Être planneur stratégique en agence digitale

Le point de vue d’une planneur stratégique sur les spécificités de son métier en agence de com’ digitale

Yuna Orsini
9 min readJan 4, 2016

Si la légitimité du planning stratégique n’est plus à prouver au sein des agences de publicité, la présence d’un/e planneur strat’ ne relève pas toujours d’une évidence pour les agences digitales. Difficulté de vendre du conseil et de la stratégie, passage complexe et coûteux d’une logique de production à une logique de conception, monopole délicat des commerciaux sur le relationnel prospects et clients… nombreuses sont les raisons qui rendent les agences digitales frileuses à l’idée de développer le planning stratégique.

Incompréhension, coût, complexité : nombreuses sont les raisons qui rendent les agences digitales frileuses à l’idée de développer le planning stratégique en interne.

Malgré tout, je ne m’attarderai pas sur ce point dans ce billet. Depuis bientôt 3 ans, je suis planneur stratégique chez MOONDA, une agence de communication digitale bordelaise qui a compris l’intérêt d’intégrer une telle fonction et qui m’a donné l’opportunité de monter ce poste de toute pièce. Trois ans, c’est long et cela passe vite en même temps ! Ce laps de temps m’a permis de développer un point de vue sur le rôle du/de la planneur stratégique en agence digitale. J’aimerais le partager avec vous.

Un peu d’histoire du planning stratégique

Les années 60 voient les balbutiements du planning grâce aux initiatives d’agences publicitaires américaines et britanniques.

En imaginant l’account planning, Stanley Pollitt avait la volonté de créer un poste de recherche hiérarchiquement équivalent à celui du directeur de clientèle.

En 1965, l’agence de publicité BMP (Boase Massimi Pollitt) met en effet au point une nouvelle méthode appelée “strategic planning” dans le but d’améliorer l’utilisation de l’information sur la cible et la marque, pour une meilleure création publicitaire. Elle suit la volonté d’un de ses cofondateurs de créer un poste de recherche hiérarchiquement équivalent à celui du directeur de clientèle. C’est la naissance de l’account planning, qui se développe ensuite au sein des autres agences anglo-saxonnes.

Avec l’account planning, les agences anglo-saxonnes innovent et misent sur une meilleure création publicitaire, fondée sur l’étude de la marque, du marché et de la cible.

Les grandes agences de publicité françaises attendent les années 80 pour s’adapter et créent elles aussi un département de planning stratégique. Puis, ce n’est qu’à partir de l’an 2000 que le métier intègre doucement les annonceurs et les autres types d’agences : les agences de publicité plus modestes, les agences média, les agences de communication globale et -nous y voilà- les agences de communication digitale…

Tentative de fiche de poste de planneur stratégique en agence

Difficile de définir de manière exhaustive le poste de planneur stratégique en agence ! Pourquoi ? Parce qu’il existe probablement autant de visions du planning stratégique que de profils de planneurs stratégiques.

Cependant, une évidence met tout le monde d’accord : le/la planneur stratégique a notamment pour mission de s’assurer que les concepts stratégiques et créatifs qui émergent soient, à la fois :

  • Cohérents avec la plateforme de marque (ses valeurs, son territoire… en bref son ADN)
  • En phase avec le marché (les tendances, les opportunités, les menaces…)
  • Pertinents par rapport à la cible (ses besoins, ses attentes, ses envies…)
  • Au choix percutants, incisifs, efficaces, innovants

C’est principalement ce qui va guider le/la planneur stratégique dans ses réflexions et échanges avec les équipes.

Le/la planneur stratégique s’assure que les concepts stratégiques et créatifs soient à la fois percutants, pertinents par rapport à la cible, cohérents avec la plateforme de marque et en phase avec le marché.

Ainsi, lors d’une intervention à MMI Bordeaux l’année dernière, j’ai expliqué aux étudiants que cette capacité du/de la planneur stratégique à se placer du point de vue du consommateur, tout en gardant en tête les enjeux de la marque et les opportunités du marché, le/la positionne de manière logique et naturelle comme une interface entre les commerciaux et les créatifs.

En agence, le/la planneur stratégique est (notamment) l’interface entre les commerciaux et les créatifs.

De manière plus concrète, le/la planneur stratégique :

  • Challenge et traduit les briefs clients
  • Recherche des informations, les analyse et les synthétise
  • Prépare et anime des brainstormings
  • Mène des études et des entretiens
  • Est au cœur de la conception stratégique
  • Enclenche, suit et accompagne le processus créatif
  • Veille et conseille les clients

Ces tâches ne sont pas exhaustives. Selon les structures, le/la planneur stratégique dispose de plus ou moins de temps alloué à la recherche et à l’analyse, travaille plus ou moins pour les compétitions et le newbiz, est plus ou moins garant/e du positionnement et de la communication de son agence, est plus ou moins en contact direct avec les clients ou en représentation extérieure, produit plus ou moins de contenus à visée commerciale, est plus ou moins responsable de la sensibilisation ou de l’évangélisation des équipes internes, est plus ou moins impliqué/e dans la création artistique ou dans la rédaction de contenus

Résumons : en agence de pub ou de com’, le cœur de métier du/de la planneur stratégique est plutôt clair et le reste de ses missions dépend énormément de la structure dans laquelle il/elle exerce. Mais alors, dans une agence de communication digitale, que fait le/la planneur stratégique ? A l’heure de la digitalisation de tous les services, de tous les supports, de tous les profils… parle-t-on également de “planneur stratégique digital” ?

Après le/la planneur stratégique… le/la digital planner ?

En agence de communication digitale, les équipes conçoivent et produisent des “supports digitaux”, Web et mobile. Les clients demandent même l’audit de leur “écosystème digital” ou la préconisation de “stratégies digitales”. Le raccourci pourrait être vite réalisé : le/la planneur stratégique doit comprendre les internautes, maîtriser les réseaux sociaux, décrypter les derniers mèmes ou manier les devices comme un millennial voire un centennial le ferait… pourquoi ne serait-il/elle pas un/e planneur exclusivement “digital” ?

Dans une agence de communication digitale où les équipes conçoivent et produisent des réponses digitales, pourquoi le/la planneur stratégique ne serait-il/elle pas un/e planneur purement “digital” ?

C’est tentant, mais non ! Le/la planneur stratégique est garant/e de la pertinence de la solution proposée. Et même si cette dernière est digitale, il/elle doit pour cela avoir étudié un consommateur omnicanal, analysé ses besoins et ses usages qu’ils soient online ou offline (d’ailleurs cette distinction existe-t-elle encore de nos jours ?), anticipé les attentes et les opportunités d’un marché dans sa globalité, respecté une marque vivante, globale et possédant souvent un passé riche et traditionnel…

Même si la solution préconisée est digitale, le/la planneur stratégique doit, pour s’assurer de sa pertinence, avoir étudié un consommateur omnicanal ainsi que ses besoins et ses usages, qu’ils soient online ou offline.

En 2011 déjà, “Le Planneur” publiait un billet d’humeur très intéressant : “le Digital Planner : un gars du Web”. A lui seul, il résume avec beaucoup d’humour le paradoxe qui existe derrière la notion de planneur stratégique digital. En voici un extrait pour vous donner envie d’aller le lire :

L’autre jour à l’agence on a reçu un “Digital Planner”… et on s’est bien marré. Alors vous allez me dire, mais qu’est-ce que ça peut bien être qu’un Planneur Digital ? Et bien on s’est posé la même question, on lui a demandé, et on a pas été déçu.

Sa conclusion est moins légère et je ne chercherai pas à la paraphraser :

Si on se coupe sciemment du web on n’est pas (ou plus) planneur mais tout juste une curiosité, un reliquat d’une époque révolue (nous sommes d’accord). Mais à l’opposé, si on décide de ne se préoccuper que du web, on ne fait pas du planning stratégique non plus (ou du moins on n’en fait qu’à moitié).

Du coup, qu’attend-on d’un/e planneur stratégique en agence de communication digitale ? Pour moi, au-delà du questionnement autour du titre du poste et du périmètre des médias à prendre en compte, des combats plus intéressants sont à mener en agence.

Le défi : de la conception stratégique à la conception UX ?

Je ne souhaite pas minimiser l’importance de la conception stratégique. Elle est indispensable, guide tout travail créatif, garantit une réponse précise, efficace et parfois innovante.

Mais en agence de communication digitale, la création de supports de communication est de plus en plus synonyme de conception de produits digitaux et plus largement d’expériences digitales. Après avoir déterminé un concept global et un angle d’attaque stratégique, on fait de nouveau face à un défi de taille : concevoir des parcours, des interfaces et une expérience optimaux. Même si on est toujours dans une recherche d’efficacité, on n’est plus dans la prise de parole traditionnelle d’une marque mais dans la création plus complexe d’usages.

Après avoir déterminé un concept global et un angle d’attaque stratégique, on fait de nouveau face à un défi de taille : concevoir des parcours, des interfaces et une expérience optimaux.

Luc Wise, co-fondateur et DG en charge de la stratégie chez Herezie, s’exprime dans une interview à propos du planning stratégique :

Mon métier au-delà de fournir un service, c’est de créer des produits qui soient efficaces. Je pense que beaucoup d’agences françaises ont créé un planning juste pour fournir un service.

Pour moi, en agence de communication digitale, la mission du/de la planneur stratégique ne s’arrête donc pas à définir un concept stratégique. Son rôle est également de travailler main dans la main avec les équipes créatives et techniques pour concevoir efficacement ces nouveaux produits.

Bien entendu, ce rôle semble se positionner bien loin du cœur de métier publicitaire historique et représenter plutôt celui des UX designers. Mais l’UX design, spécialisation émergente, n’est pas forcément en place dans toutes les agences et de nouvelles réflexions, de la plus théorique à la plus pragmatique, naissent ainsi au sein du planning :

La stratégie de marque au service du design produit

Pour conclure cet article, j’aimerais vous partager un article très intéressant, qui montre que la stratégie de marque et le design produit sont/doivent être intimement liés et que l’un prend toute son ampleur quand il est cohérent avec l’autre.

Products can suffer growing pains if they are conceived, gestated, and born into the world without the guiding hand of the brand. On the flipside, brand strategy can have an enormously reassuring influence on the design of a product.

Dans la même optique, un billet très poétique a attiré mon attention il y a quelques temps sur Medium. Il est intitulé “Why the Google ‘I’m Feeling Lucky’ button is more than just a button…” et nous fait comprendre que chaque choix de design, aussi minime soit-il, peut avoir un effet incroyable sur la perception de la marque, sur la fameuse expérience positive à ancrer dans le cerveau de notre consommateur.

We’ve always believed that small elements in design can have a profound effect. The nuances, the details, the subliminal messages. These intangibles are what separates a good brand from a great brand.

Bref, de nombreuses réflexions qui nous promettent de beaux challenges à relever par les marques et par leurs agences !

Je serais ravie de lire vos retours d’expériences ! Que ce soit pour parler de planning stratégique, de conception en agence digitale, ou de l’importance de la stratégie de marque et de l’UX, n’hésitez pas à laisser un commentaire.

Si cet article vous a plu, n’oubliez pas de le recommander ou de le partager !

--

--

Yuna Orsini

Freelance #UX designer · User research, strategy and service design · A half of http://team-ux.com · #DesignThinking advocate