Sherif Sy
7 min readFeb 9, 2016

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Phénomène Pop-up Store : Comment l’éphémère valorise les singularités ?

Lidewij Edelkoort, grande prêtresse de la mode hollandaise provoque en février 2015 un tollé en lisant devant une salle remplie de stylistes, modeurs, designers et journalistes un manifeste baptisé « Anti-fashion ». En critiquant les dérives d’un monde et d’un enseignement individualiste jugé obsolète à l’heure des réseaux sociaux, du partage et de la création en commun, cette prévisionniste des modes et des tendances futures pose dès lors le jeune créateur comme le principal acteur d’une évolution nécessaire.

Swannie Rober, confirme cette évolution en prophétisant que “Le développement de la fast-fashion a poussé l’uniformisation et la standardisation à son paroxysme. La mode, assassinée par elle-même est devenue ce qu’elle s’était jurée de combattre : conformiste et aliénante »?.

“Le vêtement n’apparaît plus que comme un simple objet de consommation jetable, remplaçable. Désormais le jeune créateur, fort de sa singularité, s’impose comme seule alternative à cette consommation effrénée et opprimante”… “La mode est quelque chose de magique, de précieux. Elle est un art du respect des belles matières, des coupes impeccables, du savoir-faire des couturiers et autres petites mains d’ateliers, de la richesse personnelle et culturelle de ces créateurs”.

Le phénomène des pop-up stores s’inscrit dans cette dynamique des singularités : véritable vitrine au service des jeunes créateurs, le magasin éphémère est devenue ces dernières années un espace de rencontre indispensable entre clients et créateurs.

Ces boutiques de l’instant permettent aux jeunes créateurs de trouver véritablement leur public. En proposant une rencontre directe entre producteur et consommateur, le pop-up store permet au créateur d’observer, de comprendre les réactions du client par rapport à son produit, à son histoire.

Indépendamment de la vente, le magasin éphémère est un laboratoire d’analyse au service du concepteur. Grâce à cette expérience, il peut comprendre qui va acheter son produit et pourquoi.

Cette phase essentielle permet d’éviter les erreurs ultérieures de ciblage et de marketing : en définitive, le pop-up store fait gagner un temps précieux au jeune créateur. Et même si cette démarche peut paraître contre-intuitive au départ comme l’explique Pauline Guesné, fondatrice de la start-up Le Lab, « quand tu as un produit, tu veux le vendre à tout prix », les premiers mois du développement d’une entreprise doivent être consacrés à cette observation nécessaire sur le long terme : “au moins à défaut de ne pas vendre, tu as pu te confronter a de vrais clients ; si ta cible n’est pas là, ta cible est plus âgée ou pas parisienne, peut-être que ton merchandising, ton marketing, l’histoire de ta marque n’est pas cohérent ou ne tient pas debout, le client est perdu, le client qui ne comprend pas n’achète pas “.

Finalement le créateur enfermé quotidiennement dans son espace de création peut grâce au concept même du pop-up store, tester en direct son segment client et voir quels produits fonctionnent le mieux.

Le magasin éphémère offre, par ailleurs, une autre alternative aux salons professionnels à l’image de Who’s next qui ne correspondent pas nécessairement à la stratégie de distribution et à la capacité de production en masse des jeunes créateurs.

Julie Wolff Kerjouan, fondatrice de la marque Loupp souligne le paradoxe de ces salons dont “le ticket d’entrée est très élevé pour le développement d’une petite start-up. De plus, les grands salons imposent un rythme de présentation des collections. Les salons professionnels imposent aussi un décalage qui nous éloigne plus des envies du client final. Pourquoi présenter ses collections avec parfois plus d’un an de décalage ? Pourquoi commencer à shotter ses produits maintenant pour la collection de l’hiver prochain? Ce qui crée souvent des trous de trésorerie pour les jeunes marques qui subissent le calendrier de la fashion week etc…”

Le market product fit qui marche très bien pour les start-ups dites « tech » peuvent être et doivent être adaptés à des activités plus prosaïques comme la vente de vêtements et les pop up store permettent cela.

Faut-il nécessairement crée deux collections par an? questionne Lorraine Garchery, fondatrice de trois grains car “le processus créatif exige au contraire du temps pour laisser les collections atteindre leur maturité ».

La rencontre avec les clients a aussi un autre avantage: la construction d’une relation de confiance durable entre créateurs et utilisateurs.

La révolution du numérique a profondément bouleversé l’ancien modèle hiérarchique de l’entreprise dans lequel le client n’était finalement que le dernier maillon d’une chaîne de production. Le feedback a permis à l’utilisateur d’interagir avec le créateur et donc de faciliter les retours d’expérience entre producteurs et consommateurs. Dans L’âge de la multitude, Nicolas Colin et Henri Verdier soulignent l’aubaine que représente aujourd’hui ce mode de fonctionnement pour les entreprises qui peuvent véritablement tester en direct leurs produits et analyser les attentes de leurs futurs clients.

Le phénomène du pop-up store reprend ces nouveaux codes en proposant une véritable rencontre autour d’un produit. Plus important encore, la mise en place d’une telle interface physique revalorise la place de l’acheteur au sein même du développement de la marque et favorise le bouche à oreille, élément essentiel d’une communication réussie. Le créateur peut expliquer sa démarche auprès des prospects qui se sentent non plus spectateurs mais bien acteurs du processus de production.

L’Atelier Meraki a bien compris l’enjeu de cette nouvelle dynamique: en organisant des pop up stores, il propulse des jeunes créateurs sur le devant de la scène et valorise de nouvelles marques sur le marché de l’offre. Dans un décor qui mêle accents industriels et meubles chinés, l’atmosphère est au partage et à la convivialité. Loin d’un acte impersonnel, l’achat devient avant tout une rencontre, une découverte, un saut dans l’entreprise de demain.

Si les dépôts en boutique ou les e-shops permettent aux petites structures de vendre leurs produits sans nécessairement passer par la location d’un point de vente, c’est grâce à des initiatives comme celle de l’Atelier qu’elles peuvent véritablement interagir à la fois avec leurs clients mais aussi avec d’autres créateurs.

Proposer un pop-store qui met en scène différentes structures, c’est avant tout sortir les entrepreneurs de leurs cocons et leur permettre de partager entre eux leur expérience, leur quotidien d’inventeur.

Johanna, La fondatrice de Saisons d’eden l’explique bien: “participer au marché de créateurs, c’est une formidable opportunité de se faire connaître mais aussi d’échanger avec d’autres créateurs des idées, des expériences voire même de prendre contact en vue de futures collaborations”.

Plus prosaïquement, le pop-up store permet de vendre et donc de se faire une trésorerie nécessaire au développement de la marque. En lançant une petite production testée auprès du public, Johanna a pu obtenir des retours sur ses produits et donc mieux identifier son segment client.

Si la mise en place d’un site vitrine et d’un e-shop peuvent être utile pour un jeune créateur de vendre à moindre frais, le côté parfois très design et arty des produits ou de la plateforme risquent de n’intéresser que des initiés. Les « early evangelists », chercheurs de nouveautés voguent d’une innovation à l’autre et ne sont donc pas nécessairement représentatifs des futurs acheteurs. Réussir à trouver ses clients passe avant tout par des phases de test pour trouver son market product fit, et en cela le pop-up store est l’une des meilleures solutions qui existent.

Le pop up store éphémère suscite l’intérêt du public et valorise les créations qui y sont exposées.

Créer l’évènement autour de sa marque en mettant en scène des collections exclusives: c’est une approche qui remet la relation créateur-utilisateur au centre de l’économie.

On ne propose plus seulement un produit anonyme perdu au milieu de centaines d’autres produits similaires mais une véritable expérience de partage. Magali Paris, l’explique bien”créer un pop-up store c’est être avant tout cohérent avec sa démarche de créateur, proposer un échange et non plus seulement un rayon bijoux classique”.

“Les pop up permettent de rencontrer sa clientèle en direct, offrent la possibilité d’expliquer son travail, la spécificité de ses produits et de ressentir les impressions des clients. Ça permet d’affiner ses produits ou son discours et de voir immédiatement ce qui fonctionne ”.

Le client devient unique au sein de cette boutique de passage. Comme une parenthèse dans notre société de consommation, les pop-up stores deviennent des oasis dans lesquels l’objet lui-même prend des allures d’œuvre d’art. L’uniformité est au placard, la singularité devient la règle.

Car c’est bien ce qui est en jeu dans le pop-up store: valoriser votre activité, votre inventivité, votre ambition. Loin d’une simple marque anonyme perdue dans les rayons d’un supermarché, devenez l’ambassadeur de votre talent en créant autour de vos réalisations un esprit et une atmosphère de partage unique.

En faisant-fi des conventions et des barrières institutionnelles qui peuvent s’imposer aux jeunes entrepreneurs d’aujourd’hui, les pop-up stores s’imposent comme un nouveau moyen de propulser une marque à moindre coût. En remettant l’échange et le profil du créateur au cœur de l’économie, la boutique éphémère nous propose de redéfinir notre façon de consommer. Acheter n’est plus seulement un acte dicté par notre société mais bien un moyen d’encourager le talent des jeunes créateurs et de façonner le monde de demain.

Le magasin éphémère, comme un spasme de vitalité au sein de nos traditions consuméristes, nous interroge sur la valeur même du temps. Finalement, l’évènement ponctuel et passager du pop-up store nous rappelle l’imperturbabilité de ces jours qui passent et de nos vies qui lentement s’écoulent.

Comme un manifeste ancré dans la réalité, le pop-up store nous invite à vivre véritablement hors de ces normes, de ces codes qui nous étouffent. Laissez émerger votre créativité, partagez, osez affirmer votre singularité: voilà ce que semblent nous dire ces boutiques qui, le temps d’un instant, surprennent la vacuité de notre quotidien.

“Seul l’éphémère dure » IONESCO

Sherif & Claire

Atelier Meraki

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