20 years of FashionTech roots to launch a start-up

sweetysmart
37 min readOct 12, 2017

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Extrême fin des années 80, je ne porte pas de couleurs explosives ni de jean à pinces retroussé aux chevilles, je façonne ma silhouette moulée de noir : col roulé et longue jupe droite. Visage de porcelaine et cheveux romantiques, je trouve les miens réfugiés au sein du département de cinéma dans les cours montrés du doigt : les cours les plus “intello“. J’y fais mes meilleurs amis : Ils ont des répliques vintages du “Kelly“ noir, j’en ai une du blanc. Ils écoutent Joy Divison et je ne sais qui d’autre. Moi je n’écoute rien, à part le rythme de mes images intérieures qui ont la couleur des films que je ne connais encore qu’à travers les photos de L’Histoire du Cinéma de Sadoul.

Hiver 89 : On pleure en sortant des films de Dreyer, on s’assombrit après avoir fusionné avec les écrans de Murnau. Ma silhouette fine, dans la robe à trente-quatre boutons que j’ai dessinée et qu’a cousue ma mère, tombe délicatement au ralenti dans la diagonale de l’écran du film muet que projette l’un de nous, les “Deus Excinemachina“, dans sa cour. Puis cet hiver là on se reconnait un peu dans L’hiver Encore qui vient frapper en noir et blanc le sceau sombre qui nous lie.

Nous, avec notre sensibilité profonde, notre jeunesse si consciente d’elle-même et notre exigence conceptuelle on jouit de ce qui nous lie intensément avec un cinéma hors étiquette qui ne se veut ni vraiment narratif, ni vraiment réaliste, et pas du tout industriel, ce cinéma pour lequel Claudine Eizykman éveille notre regard, un cinéma qui des dadaistes, en passant par les surréalistes, les post-modernes, les minimalistes, les journaux filmés, les underground américains, les indépendants Français, le Post-Punk et enfin la Pop Culture… nous pousse à filmer d’abord et à d’abord filmer. Man Ray, Duchamp, Jonas Mekas, Brackage, Wharol… sont nos papes.

On attrape les caméras qu’on trouve sous la main, pour dire avec nos “caméra stylo“, pour montrer avec nos “filmer-monter“, pour démontrer avec nos plans fixes uniques au format 3 minutes des bobines Super8 achetées au compte-gouttes de nos budgets étudiants…

Etre étudiante, avoir 22 ans, travailler le week-end au Musée Guimet pour remplir son assiette et payer son loyer, … et réaliser ses premiers film expérimentaux (Sombre et flou, A Little Bird Told Me So, Cut My Darkness, Wie Ein Wurst…) c’est trop terre-à-terre d’un côté, et très underground de l’autre. Je fuis les cases où l’on range les artistes, les intellos et les fauchés. Je participe à la création d’Anémic, une société de production cinématographique, éponyme du film de Marcel Duchamp. J’investis la moitié de ma bourse annuelle pour soutenir la production d’Attende Le Navire, un périple de rebelles sans causes, de désaxés et d’oubliés qui offre à Pierre Clémenti un de ses derniers rôles après Bunuel, Visconti, Pasolini20 ans avant le crowdfunding, nous éditons des places de cinéma à acheter à l’avance pour financer la diffusion du film.

Je suis stagiaire sur un futur succès générationnel, je passe du Macintosh 512K de la prod au plateau de tournage d’“Un Monde Sans Pitié, où les figurants que j’ai recrutés m’appellent “maman“ et où je finis par passer devant la caméra. Le soir, en rentrant par le canal, je rumine le long de mes pas les phrases que je frappe sur ma rétro Browser 210 orange sur 50 pages d’un premier roman que je publierai inachevé quatre ans plus tard.

Ainsi va mon âme entière et sérieuse balançant entre monde vrai et vrai monde. Je ne peux me contenter d’exprimer la part d’ombre. Vient alors la rencontre avec mes prochaines âmes sœurs au cours de soirées que j’organise sur fond de l’imaginaire des “salons“, avec piano désaccordé et projections Super 8 de mes premières expérimentations cinématographiques. Ceux-là, comme moi à partir de là, écument les puces pour trouver leurs bottes sixties, groupent leur argent pour acheter des stocks de sous-pulls moulants (les même qui leur arrachaient le nez lorsqu‘ils les enfilaient enfant, à contrecœur), et ont pour fantasmes la Factory et le désir profond de légèreté provocatrice.

6h du mat, Janvier, 1991, les petites lumières sur fond noir au bas de notre “écran plat coins carrés“, c’est La Guerre du Golfe qui nous ouvre les yeux en direct. C’est la crise, il faut presque payer pour trouver un stage, trouver un boulot il ne faut même pas y penser. On part régulièrement se promener dans les rues pour trouver les pièces qui vont payer notre baguette. Drôle de non-rêve.

Pour nous, à qui Baudrillard dit que cette Guerre “…n’as pas eu lieu“, héritiers à la fois du déclin du post punk et de celui des golden boy, “Il faut se forger dans la voie“, comme dit Miyamoto Musashi, “dernier Samouraï invaincu“ du XVI ème siècle remis aux goûts du jour par ces derniers.

Alors, comme un groupe de rock mais sans leader, comme un groupe d’artistes sans manifeste, comme un défilé de mode sans collection, comme un mardi gras sans masque, nous : “Le Molokino: Agathe Gris, Cécile Bortoletti, David TV, Héléna Villovitch, libérés des discours des avant-gardes intellos et ludiquement conceptuels, on réalise chacun indépendamment nos films. Ensemble, on scénographie nos “Scéances du Molokino“ qui laissent voir les coulisses de leur organisation comme partie intégrante de ces performances d’Expanded Cinema qui envahissent tour à tour sur plus de 12 années, de Paris à Hambourg : des galeries d‘art, des cafés, des forêts, des plafonds, des soirées blanches… avec des films multi-écrans, des projections en mouvement, des films sonorisés en direct au micro, des films projetés sur notre public habillé de blanc, des projections miniatures dans le creux de la main… Mine de rien on laisse notre marque dans cette histoire qui va d’un pionnier comme Emile Raynaud jusqu’aux Snapchat Stories en passant par les installations vidéo et l’art électronique, et porté par les théories de Théo Van Doesburg ou d’un Gene Youngblood sur fond de Marshall Mac Luan.

Je consacre mes nuits aux images et mes jours aux textes : Je crée alors Public Underground Limited Publishing Squad et édite en 3 ans sous le pseudo de “Madame Agathe“ : 10 titres de 8 auteurs, avec un concept “d’unique en série” pour des romans inachevés ou des carnets de dessins d’artistes, chacun d’une facture impeccable parce que faits mains. 15 ans avant la fin des sacs plastiques en supermarchés, nous publions sur papier recyclé et on récupère le cuir de vieux fauteuils pour faire des couvertures. Bien avant le dictat des concepts de “Lean“, de “Bootstrap“ ou de “hack“, on coud et presse nos livres dans notre salon, on profite de la liberté de faire de véritables choix d’éditeurs en zappant la recherche des aides publiques, on les diffuse lors de réunions dans des cafés et grâce au bouche à oreille, et l’on en dépose quelques exemplaires à la Librairie du Musée d’art Moderne de La ville de Paris grâce à un ami…

J’édite, je filme, je peins parfois, je performe sur scène pour un concert western-punk de notre Jérémy, leader des Witches Valley, et je bluffe : je n’ai jamais utilisé mon permis passé il y a 5 ans. Je découvre les zones industrielles et les comités d’entreprise où je livre les développements photo et rapporte au labo les pellicules à développer. Je me retrouve à faire une mission auprès d’une “classe de mer“ de CP. J’imprime et fabrique avec eux 26 exemplaires personnalisés des poèmes qu’ils ont écrits. Je fais la scripte tous les dimanches pour le long métrage qu’une amie tourne sur un an sans argent. Je fais la styliste pour un court métrage primé. Je suis une des trois “silhouette-écrans“ sublimées par la caméra de David du Molokino et projetées ensuite sur nous vêtues des même robes dentelles. La blancheur de nos jupons surexposées aux rythmes de nos rires que l’on décompose artificiellement comme un ralenti cinématographique y éclate sur cette herbe Fujichrome tandis que l’ombrelle que fait tourner Héléna dans le faisceau de projection fait loupe sur le rouge des fraises qu’on grignote délicatement dans son « Le Déjeuner sur l’Herbe ». Façon Défilé de mode sur une butte de terre meuble, je déroule mon pas jusqu’à la caméra de Cécile du Molokino puis m’éloigne en marche arrière détachant dans la nuit de cette forêt une sublime silhouette caricaturale pour son “Mon Double et Son Contraire“. Je fais son modèle pour une de ses premières séries de photographe de mode. On découvre l’empathie de fond qui nous lie avec les Margiela ou Bless qui défile alors au Musée d’Art Moderne, au même moment où on se met en scène dans les titres fashion et branchés comme Self-Service. Tandis qu’Héléna du Molokino, de rouge vêtue sur fond rouge de son film “Je Tricote“, où l’infini pull rouge qui nait de ses aiguilles rythme sa liste de “… c’est du travail“, scande, avant d’être publiée au Seuil, « Ne pas être à la mode : C’est du travail ! », je finis par trouver des piges de secrétaire de rédaction dans la presse télé grâce à des amis rockers devenus journalistes et dont j’ai publié leur “Journée Normale“. L’horizon se resserre sur la perspective d’hypothétiques missions précaires, trop courtes pour économiser, générer des indemnités, ou déboucher sur un emploi.

1998, j’ai faim. Je décide que le manteau underground est vraiment trop étroit pour moi. J’adopte palette froide, lignes épurées et asymétries d’une mode qui se prépare à une année 2000 nourrie des fantasmes de science-fiction des décennies précédentes. Le mot multimédia est sur mon chemin. Je réussis le concours des Gobelins. Immersion soudaine dans l‘univers du Web commercial qui émerge. Découverte de règles qui me semblent insensées “pas plus de trois clics pour arriver à l’information” “et comment on fait puis qu’il faut déjà double cliquer pour lancer son navigateur ?”. On ne le sait pas encore mais le monde de la technologie vient de flirter avec celui de la mode. Macworld 1998 : Black mock turtleneck, blue Levi’s 501 jeans, New Balance sneakers 991, Steve Jobs talks about Apple’s return et oublie son look de pasteur et son ton atone de nerd du keynote de 1997.
Pour la première fois avec l’iMac les ordinateurs ont un dos, et un show pour présenter leur nouvelle collection.

Je découvre avec mon petit ami un monde dont Steeve jobs est le nouveau pape et où le loft new yorkais construit sur les friches de l’ère industrielle devient le must de la première vague branchée de startupers qui s’approprient une esthétique hybride artistique/industrielle au moment même où l’underground artistique prend fin. Je ressens avec lui, la passion contradictoire des techies : d’un côté toujours avoir le dernier modèle d’ordi et de l’autre “bider” sur le design vintage d’un Bang & Olufsen des années 70. Ainsi il met son vieux Power Macintosh 8500 sur mon Bureau et abandonne rapidement son “Chic not Geek“ iMac dans l’année où il l’a acheté, pour installer au centre de notre loft son premier laptop Macintosh Powerbook G3Noir, et a déjà conscience que son t-shirt “Think Different” va devenir un collector. C’est la rencontre de nos âmes paradoxales d’entrepreneurs qui m’initie déjà il y a 17 ans à l’univers des startups.

2000. “Mais qu’ai-je fais de ma créativité !”, c’est de ce futur regret que Dominique Mauduit, directeur de création de Publicis Technologies a essayé de me prévenir en m’accueillant. Mais qu’importe, je leur apporte un “Clic de Bronze“ ça les rend contents. L’agence fusionne avec une autre. “Ceux qui font“ sont en bas, ceux qui ne font rien que des slides sont au premier. Les jeunes diplômés de commerce sont appelés un peu précipitamment “chef de projet“ et nous demandent de leur expliquer ce qu’on fait et comment parler aux clients. La boss, réfugiée au dernier étage, est descendue nous présenter ses slides. Je murmure pour mes voisins de réunion d’équipe : “Tiens, elle n’a mis aucune majuscule à nos noms et prénoms… Ah tiens elle les a laissées sur le sien”. Je ne vois pas dans le noir qui me répond « Ah toi ! toujours le mot pour rire“. Nous on est « des artistes » comme ils disent gentiment : « Vous, vous êtes habiles de vos mains » et je réponds gentiment : « non moi c’est avec les pieds que je travaille ». La maintenance informatique aussi cherche à nous cadrer : « Attention ! S’il y a le moindre truc : vous ne touchez à rien vous nous envoyez un mail ! » et moi de profiter de chaque plantage de mon pc pour lancer à la cantonade « Qu’est-ce que je fais là ? j’envoie un mail ? ou je redémarre ? ».

2001 — Une petite photo et quelques lignes dans Stratégies, présentent un portrait de moi en Directrice Artistique et hop, une startup bidon me débauche, erreur, je les abandonne à leur coke.

La bulle éclate, mais ce doit être celle du champagne avec lequel trinquent les grandes logiques qui se rient de nous.

Appelée par un ancien des Gobelins chez le premier opérateur télécom français je trouve mon compte de pionnière à travers mes missions de concepteur multimédia où j’insuffle un nouveau regard aux refontes du premier Web qu’on me confie.

Nous, on est assis le cul entre deux chaises, naïvement on demande au marketing de préciser sa cible et son objectif et non pas de nous demander des boutons plus gros, plus rouge et plus bold et on assume très bien de se faire traiter “d’enculeurs de mouche” par la technique lorsqu’on demande un petit <br> pour lutter contre la veuve et l’orphelin.

Nous on n’est ni vraiment des ergonomes, ni vraiment des graphistes, ni vraiment des prétentieux, on rêve de servir l’utilisateur en conciliant les impératifs contradictoires du business, de la technique et du marketing à leur profit. Comme d’autres à l’autre bout du monde, on est train d’inventer les métiers de L’Expérience Utilisateur qu’on n’appelle pas encore “l’UX.

Je fuis, je cours, je regarde ailleurs si j’y suis et ce faisant je fais à fond mon boulot, car pour moi sans idéal pas de raison. Et à ceux qui perplexes devant mon déploiement d’énergie répètent par convention « ne t’investit pas autant » je réponds à la volée en quittant l’open-space « mais il n’y a pas d’intelligence sans affects ! ». Ici, comme dans toutes les entreprises à faux plafonds et néons, on prend des décisions pour faire coller l’atteinte des objectifs à ses traites de crédits.

Avant qu’un deuxième avion ne frappe le World Trade Center j’ai déjà reçu un sms.

“Où est l’art ? “ nous demande cependant encore une journaliste du magazine de mode Numéro qui interview les artistes parisiens : “L’art est dans l’intimité“.

Au même moment commence à émerger en moi l’idée que je ne serai pas plus à ma place du côté artiste au service d’une nouvelle espèce : les curateurs et autres machinateurs d’expo qui s’en revendiquent “auteur“ puis carrément “artistes“, que je ne le serai du côté de ceux qui grâce à leur précarité renouvelée au coup par coup le dernier jour de leurs missions, servent les bons bilans pour la satisfaction des actionnaires, et les bons résultats d‘un plan d’économie de ressources pour propulser un brutal humain jusqu’au poste de ministre.

Ce grand groupe qui réunit ex-fonctionnaires et nouveaux métiers inconnus des RH est gagné lui aussi par une nouvelle idéologie qui se doit d’étendre le “discours de marque“ à ses employés. Quelque chose échappe aux marqueteurs biberonnés à la pensée en “bullets-point“ de Power Point : 60% de ceux qui permettent l’affichage du premier portail de France sont des ressources externes. On ne prendra pas leur ton bien policé pour de la culture d’entreprise : nous les mains sur le clavier, on sent ce qui n’est qu’en train de se passer avec le développement des IT. L’ironie silencieuse et le goût du travail bien fait sont alors les dernières armes lorsque l’on se sait déjà asservi par quelque chose de plus rapide que soi.

2004, Logique économique : le Pont des Arts réduit la largeur de ses traverses de bois et augmente l’espace entre elles : on ne le traversera plus en talons aiguilles pour y célébrer la fin de la nuit au champagne. Le pratique gagne sur le style : le pont qui se parcourt en talons unisexe plats devient celui des pantouflards. Je décide de reprendre des études pour répondre à un profond sentiment de trop peu et un grand besoin de me dérober à la pression de “l’utile“. Une lettre de motivation bien sentie m’ouvre les portes d’une maitrise d’ethnologie de Jussieu. Chaque prof présente son programme, j’hésite, un dernier se présente mal fagoté : « Transmission des savoirs techniques, c’est au sous-sol, il y a juste un escalier à descendre, venez voir ». La terre battue et les briques de cette laverie du XIXème siècle du quartier Saint Paul, maintenant transformée en menuiserie pour le propos du labo, offre un décor paradoxal aux ordinateurs. Le prof ne semble pas s’offusquer de mon look à talons façon dadame col blanc du marketing. Il me montre le tour à bois, j’évoque une vague envie d’étudier la « valeur initiatique de la transmission orale des raccourcis clavier selon les différents corps de métiers des nouvelles technologies », Eric Gallais m’explique le financement du labo par leurs interventions d’ethnométhodologie pour l’apport des nouvelles technologies auprès des “Artisans d’Arts“. “Intelligence économique cela te dit quelque chose ? “ « Euh oui vaguement ». « Je suis un peu occupée demain matin si tu peux être là pour rencontrer une femme en charge du développement des PME. ». On joue comme pour de vrai avec légèreté car ce qui est important c’est l’interrogation du “comment vivre“ et la réflexion qu’il partage avec nous sur la mise en silos séparés des savoirs et des savoir-faire. Il révèle en moi le pourquoi de la tendance que j’ai à voir comme un tout : le corps et la tête, l’utile et le beau, le sensible et le rentable… Faire confiance, ne pas trop se prendre au sérieux, certains êtres ont la flexibilité qui fait sourire à la vie et je les en respecte profondément.

Je lis tout le temps : de la philo, de la psycho, de l’ethno et je fais de grandes marches dans Paris. Le visage d’un prof fait penser à celui d’un Iroquois, cela explique peut-être pourquoi il est parti vivre parmi eux il y a 20 ans. Ses récits cisaillent le cœur. Cette année ouvre en moi à jamais la brèche d’un troisième œil et l’empathie profonde pour nous humains dans notre petitesse comme dans notre grandeur.

De retour en mission, est-ce ma lecture de John Searle qui me fait me hérisser quand une femme qui porte comme un galon son échec au concours interne d’une école nationale essaie de me remettre à ma place parce que je réinterroge la stratégie : “mais enfin, Agathe, il ne faut pas confondre le fond et la forme ! “. Je réplique pour défendre l’angle de l’Expérience Utilisateur à la jonction des deux. Deux ans après elle me remercie finalement du soutien que lui a apporté la “finesse et l’intégrité“ de ma démarche.

2005 “The Medium Is The Message. Moi, qui ai tant aimé l’esthétique des roulements à billes, des engrenages et des croix de malte ou celle du mix de similicuir et d’aluminium de mes caméras super8, je regarde alors les mobiles qui nous envahissent dans une absence de style consternanteexception faite de quelques rares modèles hors de prix et invisibles autant pour la majorité du grand public que pour ceux qui les désireraient.

Je passe à côté d’une rencontre entre esthétique et high tech qui a eu lieu un an plus tôt avec un mini bâtonnet noir et blanc aussi innovant qu’élégant qu’on trouve encore à 400 Dollars en 2016 : le Triband Fashion Lipstick 7280de Nokia au style Art déco revisité par le seventies et dont l’écran LCD devient un miroir lorsqu’il est éteint.

Noel 2005, les lointains phantasmes du progrès technique qui nourrissent la Science Fi prennent enfin corps : en première ligne, le luxe vient flirter avec la marque qui a introduit le “flip phone“ pour faire naitre le Motorola RAZR V3i, un hybride entre le “Communicator“ de Star Treck et un poudrier 50’s avec son couvercle en métal doré orné d’un “D&G“ se refermant sur un clavier du même métal dont les lignes rappellent le motif du circuit intégré d’une puce électronique. De l’autre côté du mainstream des signaux faibles comme la collection “Cable Jewellery de Bless, sort les câbles électriques de leur statut de gâcheurs de décors pour leur donner le glamour d’une installation d’art-contemporain, exhibant un enchevêtrement de câbles enfilés sur de grosses perles de bois naturel ou gainés de fils de laines multicolores.

Je trouve mon mobile “Nudio V602T“ chez Toshiba après quelques insistantes recherches pour éviter que l’objet qui devient l’un des objets les plus omniprésents de mon quotidien soit aussi ordinaire que le marché ne sait le proposer en moyenne gamme. Son blanc pur, son clapet texturé par de larges crénelures verticales, son clavier plat au touches réduites à des cercles sans volume et le hublot rond qui permet de voir l’heure sans l’ouvrir m’évoquent le “Space Age“ des Sixties avec les plastiques moulés d’un Eero Saarinen pour knoll. Mais au fond je rêve d’oser dépenser sans culpabilité 500 euros dans le Nokia 7380 de la collection “C’est l’amour“ qui habille son mini format lipstick de cuir marron, de plastique crème, et d’aluminium, souligné de métal doré pour une allure à la fois sexy et bon chic bon genre.

FW 2006/2007 Le monde voit la naissance de deux gimmicks illusoires : le mot “innovation“ est brandi comme un étendard pour nous rendre fort dans cette guerre mondiale que les nouvelles technologies se font faussement les unes aux autres, mais qu’elles gagnent contre les humains d’avant ; le mot “simplicité“, lui, se part de l’arrogante évidence consensuelle, comme pour aligner nos têtes sous la barre de l’excès dont la critique s’exacerbe dans le mot “bling“ prononcé avec mépris.

Le LG Prada — KE850, avec son écran tactile inaugure donc une ère où la simplicité et la sobriété sont les seuls arguments esthétiques pour vendre la performance technique de produits dont toute la valeur repose sur une course vers l’effacement de leur présence tangible comme ultime progrès à l’horizon. Dans la foulée de téléphones mobiles qui se standardisent les quelques marques qui tentent l’aventure d’une “collab“, se contentent d’appliquer leur logo et leur marketing sur des modèles un peu plus design qui peuvent satisfaire les besoins statutaires mais pas vraiment l’expression du style.

« Is That really Necessary ? » titre même un magazine fashion et tech : le pape Karl crée son usage il commence avec ses 70 iPodsNous on croit que le style n’a probablement pas besoin d’appartenir à la catégorie du nécessaire pour l’être.

Stéphane Bohbot, dix ans avant d’installer ses corners aux Galeries Lafayette, comprend très tôt que les accessoires tech ne pourront faire l’impasse d’une alliance avec les valeurs intangibles : le Dior Phone que fabrique son Modelabs porte un autre fantasme : celui élitiste du “luxe à la française“ façon geekandhype.com.

2008 : Louve solitaire après 8 ans de cdd la tête dans l’ordi, Je décide de répondre au désir qui ne m’a jamais quitté de monter mon business, comme un grand bateau avec lequel je pourrai traverser plusieurs aventures. Et je sais déjà qu’il naitra d’une rencontre entre mode et technologie. A 43 ans J’apprends le golf et l’anglais et je fais redresser mes dents.

Septembre 2008, “Crise des Subprimes“ : Je viens de m’immerger dans un MBA et dans la foulée découvre le microcosme des startups Parisiennes en train de se former. Je vois la découverte du “swot“, des “océans bleus“ ou du “lean canevas“ comme de véritables mots-clés tribaux qui vont me permettre d’avancer incognito dans ces univers qui, malgré mon assiduité, gardent l’exotisme des terres inconnues et hostiles alors que les esthétiques underground de mes premières vies m’apportent elles, une saveur rassurante et solide. Le paradoxe me poursuit : je préfère cependant ces nouveaux cercles parce qu’ils me challengent.

FW 2008–2009 La césure qu’a provoqué en juin 2007 la commercialisation de l’iPhone 3, a créé un “avant“ et “un après“, une date et une date de péremption et fait naître l’Histoire de l’high tech. Surgit alors une cohorte de sites-musées dédiés à l’histoire des ordinateurs. Avec la nostalgie et les collectors, le focus se déplace de la performance et de la nouveauté sur l’esthétique et la culture. Les Steampunks sortent de l’undeground et les “Geek Dad“ de l’ombre.

Les rues que je parcours yeux grands ouverts sur les signaux faibles, et les cours de Nicole Foucher qui dirige l’option Fashion Business Managementà Esmod nourissent mes élucubrations. J’aperçois cette année-là deux ou trois mecs sobres et stylés ayant déniché de nulle part leurs écouteurs dorés ou bleu électrique portés comme un nœud papillon symbole de leur virilité et des jeunes parisiennes, qui elles contre toute attente du marché qui commence à leur proposer de petits écouteurs déclinés en couleurs primaires, préfèrent le format over-ear extra-large comme le Pioneer SE-405 ou le Sony MDR-XB700je devine, derrière le style très technique et rétro, la silhouette de la coiffure culte de la Princesse Leia.

Bien avant que l’industrie de l’accessoire mode n’ait eu le temps de suivre les cycles éphémères de l’high tech et qu’on les classe dans les “Makers“, les “DIY“ qui prennent leurs racines esthétiques dans le Sesam Street, dans Bob Sponge ou chez Jules Vernes, s’emparent de la customisation des accessoires tech sur un Etsy.com encore anecdotique dans le paysage web. Ils combinent esthétique du “pixel art et travail du feutre pour donner à leurs pochettes iPad des visages de “Cookie Monsters“.

Cette année-là pour la première fois un ordi défile élégamment, sur les podiums de la fashion week : le “notebook“ né de la collab Vivienne Tam X HP assorti à l’imprimé fleuri d’une robe en soie rouge se porte comme une “Digital Clutch“

Je commence la rédaction de mon mémoire, une étude stratégique pour le projet que j’appelle déjà Sweetysmart et que je veux dédier aux « accessoires multimédia de goût ». Je trouve largement de quoi anticiper l’explosion du marché des écouteurs qui aura lieu 18 mois plus tard, comme de remarquer la croissance synchronisée du marché du soin pour les ongles et du nail-art avec celle des interfaces tactiles. J’observe aussi sur Thumblrles prémices du Selfie qu’on n’appelle pas encore comme cela, et qui élève les coques d’iPhone au rang d’accessoire de mode assorti au nail-art des jeunes femmes, 3 ans avant que les vernis Maybelline ne fasse un co-branding avec Case-Mate proposant un match-up vernis + coque.

FW 2009/2010 les Hipsters ont pointé le nez à Brooklyn. Dans la ville les “tech gadget“ un peu plus colorés qui tentent de sortir de la triste esthétique tech sont banalisés sur les étals de rues et chez les réparateurs de smartphones qui sont aussi peu avenant que les petits garages d’antan réparateurs de scooters. Et malgré les efforts de Bohbot pour démocratiser sa démarche, l’élégante coque d’iPhone 3 à l’imprimé dentelle noire sur rose poudré qu’il produit pour Chantal Thomas se retrouve présentée à 25 cm du sol cachée dans un emballage carton-blister enfilé sur des rayons de métal de boutique baignées dans le blafard des néons. Et bien que récompensée à Copenhague “The modern Amulet“, la collection de clés usb de Magnhild Disington, reste cachée hors e-commerce dans ses raffinés pendentifs de fourrure.

Mon opinion est faite l’expérience shopping des accessoires tech est déplorable : si pour lors l’insatisfaction est celle du manque de choix, ce qui pose problème est vraiment la mise en valeur de ce choix : le marché est structurellement atomisé et le restera malgré la multiplication des collabs avec les industries du loisir et de l’image. Il faudrait se concentrer sur l’accès au choix et sur la valorisation esthétique avec un merchandising adéquat mais pour lors le morceau me semble un peu gros, je décide donc de commencer par ce qui est le plus à ma portée : bousculer l’esthétique du design tech, loin des plastiques, des couleurs primaires ou la facilité d’un “custom“ de surface.

A Paris, depuis mon “livingroom-lab“ je livre fin 2010 ma première collection d’accessoires tech et d’écouteurs customisés avec du cuir, de la fourrure, de la soie, et des motifs fleuris et présente dans un cercle confidentiel sur facebook, mes écouteurs assortis à des couleurs de rouge à lèvre : Sweetysmart entame une première vie.

Mais cette année-là reste pour moi celle de la perte d’un grand, dont la profondeur m’inspire : “I think there is beauty in everything. What ‘normal’ people would perceive as ugly, I can usually see something of beauty in itAlexander McQueen

2011, l’iPad 2 est présenté dans 24 heures. Réfugiée à New York pour une dernière bribe d’espoir de conquête d’une nouvelle vie avant la banqueroute complète et le RSA. It’s raining, J’aime observer de visu mon marché et mes cibles : je descends en talons les escaliers transparents jusqu’au sous-sol de l’Apple Store en essayant d’oublier que je suis en robe courte. Je vois Miss Michu en printed rain boots, a mom en printed rain boots et son teen en printed rain boots, deux quadra sortis de Friends en printed rain boots, un rapper classy avec son petit boy, un geek dad, un white colar qui marche aux objectifs mais tiens ses jambes comme un cow-boy et son iPad comme un colt, une vieille dame en printed rain boots… L’Amérique est mainstream c’est comme cela qu’on l’aime. En France Apple est une marque de “Distinction“ et c’est comme cela qu’on s’en agace : des csp+ consommateurs d’objets statutaires, des créatifs et des séniors intellos. Le “Think Different“ ?? Certains se pâment “ah Apple ils sont bons en design !”, j’entends surtout la preuve du succès de l’adoption massive d’un bon discours de marque et je vois bien que c’est une esthétique du clonage. J’applaudis aussi mais je ne comprends pas vraiment ceux qui invoquent l’innovation en faisant la danse du travail en équipe sur le sol d’une hiérarchie plate, alors que l’organisation d’Apple semble classiquement pyramidale et qu’il n’y a vraiment qu’un mec qui tient la barre. Je m’incline cependant car ce n’est pas en troquant le plastique aux couleurs vives contre le sleek, le slim et l’aluminium d’un Macbook, que les autres marques atteindront ce niveau stratégique de “Design thinking“.

Ainsi va le monde égal à lui-même, en Asie l’art de la copie est une valeur ancestrale ; aux USA la valeur d’un objet est mesurable au succès de ses ventes et dépend de son adoption par les stars d’Hollywood. En France, la distinction est une valeur paradoxale où le bon design se mesure à sa capacité à montrer sa différence tout en évitant de trop de la monter, car la distinction est forcément authentique comme celle du sang dans laquelle on se distingue alors par “le bon goût“, peut-être une référence coupable à la Cour dont on a coupé les têtes. D’un côté une épure assez protestante, de l’autre un rejet coupable et intello du bling se rejoignent : Je comprends mieux l’adoption particulièrement massive de l’iPhone par les Français en 2008.

Web 2011, La tech et la mode n’en finissent pas de flirter : Laguerfeldinvité à la grand-messe présente ses 100 iPods, 20 iPads et 4 iPhones. On l’interroge : “C’est vous qui avez édité ces coques à votre effigie ? “ “Non je les ais trouvées à vendre sur un site“.

On ne peut pas descendre en route. On apprend à se mettre à jour régulièrement, à commencer par ses valeurs. Le “pas encore au point“ et “l’obsolète“ deviennent les nouveaux standards. Pourtant le CA d’Hermèsne cesse de grimper, et il faut dix ans pour qu’un artisan atteigne le niveau de qualité souhaité. On nous explique qu’on ne comprend rien pas parce qu’on n’est pas des “Digital Natives, moi je n’ai jamais cherché qu’à comprendre. C’est certainement cela que je ne comprends pas : pour moi c’est celui qui manque de recul parce qu’il n’a connu que cela qui a du mal à comprendre. C’est dur de “Like“ les horreurs du monde postées sur nos “mursparce qu’on “fait avec“ ce monde simplifié et pas au point. Le culte de la simplicité vient de remplacer celui du progrès. Et je me demande encore de quel côté est Big Brother.

Tendance “SS 2012“. Gartner le dit : c’est la crise depuis la crise et assure que seul les prix intéressent les gens.

Les considérations esthétiques seraient elles désuètes ? Heureusement les board Pinterest déploient alors une infinie variété de goûts et de styles qui vont nous sauver du standard et de la primauté des valeurs de nouveauté et de performance sur celle du style. Moi, je crève la faim mais je fais tout pour rester concentrée sur ce marché qui semble appeler une phase plus #sweetysmart.

Je crée un casque dédié à David TV du Molokino : ses bandes-son-collages qui baignaient nos performances dans des univers référentiels ont gagné la nuit et les plateformes streaming où ses mix voguent sur un subtil entremêlement de voix du cinéma, de la littérature et de citation du pop art. Le casque gainé du même drap de laine que celui de son impeccable caban marin a des accents rouges classiques, j’en ai comme multiplié le câble par de longues franges effilochées qui forment tantôt une cravate jabot tantôt un abandon aléatoire d’ondes de feutre parmi les boutons de sa table de mixage.

FW 2012 Les médias célèbrent le geek et ses geekeries, mais les impacts des changements sont plus longs à se montrer massivement que le “ Ouh lala le monde change si vite“ ne le laisse penser… L’industrie de la mode daigne enfin, comme si c’était la première fois, prendre sa part des accessoires high tech. Alors que déjà le mot “ techcessories“, initié par 2 newyorkaises qui éditent des sangles d’appareil photo façon accessoires de mode, et qui a envahi la presse quelque mois auparavant, décline déjà sur Google Trend, les sites de mode et de luxe intègrent une rubrique “Technology“ ou “Tech“. Et je m’amuse de quelques vieilles marques tradi qui la planquent dans l’onglet “Men“.

Les marques, les politiques, et même les princes et autres peoples de la cour d’Hollywood, en gage de leur servitude au dieu IT, pour ne pas être laissés en arrière, tentent d’adopter cette caricature de l’idée du futur en s’affichant avec les Google Glasses sur les défilés ou dans les cocktails. De leur côté les chinois rois du gadget attendent que la vague d’inspiration ouverte que constituent maintenant les “makers“, arrive sur les plages mainstream grâce à la notoriété des créateurs de mode qui viennent y pêcher leurs idées, pour en barboter les derniers It. En France Kase sur le créneau « Customisation » et Lick sur le créneau des accessoires connectés et geek ont l’ambition de déployer massivement leur réseau de boutiques. Colette persiste sur les exclusivités et les plus trendy des dernières sorties. Tandis qu’en ligne Fancy se positionne sur les trentenaire New Yorkais plutôt hipster avec une large offre mono-esthétique d’une rubrique “gadget“ parmi 20 autres toutes dédiées au design trendy. Lick ou Kase, Collette ou Apple Store, Fancy ou Fab, Wanelo ou Etsy, Gadjetsin ou thinkgeek, il nous reste une insatisfaction profonde à voir les 50 à 300 mêmes références un peu partout et bien que le choix se soit élargi, la duplication est encore plus flagrante en 2016 avec Grand ST, Gadget Flow ou Bisly que seul le nom et une page d’intention permet de distinguer.

SS 2013, “team first“ est le grand focus éliminatoire des investisseurs.C’est vrai qu’en dehors de cela peu de choses tangibles pour évaluer son risque et les échecs d’association sont monnaie courante. Là je cale : mes âmes sœurs n’ont pas 20 ans, rament pour payer les études de leurs enfants, ont les revenus épisodiques des intello-créatif et ne voient pas comment m’aider pour faire exister Sweetysmart. J’ai du mal à penser qu’un jeune développeur frais émoulu de sa formation et intéressé par le principe des start-up ait un quelconque désir de s’associer avec une femme de l’âge de sa mère pour développer une interface atypique mais pas technologiquement innovante et de surcroît dans le domaine de la mode, sans aucun échange de monnaie sonnante et trébuchante. Je cherche comment sortir de la boucle. L’enthousiasme de mes futurs utilisateurs à se sentir enfin compris n’enraye pas la fabuleuse dynamique pessimiste de mes doutes qui sont le moteur le plus efficace que je connaisse. Avant de “faire comme il faut“, je vais“ faire avec“. Je ne corresponds pas vraiment aux critères du parfait petit entrepreneur. Il faut faire rentrer un minimum de cash pour trouver un développeur pour faire exister une première mouture de Sweetysmart.fr : Je sacrifie 70% de ma garde-robe sur un vide grenier puis réinvestis l’argent dans l’achat de portants, tables et fripes à restaurer. 3 mois et 8 portants plus tard je loue chaque week-end 3m2 sur les brocantes pro. Je découvre l’ivresse de vendre bien la pièce bien achetée, la joie sincère de voir une pièce unique trouver sa propriétaire et la fatigue immense de 3m3 charriés 4 fois par week-end : cave à kangoo à brocante à stand à kangoo à cave. Je suis bonne à “Tétris“ et mon compas dans l’œil est empathique. Soit marge courte sur petite pièce chère, soit grosse marge mais peu de pièces chères : pas de cash pour investir dans une voiture pourrie qui au bout du compte me couterait moins que de louer, et qui me permettrait de stocker dans ma cave et qui me permettrait encore d’augmenter ma marge en achetant par lot. Je surnage avec un bénéfice net de 50 à 250 euros par semaine de boulot dans ce marché saisonnier, en déclin, et où le mythe du garage-sell qui servait à renforcer la cohésion entre voisins, devient un spectacle de débâcle esthétique où les femmes vident leurs fringues de qualité dévaluées à 95% innocemment contentes de récupérer 300 euros qu’elle balancerons dans de la fringue cheap de clone et pour les plus malignes dans des fringues dont la marque réputée assurera qu’on puisse les revendre en vide-dressing online où les moteurs n’ont pas de réponses aux critères subjectifs comme : “jolie“ ou “élégante“ ou “sexy“ mais n’appellent que des noms de marque.

FW 2013–2014 Les idées n’ont aucune valeur c’est la phrase magique qu’ont pris au pied de la lettre ceux qui n’en n’ont pas. Ai-je le droit de rectifier qu’elles sont “difficiles à valoriser“ ? Pas la peine, ça bloque en face. Et je me demande qui ne comprend pas.
Pieds et poings liés par le binaire et dans la foulée par l’idée qui faut simplifier et qu’il faut aller vite et que les gens ne pensent qu’au prix… le e-commerce peine à mettre en valeur ce qui est au croisement de plusieurs catégories, ce qui est description technique élémentaire, du côté mode, et ce qui est description du style, du côté tech.

Combien de fois dans l’écosystème start-up me demande-t-on si je suis “tech“ ou “biz“ ? Je ne sais pas si je dois répondre ni l’un ni l’autre ou un peu des deux. Ce que je sais c’est que les designers ne sont pas censés entreprendre au-delà de l’entreprise individuelle. Nous, quand on se rends dans les meetups de team-dating on est les incongrus, on est censés intervenir en fin de parcours pour cette part congrue qu’a laissé la standardisation des interfaces à cette fonction à la définition sans consensus qu’est le Design. Comme d’habitude on va devoir creuser notre sillon pris entre deux feux celui des développeurs boostés par les profs revanchards d’un temps où ils étaient les “ bourrins exécutants “ faisant face à des “Biz“ sortis des écoles de commerce avec le statut qui les désignait chef qui leur glisse entre les doigts. Faire exister un projet de startup ambitieux qui disrupte le marché avec les armes de l’expérience utilisateur, c’est ce qui séduit donc Arnaud qui bataille avec passion pour faire entendre cette voix avec son Prolab aux Gobelins en marge des croyances qui rétrécissent par avance l’horizon. Il m’accueille donc dans cette structure flexible. Je trouve avec lui un mentor ouvert d’esprit, empathique qui n’assène pas de vérité, connait subtilement la dynamique du doute, interroge au quotidien celle des tendances, et transmet avec passion son vécu d’entrepreneur. On égrène la vision que j’ai de sweetysmart point par point à travers les grands poncifs de la création de start-up pour préparer le discours face aux investisseurs. J’y renforce mes quelques convictions. L’opportunité est bel et bien là mais je butte sur la rencontre d’un associé pour développer un “MVP“, empêtrée par la recherche de cash pour ma survie quotidienne et par cette expérience utilisateur que j’ai dessinée en marge des standards des “cms“ et “framework“ du e-commerce pour dépasser les accros de cette expérience shopping au croisement de plusieurs industries.

« Combien fait de giga la clé usb dans la vitrine ?». Un très aimable et élégant conseiller du flagship parisien Vuitton envoie quelqu’un s’enquérir de l’info… C’est vrai que je demande cela pour rire un peu. Mais je ne sais pas si j’ai envie de rire avec 2 Giga à 350 euros alors que la moindre clé est à 16 Giga à ce moment-là.

Hors les arguments de “performance“ et de “nouveauté“ les accessoires tech sont alors un peu démunis sans les co-branding avec les marques de mode et de lifestyle. On ne clique même plus sur ces objets de désir en séries limitées et distribution exclusive qui font le beurre des “curated moodboard“ mais qu’on sait d’avance introuvables. Combinant l’éphémère de la mode et celui des accessoires tech, le marché du “gadget geek“ et de l’accessoires tech “Selectisime.com“ pour “Born Rich.com“ utilise son vieux truc pour créer de la valeur : la rareté. Mais la “rapidité“ de duplication de l’info ne se synchronise qu’avec les “out of stock“.

La mode imprime sur soie Starwars. Le règne des blogs à renfloué la visibilité des subcultures et des rêveurs des mondes imaginaires biberonnés à la console et à la “Butterbeer“. Dans la foulée, les podiums érigent la quadra occidentale en “Gothic Chic“. Fin de règne du “Geek“ : la mode en recherche de “réputation“ sur les réseaux sociaux surfe sur leurs rêves : les casques écouteurs co-brandés deviennent, façon jouet sous licence, les nouvelles panoplies des socio-styles que les utilisateurs marquètent eux-mêmes comme des grands sur leur board Pinterest puis dans leur “compoInstagram.

Fuyant la banalisation de cette surexposition les marques montent d’un cran le bon vieux truc de la rareté : Surgit alors une flopée de “Pre-Order“ qui remplacent les accessoires tech stylés à la une des blogs à la recherche du “early adopter“ confondu avec le “tech savy“ sur les plateformes de crowdfunding. ET re : nouveauté, performance et rareté font barrage à ceux comme nous pour qui “the style matters“.

SS 2014 Alors que les hipsters finissent d’écouler les vieux stocks deNintendo, mon ami coloriste et humble dandy avec son Rien n’est Ordinaire énonce avec subtilité ce qui sera la première baseline de Sweetysmart.

Pour être Sweetysmart, comme il se doit, on essaie de se fondre dans le moule du pitch : 1 : problème, 2 : solution etc. “Répondre à un problème“ ? Nous, on a la conviction que ce sont les propositions les plus singulières qui touchent le plus de monde. Trop de clonage, pas assez d’indépendance d’esprit dans le tout venant des essayants entrepreneurs. Changer le monde ? Pour quel monde ? Ce que nous savons, nous, c’est que pour plus de désir et moins de problèmes, nous on a besoin d’intellectualiser nos désirs, de saisir les références esthétiques, culturelles, people, lifestyle…dans les signes et dans les formes. On s’amuse au jeu des socio-styles et ce n’est qu’un prétexte pour parler de style, pour raconter les histoires de fan et les lifestyle qu’il y a derrière le design des accessoires. On rêve, comme tous les nouveaux fans d’ad-blocker, d’une échappée loin du « dis-moi qui tu es je te dirais quoi porter ». Nous, cela nous semble normal, on n’aime pas être mise en boîte, ni se prendre trop au sérieux.

Ere du 1 et 1 seul : une seule cible, un seul focus… mais nos identités virtuelles nous ont permis d’exprimer notre multiplicité. On peut porter un costume au bureau et cacher sous notre chemise des tatouages de cosplay. On peut être quinqua et aimer accrocher un Petshop à notre téléphone gainé de cuir clouté. On peut avoir 70 ans et s’habiller tendance… mais les oreilles de jeunes perroquets qui sortent du même Meetup qu’ils ont tous vus sur youtube se ferment à ce réel. Ouf ! une interview des frères Rosenblum (Kase et ex-pixmania) « le marché est très large : “tout le monde“ à un smartphone ou une tablette » puisque ce n’est pas nous qui le disons mais une autorité du marché, cela va nous permettre d’être entendus.

1928–33, née de la tension entre technique et esthétique, Kodak crée des éditions spéciales à l’attention des femmes : la “Kodak Coquette“, un pack comprenant un appareil photo décoré avec un motif d’émaux art déco et vendu avec le poudrier et un étui à rouge à lèvre assortis.

D’un côté une culture ingénieur qui supporte mal de voir ses efforts réduit à un poids négligeable derrière le choix d’un “pink“ où d’un nom de la mode, de l’autre des femmes qui ont peur de ne pas être “féministes“ et peur d’être étiquetée de “ futiles“ ou peut-être qu’on les juge trop bêtes pour choisir sur des arguments techniques sous prétexte qu’elles font la primauté aux arguments esthétique ? Skullcandy se décline en Skullcandywomen, les bloggeuses relaient la campagne en faisant la fine bouche pour des questions de sexisme. La marque a assuré ses arrières avec un argument scientifique en faisant travailler ses ingénieurs sur des tessitures spécifiques au femmes : « elles ont un spectre d’écoute plus large que celui des hommes ». La puissance du style à générer des discours qui joue la polémique nous amuse tout autant que la futilité de la duplication des “#stunning“, “#great“, “#love it“ en guise de commentaire. Pourquoi cèderait-on à un monde qui fustige l’esthétique comme un ennemi de la technique ? Pourquoi ne choisirait-on pas quelque chose de moins performant parce que le style nous plait, même si on préférerait avoir les deux ?

Raté ! Chaque vague de progrès technique relègue à la deuxième place les valeurs de style: les chiffres géants des prévisions de marché des objets connectés envoient balader les beaux efforts créatifs tech et mode, le mot “usage“ évite le mot “utile“ et ouvre la vague de marketplaces aux rubriques par usages qui cependant les laissent aveugles au 60% des personnes interrogées sur les wearables, qui “ne se voient pas porter quelque chose de moche“.

2015 C’est la tendance desQuote Case“, j’en voudrai une avec celle de Chanel : « La Mode se démode, le style, Jamais ».

“An attempt to position the watch as a luxury fashion product rather than a gadget“. Apple semble enfin arriver sur la dernière marche du podium fashion : mais quelque chose leur échappe : Si l’on est mode aujourd’hui donc demain on ne l’est plus. Et de s’étonner que les ventes de la Apple Watch ralentissent après avoir fait les bonnes couv de magazine de mode, le bon poignet d’une ex-top, et les bons lieux réputés fashion et tech comme Colette. Et de devoir seulement quelques mois plus tard trouver une nouvelle légitimation grâce à un co-branding avec Hermès, qui délivre un bracelet à double tour comme l’Ouroboros ou le Ruban de Möbius qui se mord la queue, comme un juste retour des choses : copié immédiatement par les artisans d’Etsy et les chinois dit artisans.

Leur reste alors la possibilité de conserver une marche du podium dans la catégorie mainstream : Apple rachète Beats, au moment où la marque représente 70% du marché des écouteurs aux US. Le “Think Different“ est bien mort : les cafés parisiens rythmés par les playlists voient se multiplier les brochettes de 13“ à pomme. Le culte de la simplicité a remplacé celui du progrès. Et je me demande encore de quel côté est Big Brother.

Chaque nouvelle rencontre de la mode et de la tech se vente d’être une première disruption : “Fashion meets tech“, “Style Meets tech“, “High Fashion For High Tech“… Bien sûr avec Sweetysmart comme me le dit le DA d’une grande marque de valise culte « Ah mais en fait vous allez réconcilier la préoccupation tech avec la préoccupation Design ».

Même si on se rêve provocants à la Théophile Gaultier : “ll n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid“. Nous on rêve surtout d’aller au-delà du caractère paradoxal de ce marché. Nous on veut les deux facettes et l’on crie « Style Only » en écho à l’nouvelle incantation “Mobile First“

Sur Twitter, les nouveau tags #fashtech et #Frenchtech nous permettent de retrouver celles qui comme Munchanetta Kapfunde avec FashNerd, Barbara Belvisi avec Hardware Club ou encore Noémie Balmat avec Clausette, semblent avoir entendu les mêmes murmures.

L’esthétique du “flat design“ et ses “Ghost Button“ déjà trop vue, prend corps alors dans la transparence des “Ghost Case“ adoptées massivement par nos vies surexposées. Des coques transparentes pour échapper au style ou pour en avoir sans en avoir l’air ? A-t-on trop peur de se différencier du voisin ? Le style s’est-il réduit à la marque ? N’est-il que statutaire au sein d’une logique grégaire ? Pourquoi y a-t-il un logo si visible sur mes objets tech alors qu’on n’a pas de gros “Ikea“ embossé sur nos tables ? Les premiers équipements tech statutaires devaient être les armes. Et puis ces armes sont devenues des jouets en plastique et la tech n’a cessé de puiser dans ses racines : du métal et des armoiries sur des boucliers ou bien des jouets avec du plastique et des couleurs vives.

Justement, Apple swaps l’emoji révolver contre un pistolet en plastique. Est-ce pour faire une pierre deux coups ? : Lutte contre les dégâts des armes à feu aux USA et mise à jour pour rester trendy. Pistolet à eau ou pistolet imprimé en 3D ? Le vrai réel fait des trous dans le virtuel et ce n’est pas en remplaçant l’emoji bombe par un polochon qu’on empêchera le terrorisme. Au même moment Microsoft remplace son emoji au allure de space blaster de sci-fi par un pistolet réaliste, mais le faux réel n’entame pas nos vrais imaginaires geek.

L’esthétique Bisounours ne nous sauvera pas mais les discours qui se font “pour de vrai“ se prennent au sérieux. Nous on espère qu’on ne remplacera pas l’emoji talon aiguille par une chaussure plate sous prétexte de sexisme ou que cela fait des trous dans les parquets qui détruisent la forêt…

Pas très confortable d’être ringardisé aux yeux de tous. On s’empresse soit de se positionner avec une distance critique soit d’adopter ce qui nous est désigné comme le truc du moment.

Fuite en avant de la pensée articulée : Règne des # qu’on aligne avec les emoji qu’on colle partout. On ne juge pas, et nous, on apprécie particulièrement ce soin à donner une disposition aléatoire à ces stickers, parce qu’on y décèle cette pointe de sublimation qui fait le style.

FW 2015/2016–2017. Comme pour compenser cette désarticulation la tendance se concentre sur le corps à travers le discours avec la tendance “sporty“, sur sa mesure avec “l’objet connecté et sur son contrôle avec la révélation du “Stand Desk”. Autant de douces injonctions comme pour éviter que notre corps disparaisse avec l’arrivée de la VR … Mais faut-il vraiment que la Smartwatch soit vaguement waterproof ? Est-ce pour survivre à ce désir inconscient de retour au liquide amniotique ? Non, évidemment non, puisqu’en même temps Apple coupe le cordon. Ce cordon manquant qui m’avait toujours fait penser à un stéthoscope transformé en perfusion, est maintenant visible comme un “Gost-Wire“, comme une “AmPutation“ puisque les AirPods gardent la forme des EarPods. Sur les fils de commentaires le fond du débat se recentre sur la légitimité du discours : « Apple peut-il continuer à prétendre au mot innovation ? ». Nous on se demande qui prend au premier degré les Pokémons : ceux qui y jouent ou ceux qui se complaisent dans la critique ? On sourit à ces discours sur le discours qui comme toujours ne sont que de rituelles réticences qui annoncent l’adoption d’un changement.

Les tendances, largement mondialisées semblent faire leur possible pour nous arracher à nos valeurs, mais les nouvelles nous tendent les bras. Cela tombe bien on a envie d’être pris par la main dans ce grand shopping orchestré de tendances éphémères en techno dépassées pour pouvoir s’échapper du dérisoire de la consommation et de nos existences qui semblent si peu particulières tant elles se ressemblent à se mimer sur Instagram.

Notre plaisir nait dans la profondeur des apparences et on veut tout : plus de beau et plus de pratique. Et puis l’on aime parfois juste choisir, explorer et l’on veut en finir de ces temps fastidieux de recherche au bout desquels au mieux l’on se rabattra sur le moins pire des « trucs moches ». On veut aussi le juste équilibre entre les choix sélectifs restreints, l’effet trop vu partout d’un marché structurellement éparpillé et les massifs résultats du tout-venant dans lesquels les tris ne laissent surnager en surface que les plus vus, les plus récents et les moins chers.

Parfois en riant on se dit que notre vrai combat est de lutter contre la mocheté et la banalité. On a un pincement au cœur quand un objet qu’on pensait destiné à ceux qui ont un certain sens du raffinement semble juste évoluer en objet mainstream. Mais on ne juge pas pour autant négativement un objet parce qu’il est trop tendance, ni encore parce que ce n’est qu’un gadget. On ne se réfugie pas non plus derrière le mépris face à un accessoires tech beaucoup trop chers pour nous. Parce qu’on aime terriblement la subjectivité on se permet de rejeter un objet pour son goût douteux, et l’on peut même jouer à surenchérir sur les critiques mais l’on ne suivra pas la convention de taper plus sur le bling que sur le sobre… Nous, même lorsqu’on n’ose pas oser la différence on en rêve quand même.

Winter 2016 le moule du pitch est trop étroit pour nous : alors on dégringole la colline de Gauss pour retrouver notre ADN. Au regard du contexte déstructuré et vidé de joie, notre passion pour l‘esthétique et pour la dialectique des contraires : celles du fond et de la forme, du beau et de l’utile, de la mode et du style ou encore de la technique et de l‘esthétique… pourraient sembler dérisoires et impuissantes. Justement « Nous préférons prendre la mode pour ce qu’elle est : Un spectacle superficiel et beau » Les Mouvements de mode Expliqués aux Parents

Comme dit Brice en nous aidant à rendre plus explicite notre promesse : “Sweetysmart ré-enchante le shopping des accessoires tech“.

« La mode est une forme de laideur si intolérable que nous devons en changer tous les 6 mois. » dit Oscar Wilde.

Pour nous ce qui est bien, c’est quand à chaque changement de saison on n’a déjà plus envie de la précédente ou bien très envie de la nouvelle ; ce qui est chouette c’est quand d’un ton important on trouve tout moche ou qu’on regrette que certaines choses se perdent ; ce qui est vraiment frais c’est quand ce qui se portait il y a trois mois nous semble une mode d’autrefois. Avec ou sans distance, pour la passade d’une tendance ou pour un vieil attachement au sens caché pour un vague attrait fétichiste pour les objets, pour la folie du détail et l’amour de la référence, l’on persiste et l’on signe Sweetysmart.

Agathe Gris pour sweetysmart.com

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