Que répondre quand on vous dit que Bitcoin n’est pas une vraie monnaie ?

Stéphane Traumat
9 min readAug 3, 2015

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Avant-propos.

Lorsque j’ai découvert le Bitcoin, ma première réaction a été, comme tout le monde je pense, d’être sceptique sur le concept de crypto-monnaie. Par curiosité, je me suis mis à lire tout ce qui me tombait sous la main, notamment les excellents livres Age of Cryptocurrency et Mastering Bitcoin. Plus j’approfondissais le sujet, plus j’étais fasciné. La même fascination que j’ai éprouvé lorsque j’ai découvert Internet, le sentiment d’être en face de quelque chose qui va changer le monde (notre nouveau projet de R&D est d’ailleurs sur une solution de monitoring de blockchain qui utilise l’intelligence artificielle : Blockchain Inspector).

Malgré mon enthousiasme, lorsque j’explique le principe du Bitcoin (et du blockchain) à une personne, j’ai souvent la réaction : “Ce n’est pas possible, ce n’est pas une vraie monnaie”. Alors je réponds : “C’est quoi une vraie monnaie ?”. Les réponses que j’obtiens m’ont fait comprendre que le commun des mortels ne sait pas définir ce qu’est une monnaie.

Je me suis donc mis à faire quelques recherches afin de combler ce manque et, pour être tout à fait honnête, je m’attendais à trouver des réponses simples à mes questions mais en réalité, il existe plusieurs visions, plusieurs écoles et beaucoup d’expériences diverses.

J’ai donc écrit cet article pour mettre mes idées au clair et avoir un avis plus argumenté sur la question, en espérant que cela puisse profiter à tout le monde.

Étant donné la complexité du sujet, veuillez m’excuser par avance pour les erreurs que j’aurai pu commettre. N’hésitez pas à m’en faire part dans les commentaires ou par tout autre moyen : http://www.about.me/straumat.

Qu’est ce que le bitcoin ?

Bitcoin est un système bancaire complètement décentralisé qui fonctionne sur des principes mathématiques en se passant totalement des intermédiaires actuels que sont les banques, les banques centrales ou les gouvernements : Personne ne contrôle Bitcoin.

L’idée clé de cette technologie est de supprimer les intermédiaires tout en permettant à deux étrangers de continuer à s’échanger de l’argent. Au cœur du système, on trouve le concept de blockchain : un registre universel, inviolable et public qui est en permanence maintenu par un ensemble d’ordinateurs.

Pour une présentation détaillée du bitcoin et de son fonctionnement, je vous renvoie vers un article que j’ai écrit il y a quelques mois : Qu’est-ce que Bitcoin, comment ça marche et pourquoi c’est une révolution ?

Mais pourquoi aurait on besoin d’une nouvelle monnaie ?

“Vous ne changerez jamais les choses en combattant la réalité présente. Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra obsolète le modèle existant. — R. Buckminster Fuller”

Beaucoup de gens se demandent pourquoi créer une nouvelle monnaie alors que l’on a déjà l’euro, le dollar, le yen… cette citation de Buckminster Fuller explique assez bien pourquoi Bitcoin pourrait s’imposer : il ne s’agit pas d’une monnaie comme les autres mais d’une monnaie et d’un système qui rend obsolète le fonctionnement actuel des monnaies : c’est tout simplement la meilleure forme de monnaie que l’homme a créée, une vraie révolution.

Et le système actuel est rendu obsolète parce qu’il n’a pas ces avantages :

  • Un système décentralisé autonome basé sur les mathématiques qui permet de se passer des intermédiaires que sont les banques ou les États.
  • Des transactions quasi instantanées alors que le système bancaire met plusieurs jours à transférer votre argent.
  • Aucun ou peu de frais comparé au 2 à 3% payés sur chaque transaction par carte.
  • Pas de notions de pays, de conditions préalables ou de limites arbitraires.
  • Tout le monde peut se créer un compte sans avoir besoin de faire appel à une autorité centrale.

Beaucoup de choses que nous connaissons (les banques, la monnaie papier, les cartes, les sociétés comme Western Union…) pourraient nous paraître très rapidement obsolètes.

Un autre apport de cette technologie, c’est qu’elle pourrait permettre à des milliards d’individus de participer à la mondialisation, ce que les banques n’ont pas réussi à faire en plusieurs siècles. D’ailleurs la fondation Bill & Melinda Gates vient d’investir dans une startup Bitcoin au Kenya.

Mais à la base, qu’est-ce qu’une monnaie ?

La monnaie est définie par trois fonctions principales :

  • Intermédiaire dans les échanges : La monnaie est un instrument qui doit permettre d’échanger des biens ou services. L’idée est d’éviter la contrainte principale du troc : “la coïncidence des besoins”. Pour faire simple, imaginons que vous fabriquez des marteaux, votre voisin, lui fabrique du pain. Il acceptera peut être un marteau en paiement de quelques pains mais il ne souhaitera pas avoir plus d’un marteau car il n’en aura pas l’utilité. Il faudra donc lui donner quelque chose d’autre pour le pain que vous voudrez acheter en plus.
  • Réserve de valeur : Les échanges “monnaies” contre “biens”, “services” ou “autres devises” ne sont pas forcément simultanés. Imaginons que je veuille acquérir un nouvel ordinateur et que je décide d’économiser 5% de mon salaire sur plusieurs mois pour pouvoir l’acheter. La fonction de “réserve de valeur”, c’est de pouvoir me dire que pendant le temps que va durer la constitution de mon capital, la valeur des 5% que j’aurais économisés chaque mois sera à peu près constante. Ainsi je pourrais acheter mon ordinateur même si je dois attendre plusieurs mois.
  • Unité de compte : L’unité de compte est un moyen standardisé d’expression de la valeur des choses. Dans un système de troc, il faut que chaque consommateur connaisse la valeur d’une chose par rapport à une autre. Par exemple : un mouton vaut combien de pains ? combien de marteaux ? combien de réparation de toits ? …
    Le système devient alors rapidement complexe et très peu pratique pour ses utilisateurs. C’est pour cela que les prix ne sont plus exprimés en quantité de marchandise mais en unité abstraite et arbitraire.

Comme vous le constatez, rien dans cette définition “acceptée de tous”, n’implique que la monnaie soit contrôlée par un État ou un organisme comme la banque centrale européenne.

L’avantage que possède l’État, c’est qu’il est le seul acteur économique qui a le “droit” de lever l’impôt sur les biens de l’ensemble des individus présents sur son territoire. Avec cet avantage, il peut donc se permettre d’imprimer sa propre monnaie et d’exiger des citoyens qu’ils paient leurs impôts avec cette monnaie. Pratique n’est-ce pas ?

Si cela ne vient pas des États, d’où vient la monnaie ?

La “monnaie” a existé sous des formes très diverses : coquillages, pierres polies, sel, ambre, bétail, nacre, métal, papier…

Il est intéressant de voir que dans l’histoire, l’apparition de la monnaie papier s’est produite au 7ème siècle en Chine à partir de reconnaissances de dettes commerciales mais ce n’est que bien plus tard que cela s’est développé en Europe.
Parmi toutes les expériences, celle que je trouve la plus pertinente, est la création en 1694 de la banque d’Angleterre par un groupe d’artisans, de parlementaires et de marchands. Bien qu’étant un établissement privé, elle a rapidement émit, en échange de dépôts, des “billets”. Ces billets pouvaient être échangés à tout moment au guichet de la banque contre la somme équivalente en or ou en monnaie.

Nous avons donc là une communauté privée qui a créé une machine à faire de l’argent et cet argent était accepté par le souverain pour payer les impôts. L’aventure durera longtemps car la Banque d’Angleterre ne sera nationalisée qu’en octobre 1945.

Note : il y a d’autres exemples comme la Banque de Stockholm ou la Banque d’Amsterdam mais j’ai voulu faire court.

Alors, quand est-ce qu’une monnaie est viable ?

Comme nous venons de le voir dans le paragraphe précédent, un billet est comme un contrat. Sa valeur ne dépend pas de ce qu’il représente physiquement (un simple bout de papier ou une pièce) mais plutôt de l’accord qui est écrit dessus.

C’est une promesse que votre gouvernement vous doit la valeur de ce billet. On vous promet d’accepter ce “document” contre les dettes que vous avez envers lui (impôts, taxes…). En termes légaux, un euro constitue une créance envers le système bancaire, et par extension, envers la banque centrale européenne.

Mais la valeur de votre euro ne réside pas ici, elle réside dans le fait que des tiers vont accepter votre euro contre des biens, des services ou d’autres devises. D’ailleurs, les exemples de déflation ou d’inflation qui ont eu lieu au cours de l’histoire nous montre qu’il n’y a pas de valeur intrinsèque à une monnaie. La valeur est surtout liée à la confiance que lui accorde la communauté. L’exemple Vénézuélien montre à quel point il ne suffit pas d’imprimer des billets pour résoudre ses problèmes.

En fait, si l’on devait tirer une conclusion, c’est que pour qu’une monnaie soit viable, elle doit avoir la confiance de ceux qui l’utilisent.

Pourquoi ressent-on nous le besoin d’avoir des banques, une banque centrale ou un État derrière une monnaie ?

En raison de l’importance de la monnaie, les États ont cherché très tôt à s’assurer le maximum de pouvoir monétaire en définissant la devise officielle en usage sur leur territoire. Pour faire simple, l’État reconnaît le “contrat” que représente un billet de 10 euros, mais refusera de reconnaître la valeur que représente 10 bitcoins.

Grâce à cela, l’État s’arroge le monopole de l’émission des billets et des pièces et exerce un contrôle sur la création monétaire des banques via la législation et la politique monétaire des banques centrales.

Mais cela ne suffit pas, si la confiance ne règne pas entre les citoyens et l’État, ils se rueront vers d’autres moyens qui leur sembleront être une meilleure réserve de la valeur (le dollar ou l’or par exemple) que la monnaie officielle en vigueur. Voici d’ailleurs un excellent article du New York Times qui montre comment un pays comme l’Argentine, qui a eu pendant des années des soucis avec sa monnaie, pourrait se tourner vers le bitcoin.

Dernier point, depuis longtemps les pièces et les monnaies ont systématiquement été frappées par les représentations des rois ou des pays qui les imprimaient. C’est peut être pour cela que l’on n’arrive pas à différencier “pouvoir” et “argent” et que l’on a l’impression que monnaie = État.

En conclusion.

Ma conclusion serait qu’une monnaie n’a pas besoin d’être soutenue par un État pour exister, elle a seulement besoin d’avoir la confiance des personnes qui l’utilisent (comme pour les billets créés par la banque d’Angleterre).

Une des différences entre les monnaies Étatiques et le bitcoin, c’est que les monnaies créées jusqu’ici pouvaient être manipulées par les États et les banques centrales avec des politiques comme l’assouplissement quantitatif (planche à billet). Avec le bitcoin on substitut cette confiance dans les institutions par une confiance dans des lois mathématiques. On peut donc aussi voir le bitcoin comme un moyen de diminuer la capacité de l’État à manipuler l’économie à son propre avantage (ok, ça c’est une vision très libérale).

Si l’on reprend les trois fonctions principales d’une monnaie (Intermédiaire dans les échanges, Réserve de valeur et Unité de compte), la partie réserve de valeur n’est pas encore acquise. Même si depuis que je possède des bitcoins, sa valeur est restée assez stable, on ne peut pas nier qu’il y ait eu des hauts et des bas mais il ne peut en être autrement pour une monnaie aussi jeune et innovante. Enfin, il ne faut pas oublier que tout est relatif. La courbe ci-dessous montre l’évolution de l’euro face au dollar : 20% de perte en un an… et pourtant, nous continuons tous à l’utiliser :

Taux Dollar / Euro

Concrètement, avec le bitcoin, nous sommes clairement dans l’histoire de “l’œuf et la poule”. Le système fonctionne techniquement et il est utilisé tous les jours par des milliers de personnes mais pour que le commun des mortels l’utilise, il faudra plus d’utilisateurs pour que plus de sociétés l’accepte comme moyen de paiement. De même qu’il faudra plus de sociétés qui l’accepte comme moyen de paiement pour qu’il y ait plus d’utilisateurs.

C’est ce genre de paradoxe que l’économie numérique sait résoudre. Surtout s’il y a à la clé la suppression d’intermédiaires (banques, sociétés des cartes bancaires, transferts d’argents…) et donc la récupération d’une partie des milliards de frais qu’ils facturent.

La promesse du bitcoin, qui est de faciliter les transferts d’argent à bas coût de manière instantanée dans le monde entier, est tellement tentante qu’il y a fort à parier que des applications concrètes émergeront des startups et favoriseront son adoption.

Dernière chose à laquelle je ne m’attendais pas, beaucoup de banques ont commencé à faire des tests sur les crypto monnaies et le blockchain… certaines comme BNP Paribas ont même comparées la technologie blockchain à l’invention du moteur à combustion.

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