Design sans frontières, ou comment trouver un job au bout du monde
par Sophie Taboni, User Experience Designer, Isobar Melbourne
Chercher un nouvel emploi n’est pas toujours aisé. Mais que dire d’une recherche d’emploi à l’étranger ! Manœuvrer à distance, dans une langue étrangère, sans pouvoir se reposer sur votre réseau habituel, ni sur votre connaissance des agences ou entreprises locales… Beaucoup de challenges attendent les candidats au voyage.
Ayant récemment quitté travail et appartement à Paris pour m’expatrier en Australie en compagnie de mon conjoint, Nicolas Catherin, lui aussi UX designer, j’aimerais partager avec vous certains enseignements de cette expérience.
PREMIÈRE ÉTAPE : Se renseigner sur le marché du travail du pays d’accueil
Avant toute chose, il faut vous décider sur une ou deux destinations au maximum. Même si cela vous est égal de partir aux États Unis, au Canada ou en Australie comme c’était notre cas, la recherche d’emploi nécessite des actions ciblées qui ne sont pas compatibles avec l’indécision.
Le jour où nous avons décidé, mon ami et moi, que nous partirions à Melbourne en Australie, la recherche d’emploi a pris un tout autre tournant. Avant cela, nous répondions indistinctement à des offres provenant de Toronto, Montréal, Sydney et Melbourne, ce qui s’est avéré inefficace.
Connaître la destination nous a permis de nous concentrer sur l’étude du marché du digital à Melbourne. Nous nous sommes posés les questions suivantes :
- Quelles sont les principales agences digitales ?
- Lesquelles intègrent la pratique de l’UX, voire se spécialisent dans le domaine ?
- L’UX est-il bien intégré dans les entreprises, côté client ? Y a-t-il des opportunités de ce côté là ?
- Qu’en est-il des startups ?
Pour trouver des réponses, nous avons cherché sur internet, notamment à travers les offres d’emploi et Linkedin (en passant d’agence en agence, de profil en profil). Mais nous avions surtout besoin de conseils de personnes sur place et à première vue, nous ne connaissions personne en Australie…
DEUXIÈME ÉTAPE : recréer un réseau
Personne vraiment ? A la réflexion, n’ai je pas un ancien collègue qui vit là bas en ce moment ? Et nos familles, collègues, amis n’ont-ils pas des relations en Australie ? Quand il s’agit créer un réseau à partir de rien, il ne faut pas hésiter à explorer toutes les pistes.
Nous avons donc contacté deux ou trois anciens collègues vivant là bas pour avoir plus d’informations, mais aussi des connaissances de connaissances, que nous n’avions jamais rencontré. Vous serez surpris de voir à quel point les gens qui ont connu une expatriation sont enclins à la partager avec vous !
Nous avons ainsi obtenu un premier tableau du marché du travail, des visas, des sites d’offres d’emploi spécifiques à l’Australie et au digital…
Pourtant, nous avons rarement répondu à des offres directement. Le taux de retours (positifs ou négatifs) était tellement faible que nous avons vite abandonné cette piste. Les offres nous ont surtout aidé à identifier les agences et entreprises du secteur.
Comme on peut s’y attendre, Linkedin a été d’une grande aide pour construire un réseau. Nous nous sommes inscrits sur le groupe UX Melbourne et tout autre groupe relatif à notre métier sur Melbourne. Mais surtout, après avoir identifié les agences où nous souhaiterions travailler, nous avons identifié les personnes clés dans ces agences et les avons contacté directement pour parler de notre démarche et leur demander des conseils sur la manière de s’implanter dans le secteur UX à Melbourne.
Nous ne répondions pas à une offre d’emploi, nous ne cherchions pas à nous vendre directement : juste 5 lignes sur Linkedin pour demander une aide informelle. Et ça s’est avéré payant ! Plus de la moitié des gens ont répondu positivement. Il a fallu bien les cibler auparavant bien sûr, il ne s’agit pas de bombarder indistinctement les professionnels du secteur. Vous devez faire des choix (agence? entreprise? start-up ? Petite agence ? Grande agence ? Spécialisée en UX ? Généraliste ?…). Cela prend du temps mais le jeu en vaut la chandelle.
Si vous obtenez une réponse à la première prise de contact, il ne vous reste plus qu’à détailler un peu plus votre profil et demander une discussion sur Skype, ce qui marche la plupart du temps.
TROISIÈME ÉTAPE : savoir se présenter et faire la différence
Une fois que vous avez attiré l’attention de vos interlocuteurs, il va falloir la garder. Comment faire la différence et leur donner envie de considérer une embauche alors que vous êtes à 16790 km, que l’anglais n’est pas votre langue natale et que vous nécessitez un visa qui va probablement leur coûter de l’argent ?
Se présenter. Si ce n’est pas votre première recherche d’emploi, vous avez peut être déjà un CV et un portfolio. Bon départ. Mais il va falloir retravailler tout ça. Votre site est-il en anglais ? Non ? Au boulot. Et votre CV ? Il ne suffira pas de le traduire. Il va falloir l’adapter. Là aussi votre réseau sur place peut vous aider. Il est peut être bon de faire appel à un ou deux chasseurs de tête sur place qui vous diront quelles sont les spécificités locales pour la rédaction d’un CV. En Australie, par exemple, pas question de résumer 7 ans d’expérience, plus les études, en une seule page, comme on le demande parfois en France. Il nous a fallu détailler au maximum notre CV. Les études doivent aussi être explicitées. Qui connaît les classes préparatoires françaises en Australie? Connaissent-ils la signification et le contenu de votre Master? Sont-ils familiers des intitulés des diplômes français?
Maintenant que vous avez un portfolio et un CV adaptés à votre audience, il va falloir faire la différence et apporter le petit plus qui va faire remonter votre profil en haut de la pile de candidats.
Vous différencier. Il n’y a pas de recette toute prête pour cela bien entendu. Je peux juste vous exposer la manière dont nous avons procédé pour tenter de marquer les esprits des employeurs potentiels.
Il y a quelques années, une candidature, élaborée par Alisson House avait eu quelque retentissement sur le web. Elle avait développé un mini site spécifiquement pour postuler chez Carsonified, un studio digital anglais. A l’époque, l’idée nous avait paru intéressante (d’autant plus qu’elle avait marché) mais il nous semblait que cela représentait beaucoup d’investissement pour cibler une seule agence. Quand nous avons décidé de partir à Melbourne, nous avons repensé à ce concept de site dédié à la recherche d’emploi mais nous souhaitions maximiser le retour sur investissement. Il ne s’agissait pas pour nous simplement de trouver un nouvel emploi mais aussi un visa, de s’intégrer dans un nouveau pays… L’idée est alors apparue de présenter notre aventure, tout en profitant de cet espace pour parler de nous, nos expériences et rediriger les employeurs vers nos CVs et portfolios respectifs. Nous avons donc crée un petit site dédié, intitulé ‘We are moving’.
Mais, me direz-vous, “Je n’ai pas le temps pour ce genre de choses ! ”. Un tel projet ne devrait pourtant pas nécessairement prendre trop de temps. De l’idée à la mise en ligne, wearemoving.net nous a pris 2 semaines (et nous travaillions en semaine en agence). Je pense qu’une des raisons à cela est que nous l’avons traité comme un vrai projet. Un conseil : Ne sautez aucune étape (conception, wireframing, design graphique, intégration) et reposez vous sur les personnes qui ont des compétences que vous n’avez pas. Nicolas et moi avons réalisé la première phase ensemble et travaillé avec un intégrateur (le talentueux STPO) pour le développement. Les décisions de conception ont aussi été faites sur le principe du ‘minimum de temps — maximum d’impact’.
Je suis certaine que des centaines d’idées permettant de vous différencier n’attendent que vous pour être réalisées. Brainstorm time!
Cibler votre audience. J’ai déjà évoqué la manière dont vous devez cibler les entreprises et personnes au sein de ces entreprises. Mais pourquoi pas profiter de votre mini projet pour attirer l’attention sur vous ? Initialement nous avons lancé wearemoving.net sur les réseaux sociaux. Il était étonnant d’observer sa diffusion au cours du temps, liée à telle publication, à tel retweet… Mais, si le succès de ce petit site nous a fait plaisir, il était néanmoins très mal ciblé ! Nous avons reçu messages et offres d’emploi de Hong Kong, Singapour, Washington, New York, Munich, Barcelone et même Varsovie ! Aucune provenant d’Australie, ce qui n’était pas tout à fait l’effet escompté…
Par la suite, en postant le site sur le groupe UX Melbourne, et en l’utilisant pour contacter ou recontacter les agences que nous avions présélectionné, nous avons eu des retours plus ciblés et obtenu beaucoup d’entretiens.
QUATRIÈME ÉTAPE : les entretiens
Les entretiens sont peut être l’étape la plus difficile à distance. Pour Nicolas et moi, ils se sont avérés être un parcours du combattant. Nous étions en plein déménagement et notre colocataire avait coupé internet ! Des entretiens sur Skype en 3G à 7 heures du matin avec le décalage horaire, au milieu des cartons, c’est un sport de haut niveau ;-)
Plus sérieusement, la qualité d’écoute est moindre en téléconférence. Ajoutez à cela la barrière de la langue, le manque de connexion émotionnelle apportée par une présence physique, vous vous rendrez compte qu’il vaut mieux privilégier les entretiens sur place.
Les entretiens Skype sont néanmoins un bon moyen d’établir un premier contact visuel. Ils se sont toujours concrétisés en un entretien face à face quand nous avons débarqué à Melbourne. Ils nous ont permis d’arriver avec des agendas de ministres pour les deux premières semaines et de décrocher un emploi et le visa tant recherché !
À vous de jouer
Je ne peux qu’encourager les designers à s’expatrier quelques années à l’étranger. La recherche d’emploi est intimidante et un peu plus complexe mais elle est loin d’être insurmontable. Elle demande juste un peu plus de préparation. J’espère que ce petit retour d’expérience vous aura donné quelques clés et surtout l’envie de tenter l’aventure!