’un point de vue conceptuel, nous estimons qu’une approche statistique de la conception architecturale représente le grand potentiel de l’IA pour l’Architecture. Son caractère moins déterministe et plus holistique est sans aucun doute une chance pour notre métier. Plutôt que d’utiliser des machines pour optimiser un ensemble de variables, l’IA pourrait nous permettre de nous reposer en partie sur la machine pour extraire les qualités importantes du bâti, afin de les imiter tout au long du processus de conception.

Dans un second temps, nous sommes convaincus que la conception du bon pipeline conditionnera notre habilité à maîtriser l’IA tout en favorisant son développement. Notre choix pour une approche “boîte grise” — ou Grey Boxing Method -, tel que l’a présenté Andrew Witt dans Log, garantira probablement les meilleurs résultats possibles. Cette méthode contraste avec l’approche “boîte noire”, qui n’autorise les utilisateurs qu’à saisir des informations à l’avance et à obtenir des options finies à la fin du processus, et, ce, sans aucun contrôle au cours du processus de conception. Au contraire, en divisant notre pipeline en étapes distinctes, la méthode “boîte grise” permet à l’utilisateur d’intervenir tout au long du processus. Son contrôle intermittent de la machine est la garantie ultime de la qualité des options générées.

En outre, au plan technique, nous pensons que la nature séquentielle de notre application facilitera sa gestion et favorisera son développement. La capacité d’intervenir tout au long du processus de production est une dimension fondamentale : du fait que chaque étape du pipeline représente une part distincte de l’expertise architecturale, chaque modèle peut ainsi s’élaborer de manière indépendante. Cette aptitude du modèle ouvre ainsi la voie à des améliorations et à des expérimentations importantes dans un avenir proche. En effet, si l’amélioration de bout en bout de tout pipeline est une tâche fastidieuse, sa modification étape par étape, bloc par bloc, reste en revanche relativement aisé. Nous considérons que la plupart des architectes et des ingénieurs de notre secteur sont en capacité d’en maîtriser la méthode.

Enfin, considérer la séquence “parcelle — programme — ameublement” est une approche, parmi tant d’autres. Pour délimiter les étapes nécessaires à la planification, la clé est ici plus le principe que la séquence elle-même. Et avec la disponibilité croissante des données architecturales, nous encourageons la poursuite de ces travaux, et le développement de nouvelles séquences comme de nouveaux modèles.

Loin de considérer l’IA comme un nouveau dogme pour l’Architecture, nous concevons ce domaine comme un nouveau défi, plein de potentiel et de promesses. Nous voyons ici la possibilité d’obtenir de riches résultats, qui viendront compléter notre pratique de l’Architecture et résorber certains angles morts de notre discipline.

Références Digitales

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