Simeon Nkola M.
8 min readApr 19, 2020

ANNÉE DE L’ACTION : COVID – 19 ET GRANDES CONVULSIONS

(Capture D’écran)

Ce n’est pas de gaité de cœur que je plonge ma main hésitante dans ma besace, que j’en extrais la plume pour m’infliger une pénible saignée et inonder l’étendue de la page vierge. Mon geste qui plus est manque d’être sollicité par un lectorat autrement occupé, ne sert qu’à dire les temps et les faits qui ne cessent d’inviter notre intérêt commun et nos diverses appréciations. C’est que l’année 2020, érigée en totem pour le quinquennat en cours, a connu des débuts surprenants et fait l’objet d’événements déchirants. La crise sanitaire commencée en Chine, se diffusant de fil en aiguille, a atteint nos terres, autant qu’elle s’est invitée sur d’autres rivages bien loin de la célèbre ville de Wuhan considérée comme le point de départ de la pandémie. Il s’en est fallu de quelques mois pour que la planète entre en convulsion. Bien des sujets et des problèmes ont été renvoyés au dernier rang des priorités, tellement les ravages du COVID – 19, imprévisibles, sont importants.

En 2020, les terriens découvrent avec consternation que le grand chambardement redouté depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale n’est pas de nature nucléaire mais virale. En dehors de ce que le virus accuse un taux de létalité relativement faible (moins de 10%), c’est la civilisation industrielle, mise à l’arrêt, qui prend un gros coup. À travers les confinements et la cessation complète des activités impliquant des milliards d’individus, la mort symbolique et momentanée de nos modes de vie contemporains laisse le génie moderne dans un dilemme existentiel, entre réanimation de ce qui s’éteint et invention d’un monde nouveau.

La surprenante fragilité des systèmes de santé dans les pays industrialisés, l’impréparation de l’Union Européenne, la légèreté du leadership Américain sonnent le glas de cet Occident mythique super préparé à affronter les défis et à protéger les peuples. Au même titre, la fulgurante Chine dans ses rayonnements de première puissance commerciale s’est vue prendre à contrepied par le mal insidieux qui occasionne un ralentissement productif, lequel vient s’adjoindre aux difficultés déjà présentes dans l’Empire du Milieu, sapant au passage les espoirs mondiaux de croissance.

Avec plus de 300 cas officiellement déclarés, la RDC peine de son côté à prendre ses marques, munie d’un système de riposte paradoxalement essoufflé avant l’étape cruciale et redoutée du pic. La quasi inexistence d’un système de santé basique et l’anémie de l’économie sont le décor idéal pour un chaos que tous s’évertuent à conjurer par des évocations qui appellent le miracle. Alors que chaque jour apporte son lot de nouvelles sur les morts, les nouveaux cas déclarés, les guérisons sporadiques, il est à craindre que la pandémie du COVID – 19 qui sous d’autres cieux connaît des débuts, un pic, et une décrue, ne s’installe dans le temps long et ne s’arrime au cortège morbide des malheurs qui sillonne le pays depuis déjà très longtemps.

Le revers de la médaille que la crise sanitaire a décerné à notre monde fragilisé est qu’il est dorénavant permis, plus qu’avant, de discuter des limites de la civilisation moderne et de la doctrine économique qui en est le poumon, le libéralisme. Face à l’émiettement économique et social chaque jour plus menaçants, COVID – 19 a légitimé le recyclage des mesures de protection sociale en urgence pour les ménages acculés, avant qu’il ne soit question de soutien à la relance des entreprises, le tout assuré par l’État, dans une posture aux antipodes de l’individualisme dominant des entités (individuelles, économiques) et du règne du marché dérégulé porté par la main invisible. C’était déjà le cas au lendemain de la crise économique de 2008. Les altermondialistes fiévreux y trouvent des raisons de voir poindre l’avènement d’un après, tandis que les courants d’inspiration communiste ne rechignent pas à invoquer le Grand Soir, comme le rideau semble tomber sur la civilisation industrielle, la globalisation, la multiplicité des échanges, phénomènes tenus pour responsables de la propagation du virus si pas-osons l’allégation-de sa création.

À l’exception des papotages abscons dans des cénacles restreints, le Congo n’est pas friand de joutes idéologiques, tant l’idéologie est vidée de sa substance par les éléments corrosifs de la politique politicienne et par l’assombrissement intellectuel des classes populaires asservies aux mondanités. Nonobstant ce vide théorique, il nous convient de prendre notre part aux grandes réflexions qui s’imposent pour imaginer l’après COVID – 19 au regard de nos vulnérabilités et surtout de nos opportunités. Les moyens de la riposte, initialement fixés à 1.8 millions de dollars avant d’être timidement rehaussés, accompagnés du soutien de la Banque Mondiale et de la création d’une caisse de solidarité, parviennent mal à escamoter l’âpreté de la riposte, encore que la rougeole et la maladie à virus Ebola gardent pignon sur rue chez nous.

COVID – 19 a signifié au monde l’impossibilité de faire un monde disparate, éclaté en parties individuelles solidement crispées dans l’indifférence. Les tentatives maladroitement initiées pour se soustraire à l’ordre global n’ont d’éclatant que l’effet d’annonce. L’arrêt des contributions américaines à l’Organisation Mondiale de la Santé, accusée par Washington d’avoir été inapte face à la crise, ne saurait anéantir le souci de faire dans la concertation pour conjurer le mal pandémique. De l’extrême orient, un virus qu’on a voulu affubler du nom “Chinois” prend toutes les nationalités sur son passage pour au final rassembler les grands et les petits, les forts et les faibles dans une même tragédie. Riches et pauvres, devenus compagnons d’infortune.

C’est au rendez-vous de la crise sanitaire que l’effort Congolais doit se mettre en phase avec les énergies du continent et du monde, en gardant une originalité qui permette son imbrication dans une convergence fructueuse. La mise à contribution de l’expertise Congolaise constatée dans la lutte contre Ebola au niveau africain nous permet d’envisager, sans grandes prétentions, la possibilité d’assurer, grâce aux expériences du passé, une riposte qui convient à la gravité de la situation. Pour ce faire, des moyens financiers cruciaux pour la riposte doivent être mobilisés tant pour l’approvisionnement en logistique que pour la sensibilisation d’un public abandonné aux pires affabulations sur la nature du virus et hésitant à appliquer les gestes barrières.

Si COVID – 19 en RDC par son potentiel évolutif fait craindre le pire, l’opportunité de recadrer le tir n’en est pas moins effacée. L’état d’urgence, encore tout récemment l’objet des querelles politiciennes, devrait revêtir son caractère intégral et appeler des actions rigoureuses en plus de ce qui est déjà commencé. Très peu de tests (en moyenne 120) sont conduits chaque jour dans une grande ville comme Kinshasa avec sa dizaine de millions d’habitants, pour ne pas citer l’arrière pays. Cela laisse supposer que les chiffres officiels sont de loin inférieurs à la réalité et que par ce défaut de moyens, de très nombreux cas non diagnostiqués peuvent à leur tour propager le virus en silence et faire des dégâts incalculables.

Il est donc question de survie collective dans un pays mourant. La saga judiciaire des quelques derniers jours donne à cette crise un goût plus amer quand, devant la déliquescence de l’appareil sanitaire, des personnalités politiques autrement motivées sont accusées de piocher impunément dans les caisses de l’État à coup de surfacturations, rétrocommissions, diverses coopérations et autres folies des contrats, pour des travaux partiellement réalisés ou pas réalisés du tout. Le COVID – 19 «sert» à cristalliser les consciences et à engager un examen sur le modèle de société qui nous convient, selon que nous le voulons soit individualiste, soit collectiviste. J’insérerai la brillante formule d’une compatriote qui pose en termes clairs la situation de l’existence Congolaise, celle d’être «individuellement OK mais collectivement KO.»

Sur le plan structurel et sur le long terme il va bien falloir amorcer l’inflexion de la dépendance de l’économie nationale au marché extérieur, ce qui sera déjà un travail de forçat car les efforts devront se concentrer dans la mise sur pied d’un modèle intégré de développement autocentré et dans l’erection d’une économie résiliente, moins encline à s’effriter au moindre choc extérieur. Dans l’immédiat l’appui aux ménages et à l’activité des entreprises sera crucial, aussi bien que la mise à disposition d’énormes moyens financiers pour la riposte contre COVID 19.

Point n’est besoin de gamberger outre mesure ni d’échafauder des plans de financement sophistiqués pour l’urgence en cours. À ceux qui sont tentés (je m’efforce à croire qu’ils sont de bonne foi) de réclamer une pression additionnelle sur le porte-feuille des pauvres citoyens à coup d’injonctions à la solidarité et des prélèvements sur les maigres revenus, je réponds que dans cette crise il faut plutôt de la part du leadership politique une attitude attenante à la réduction du train de vie de l’État. En terme de captation des moyens dont le pays dispose, ce dernier est un corps hypertrophié qui aspire à lui seul le gros des resources financières pour faire fonctionner une administration publique inefficace. Aux gouvernants de garder à l’esprit la dimension psychologique et émotionnelle de la guerre sanitaire en marquant une bonne fois pour toutes une volonté de rupture durable, en actant la sobriété, l’efficience, la normalité, en lieu et place du foisonnement des agences et autres structures parallèles inutilement budgétivores et de la prise en charge démesurée des princes de la cour.

Le gigantisme chronique de nos institutions doit être éradiqué. La taille du gouvernement, éléphantesque, les avantages de ses animateurs, les indemnités des anciens membres du gouvernement, les salaires et avantages des élus, pour ne citer que ceux-là, sont demeurés des tares qui consacrent l’anormalité de l’expérience censément républicaine dans un pays où 80 millions d’habitants ne prennent pas leur part à la chose publique.

Je propose que le gouvernement soit réduit de moitié, que soient abrogées les dispositions sur les indemnités et les récompenses faramineuses des anciens membres du gouvernement et des anciens présidents de la République, que le salaire des députés soit réduit à un niveau qui n’énerve pas la décence mais qui respecte la réalité des revenus de la majorité des congolais. Les importantes économies qui s’en dégageront suffiront à être canalisées vers l’achat des équipements pour des tests à grande échelle, des respirateurs, des lits, et pour la construction des centres d’accueil dans la perpective d’une explosion des chiffres (cas). C’est le sens à donner à l’expérience républicaine qui renvoie étymologiquement au bien commun et non au privé, au collectivisme plutôt qu’à l’individualisme. C’est le sens de l’action, la seule qui vaille présentement et qui vaudra dorénavant.

COVID – 19 met en surbrillance les ratés de l’expérience républicaine dans notre pays où la politique, les ors de la République et les avantages spéciaux sont considérés comme une fin en soi pour l’individu et non comme des moyens pour mettre à la disposition du plus grand nombre un cadre de vie digne, un appareil sanitaire conséquent, une école et une université publiques, une armée et une police républicaines qui peuvent être appelées à la rescousse en des temps fâcheux comme on sait le voir ailleurs.

L’idée maîtresse quant à l’après-crise doit être celle du vivre-ensemble et du bien commun pour casser l’individualisme des élites politiques et pour éteindre le virus de l’indifférence citoyenne qui nous a caractérisé depuis si longtemps. Chaque détournement a une incidence sur les citoyens. Les villas, les véhicules de luxe acquis injustement, les compte bancaires bien garnis sont établis sur un amas de malheurs et de morts qu’on aurait pu éviter en construisant un hôpital, en fournissant seringues et médicaments (non périmés et pas commandés à une quincaillerie).

D’un mot : nous devons renaître. Là où la prédation, les guerres, les vols et les viols n’ont pas asséné un choc suffisant pour nous mettre en branle, que COVID – 19, par la menace qu’elle représente, signifie pour toutes et pour tous une question de vie ou de mort et que maintenant, dans les consciences des citoyens et les actes des détenteurs du pouvoir politique, débute l’invention de l’après.

Simeon Nkola Matamba

Simeon Nkola M.

Des mots pour ceux qui les aiment, des maux pour les censeurs.