Rien ne changera demain, et c’est exactement ce dont nous devrions avoir peur de ce qui pourrait se passer

Zali Falcam
7 min readJun 23, 2024

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Le principal mensonge de la pop culture (de la culture tout court en fait), concernant les régimes autoritaires, c’est sans doute l’immédiateté du basculement de la démocratie vers le fascisme. Pouf, Palpatine dégomme Yoda, et le lendemain, hop, l’intégralité de la galaxie de Star Wars vit dans les impénétrables ténèbres du côté obscur. Hitler arrive au pouvoir, et boum, par magie le lendemain le soleil ne se lève plus sur l’Allemagne. L’Armée Rouge s’installe en Europe de l’Est, et zou, fastforward jusqu’au chars qui écrasent Budapest (ou Prague, choisissez votre massacre préféré).

Le fait est que ça ne fonctionne pas comme ça. Vendre un basculement soudain, immédiat et irréversible (jusqu’à l’arrivée d’un sauveur providentiel sur son cheval blanc) lors de l’arrivée au pouvoir d’une bande de fachos, c’est prendre nos adversaires pour des imbéciles et des gens incapables de pousser leur agenda de merde autrement que par des colonnes de stormtroopers tirant sur des bébés parce que ça les amuse.

Partout ou l’extrême-droite (ou d’autres régimes autoritaires de la même engeance) sont arrivés au pouvoir, c’est la même chose. Le lendemain, les gens continuaient d’aller au travail, le soleil continuait de se lever, les tramway de circuler, le pain d’être acheminé dans les boulangeries. Si le RN accède au pouvoir, ça sera pareil. Ils ne vont pas mettre le pays à feu et à sang. Il vont installer, au moins un temps, un sentiment rassurant de normalité. Ils vont multiplier les déclarations modérées. Ils ont déjà commencé : “mais non, on ne va pas vendre l’audiovisuel à Bolloré (pas tout de suite)” “mais non, on ne va pas interdire la viande cacher (avant 2027)”, “mais oui, on va faire un gouvernement d’union nationale avec des gens de gauche (Michel Onfray et Manuel Valls ou assimilé)”.

Parce que leur projet n’est pas de foutre le pays en feu en riant avec un accent allemand et un monocle dans un panzer début août 2024. La réalité n’est pas un mauvais dessin de presse. Leur projet c’est de transformer profondément la société, de consolider leur pouvoir, et d’augmenter progressivement leur assise sur nos esprits. De se rendre, par des milliers de petites coupures, les destructeurs progressifs du régime qu’ils entendent refaçonner à leur image. C’est ce qui s’est passé en Pologne, en Hongrie, en Italie. Pas de guerre civile. Pas de rayon laser tirés depuis l’espace sur la base rebelle. Non.

Voilà ce qui s’est passé dans l’Amérique de Trump, dans le Brésil de Bolsonaro ou dans la Hongrie d’Orban. Un remplacement progressif des juges désobéissants (“mais non vous n’êtes pas virés, juste transféré à Plougazou les Oies”). Attendre que les patrons de chaînes de télé et de radio finissent leur mandat pour les remplacer par des proches inamovibles. Remplacer les gens un par un au Conseil d’Etat, à la Cour Suprême, dans les rédactions, dans les DRAC, aux commissions, partout ou c’est possible. Faire fermer les départements de science humaine au CNRS parce qu’après tout ça coûte tellement cher sans pour autant produire de valeur industrielle pour notre pays. Réformer à la marge les lois électorales et le découpage des circonscriptions pour empêcher un maximum de gens jeunes et politisés de voter (mais c’est une réforme technique pour empêcher la fraude, ne vous inquiétez pas). Utiliser paisiblement et tranquillement tous les outils “légaux” pour faire passer des lois “de bon sens”, même sans majorité. Après tout, Macron a passé sa vie à régner à coup de décrets, de 49.3, de 49.1, à s’asseoir sur l’esprit de la loi et sur le fonctionnement normal de la cinuième république. On ne fait rien d’autre que ce qu’il a fait, pas vrai ?

Bien sûr, des bandes de fachos iront tabasser des personnes LBGTQIA+, des étrangers, des militants, puis des responsables d’associations caritatives, puis des journalistes, puis un peu tout ce qui osera moufter. Mais comme en Italie, le discours ça sera “ah mais c’est pas nous. C’est de dangereux extrémistes, et puis après tout, il y a de bonnes personnes des deux côtés” etc. On connait. Marine Le Pen a déjà commencé à dire dans les médias que l’aide soignante qui se fait traiter de “bonobo” qui “doit rentrer à la niche”, en vrai, c’est ptet pas si raciste que ça et si ça se trouve c’est elle la vraie raciste, on ne sait pas. Contexte, comme dirait un certain Youtubeur, etc.

La police restera passive, elle a l’habitude. Comme dans le film Z de Costa-Gavras, qui nous racontait déjà très bien tout ça en 1969, deux ans après que son pays natal, la Grèce, ait subi sensiblement le même procédé à la suite du coup d’état de Papadopoulos et ses copains. Le discours des chaînes de Bolloré, et puis fatalement de tous les médias où ils auront pu poser leurs potes, sera toujours le même “le gouvernement condamne les violences”, les violences qu’il aura organisé ou laissé organiser.

Et puis il y aura le moment où ça va commencer à sérieusement triturer dans le moteur : les lois de finances qui feront sauter les subventions d’état à ceux qui n’accepteront pas de signer je ne sais quelle charte atroce. Les trucs qui vont marginaliser le planning familial (je vous l’écris à l’avance: “ce n’est pas à l’état de financer des associations militantes d’extrême-gauche dont les missions doivent être assurées par des familles et qui refusent de signer notre contrat républicain concernant les valeurs françaises”). La restructuration des politiques publiques pour empêcher tout ce qui serait la moindre épine dans la machine de la finance ou du patronat conservateur.

On peut permettre énormément de choses sous le couvert de “lois de bon sens”, de “mesures d’urgences”, de “réorientation stratégiques”. On peut donner énormément de force à des mouvements anti-gays, anti-femmes, anti-migrants, anti-ong, sans jamais franchir la ligne de ce qui est techniquement illégal. La loi ça se change. Petit à petit. Jusqu’à ce qu’on ne puisse plus rien faire, sinon lutter pendant cinq, dix ou quinze ans avant de virer ces gens du pouvoir, et retrouver un état aux institutions relativement similaires en apparence, et transformés en profondeur en réalité au service d’une révolution conservatrice abominable.

Cette tactique consistant à démanteler progressivement des institutions plongée dans le chaos, la sidération et l’ingouvernabilité pour leur faire atteindre un point de non-retour à plusieurs noms. En Hongrie pré-soviétique, ce fut par exemple la Tactique du Salami du sinistre Mátyás Rákosi, consistant à détruire progressivement toutes les organisations contestataires par un jeu de fusion, d’alliances et de réformes progressives. Entre 1945 et 1949, les institutions hongroises et les élections locales fonctionnent “presque” normalement, alors que les figures qui garantissent leur bonne marche sont en réalités dégagées une par une. Le 20 août 49, le pays devient une dictature à parti unique. Un système similaire est mis en place en République Tchèque à la même époque, merveilleusement décrit dans le jeu vidéo documentaire Svoboda 1945 de Charles Games.

Ce dernier décrit parfaitement la manière dont un pays bascule dans un après non pas d’un seul coup, mais lentement, doucement, pas à pas, alors que le quotidien est, pour l’immense majorité de la population, relativement normal et continu. Et c’est exactement le projet des partis d’extrême-droite en Europe. Prendre d’abord le contrôle des institutions, y placer leurs potes, modifier des trucs ici ou là pour se rendre quasiment invirables (ou du moins transformer ces institutions pour en faire des machines à leur service, même quand ils ne seront plus là). Et puis ouvrir petit à petit le champ de ce qu’il est possible de dire, de faire, qui il est possible (et perçu comme légitime) d’agresser, d’insulter, ou d’expulser. Ou de tuer.

Si demain le Rassemblement National arrive au pouvoir, rien ne changera dans la loi (pas immédiatement), les JO auront lieu, l’Euro de Foot ne sera pas annulé et les rediffusions de films chiants à la télévision prendront place comme d’habitude. Votre série télévisée préférée sera diffusée sur Disney + et la librairie du coin organisera ses tables pour la rentrée littéraire. Les facs ouvriront en septembre. Personne ne vous empêchera de partir en vacances, votre salaire ne changera pas, Macron ne cessera pas d’être arrogant, et le prix du pain ne va pas tripler. Alors ils vous diront “vous voyez ? On est au pouvoir et c’est pas la fin du monde, c’est les autres les vrais fachos, ceux qui vous ont menti sur nous”. Alors leur entreprise de détricotage de l’état à leur profit et au détriment de tout ce qui n’est pas accepté dans leur projet de société va commencer. Pèle-mèle, les femmes, les gays, les personnes non valides, les étrangers, les descendants d’étrangers, les syndicalistes, les précaires, les artistes, les chercheurs, les fonctionnaires, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les personnels soignants.

Pas tous en même temps. Pas ouvertement. Mais petit à petit, jusqu’à ce que le pays ressemble à la Hongrie du Fidesz ou à la Pologne du PiS : des pays économiquement à la traine, sans autre cap politique que l’accaparement des ressources au profit d’une bande de mafieux jouant sur la peur de tout et de tout le monde pour se garantir un petit capital électoral au service d’un système électoral donnant une énorme prime garantie au parti au pouvoir. Ça tombe bien, ça sera eux.

Personnellement, ne j’ai pas envie de vivre ça, je n’ai pas envie que mes proches vivent ça, et je n’ai pas envie qu’on passe cinq, dix ou vingt ans à essayer de virer ces saletés des postes à responsabilité. Le 30 juillet prochain, on envoie des centaines de députés du Nouveau Front Populaire à l’Assemblée et on évite de donner les clés de la bagnole à des gens qui veulent l’utiliser pour écraser d’autres gens avant de la planter dans le mur.

Le NFP n’est pas parfait ? On sait. Mélenchon, Hollande et Glucksman sont insupportables ? On sait aussi (en face ils ont Macron, Ciotti et Bardella, pour rappel, et ça les empeche pas de voter alors que franchement…). Mais personne dans cette alliance du NFP n’est un danger direct pour les personnes les plus fragiles du pays, ni pour les institutions du pays lui-même. Alors, on prend ses responsabilités et on empêche la cata tant que c’est encore possible.

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