Ben t’es malade ?

Episode 1 : quitter son job ou passer à mi-temps ?

Sylvaine Pettens
6 min readJun 15, 2016
© S. Pettens La piscine-Roubaix

En décembre dernier, après 2 années de vaines tentatives pour faire évoluer mon boulot dans lequel je dépérissais à petit feu, je saute à l’eau et je décide de me mettre à mi-temps.

Faire le même boulot depuis 19 ans, c’est bien joli, mais il faut savoir en sortir si on ne veut pas finir aigri et dépressif !

Je suis d’un tempérament plutôt gourmand quand il s’agit d’apprendre, d’expérimenter dans tous les domaines. Je suis hyper connectée et je ne supporte pas la hiérarchie. Je ne fais pas partie de la génération Y, encore moins Z, plutôt X. Mais tout ça ne veut rien dire pour moi. A part le fait que je ne suis pas la cible privilégiée des chasseurs de tête, et que la mienne, de tête, est plutôt bien installée sur mes épaules, j’ai pris la décision de ne pas partir de mon boulot sur un coup de tête. Un jules, des mômes, ça préserve des actions irréfléchies !

Alors pourquoi pas un mi-temps ?

j’ai passé 2 ans à essayer de faire comprendre à ma hiérarchie qu’on ne peut pas laisser les gens végéter en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles, tout en proposant des projets novateurs (oui j’ai pas honte de le dire, ils étaient novateurs pour ma boîte !).

2 ans à me prendre la tête en me disant que je ne peux pas continuer comme ça, et surtout que les années de travail qu’il me reste à faire, je veux qu’elles aient du sens, qu’elles me nourrissent intellectuellement et qu’elles soient en accord complet avec mes valeurs et ma vision de l’évolution du monde du travail. Donc, si mes projets n’aboutissent pas en interne, je vais les développer en solo, à l’extérieur.

Bon, j’avoue, Bernard Stiegler m’a bien aidé pour prendre ma décision. Quand j’ai lu son bouquin “l’emploi est mort, vive le travail” ça m’a fait tilt : je ne veux plus un emploi, je veux un travail, un vrai ! Et tant qu’à faire, ce sera un travail sur mesure puisque c’est moi qui vais le créer.

Donc entre ma fille qui me martelait “quitte ton job”, sous-entendu tu nous emmerdes, arrête de râler et passe à autre chose tu deviens aigrie, et mon jules qui m’encourageait avec plus de bienveillance à envisager un sacrifice financier pour mon bien-être, je me suis dit que le vrai défi était là, et qu’il fallait y aller, pour ma santé mentale et donc pour l’équilibre familial.

Donc je me lance !

1ère étape, je demande à mon N+1 (vive le jargon sans vie du monde de l’entreprise !)de passer à mi-temps. Réaction tout à fait saine et humaine : “je comprends ta démarche”. Il m’a vu m’user les nerfs à proposer moult projets, m’investir dans le digital learning alors que personne n’y croyait (c’est toujours le cas en 2016 dans ma boîte !) et me retrouver seule face aux critiques de mes chers collègues quand je leur disais : “si vous ne bougez pas maintenant, dans 5 ans vous êtes morts !”. Brutal, certes, mais vrai professionnellement parlant !

2ème étape, mon N+1 demande à mon N+2 (c’est encore la version mille feuille du management qui prône dans ma boîte). Réaction comptable : “chic, je vais pouvoir faire baisser ma masse salariale !”. Aucune question sur le pourquoi de la chose, sur ce qui me motive dans ma décision et sur ce que je souhaite faire de mon mi-temps.

3ème étape, mon N+2 valide ma demande et cette dernière part à la DRH pour validation finale. 1 semaine plus tard, je reçois dans ma boîte aux lettres un courrier de la DRH qui me confirme qu’elle accepte mon mi-temps et qui me demande de renvoyer au plus vite un avenant à mon contrat de travail signé (On ne sait jamais, je pourrais changer d’avis au dernier moment…no way !).

Au cours de ces 3 étapes qui ont été étonnamment rapides (la boîte ne m’avait pas habituée à ça depuis que j’y travaille : c’est le résultat du choc de simplification administrative peut-être ?) je n’ai vu que mon responsable direct, qui n’est aucunement décisionnaire dans le choix final. Personne n’a eu envie de me rencontrer pour que j’explique ma démarche.

Bon là j’avoue que mon ego en a pris un coup. Je pensais naïvement que je pourrais en profiter pour dire ce que j’avais sur le coeur, voire même qu’on me dirait : “écoute, vas-y, lance toi, propose-nous quelque chose et on en reparle. On a été un peu débordés ces derniers temps…”

En fait non ! Là on comprend qu’on n’est vraiment pas indispensable parce que le service va continuer de fonctionner malgré tout, avec 1/2 personne en moins. Le reste, les collègues, la charge de travail, mes motivations, mes projets pour l’entreprise, on s’en fout !

Voilà, en 2016 on en est encore là ! Les coûts, la marge, le pognon…. Mais les projets innovants qui pourraient être utiles à l’entreprise, ça n’intéresse personne. L’apport et la richesse de ceux qui voient plus loin (je ne suis pas la seule dans ce cas là malheureusement…) itou. Surtout quand la personne qui propose n’est qu’une simple collaboratrice. (ah les dégâts de l’entre soit même au plus petit niveau….)

Quand j’ai annoncé en réunion de service que j’allais démarrer 2016 avec de nouveaux projets et que je passais à mi-temps, silence frisé…Aucune question, pas de surprise dans les yeux de mes collègues (ils m’ont tellement entendue râler ces dernières années !) juste un silence gêné.

Alors imaginez la tête de tout ce petit monde quand je leur dis que je vais prendre l’air, me ressourcer, prendre du temps pour moi, et tant pis si je gagne la moitié de mon salaire car être dans bien dans ma peau c’est primordial et que ce n’est plus possible dans le monde du travail actuel !

Et puis après, en off, les langues se délient, et les discours varient entre jalousie, envie, crainte et quelques personnes qui se réjouissent pour moi et me félicitent d’avoir eu le courage de sauter le pas.

Le plus surprenant, ce sont les réactions de mon réseau professionnel extérieur.

Certains sont venus me voir en me demandant si j’étais malade !

“Ben non pourquoi ?”

“Je t’ai envoyé un mail la semaine dernière et j’ai vu dans ton message d’absence que tu es maintenant à mi-temps…”

“Ah mais non, tout va bien, très bien même ! Je n’ai pas de cancer si c’est ce que tu croyais, et je ne suis pas en dépression nerveuse ! (Par contre ça aurait pu finir comme ça si j’étais restée à temps plein)”

Sachez donc que quand vous faites le choix de passer à mi-temps dans votre boulot, c’est aussitôt assimilé à un mi-temps thérapeutique, et donc, vous êtes de fait assimilée à une personne malade !

Alors oui j’étais malade de mon train train professionnel, je n’étais pas en accord avec mes principes, et j’étais constamment en guerre contre ma hiérarchie.

Maintenant, je suis malade quand j’y retourne la moitié du temps !

Une chose est sûre, je n’aurai jamais le regret de ne pas avoir tenté, parce qu’une nouvelle vie m’attend, et ça ne tient qu’à moi de la rendre plus excitante et de faire enfin ce que j’aime.

Prochainement, dans l’épisode 2 : ma vie de slasheuse bénévole.

Bibliographie

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Sylvaine Pettens

Littéracie numérique, éducation 3.0, apprendre autrement, mentorat et bienveillance (même si cul-cul pour certains !)