Relance souhaitée du débat sur le nucléaire : Qu’en est-il en 10 leçons ?

Symbiose
Synthèse
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5 min readNov 30, 2019

Par Ronald Babin

Ce texte d’opinion de Ronald Babin fait le point sur la question du nucléaire, notamment suite à l’organisation, sur le campus de l’Université de Moncton le 7 novembre dernier, d’un événement de réseautage et de recrutement par une entreprise du secteur nucléaire.

Certains ingénieurs de nos jours avancent que l’énergie nucléaire serait l’option toute désignée pour nous aider à faire face aux défis de décarbonisation de la crise climatique et de la nécessaire transition vers des formes énergétiques à faible rejet de gaz à effet de serre (GES) (éditorial Science du 11 janvier 2019). Y voit-on clair ou s’agit-il d’une forme de scientisme naïf qui oublie l’essentiel de ce que nous avons appris du développement et de la contestation de l’énergie nucléaire? Voici une rétroaction en 10 courtes leçons :

1. La première dimension évacuée est celle des limites planétaires qui ont été bien identifiées par le Club de Rome en 1970 (Rapport Meadows — Limits to Growth/Halte à la croissance) et présentées à la première Conférence mondiale sur l’environnement à Stockholm en 1972 : éviter le péril écologique implique de rester dans les limites planétaires qui ont été démontrées mais refusées alors par le système économique préconisant la croissance sans limites ; aujourd’hui de tenir compte du besoin de revenir dans les limites planétaires qui ont été dépassées depuis et comme cela ne cesse d’être répété de nos jours (urgence climatique et écologique).

2. Le nucléaire a été promu comme source énergétique illimitée « To Cheap to Meter » afin d’assurer et de promouvoir une approche énergivore de croissance sans fin ni retenue et qui est devenue de toute évidence non durable, ce qui explique le grand refus de la part des environnementalistes d’hier et d’aujourd’hui.

3. Le nucléaire est une menace au soutien à la vie sur terre selon l’amiral américain Hyman Rickover qui a dirigé le développement des sous-marins nucléaires et connu comme le père de la dissuasion stratégique. Devant le Congrès américain qui l’honorait en 1982, il a surpris en affirmant que l’énergie atomique représentait une régression car nous créons ainsi la radiation que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible sur la planète et dans tout le système de vie. Il ira jusqu’à déclarer le nucléaire comme un mal absolu tant dans ses applications militaires que civiles et qu’il est plus important de contrôler cette force horrible que de l’utiliser.

4. En comparaison avec les sources renouvelables, la technologie nucléaire complexe serait la solution qui devrait refaire surface et dans laquelle il faudrait croire en fonction de données statistiques spécieuses qui suggèrent une utilisation moindre par le secteur nucléaire de ressources naturelles et de surfaces géographiques de développement. L’objectif ici est de noyer le poisson avec des chiffres en suggérant que les ressources dites abondantes de matières fissibles (uranium puis thorium) auraient peu d’incidences sur l’augmentation des gaz à effet de serre (GES) en négligeant l’énormité de l’impact de l’ensemble du coûteux cycle énergétique nucléaire lui-même (exploitation des mines, transformation industrielle des minéraux, développement/construction/remise à neuf/démantèlement des centrales et de lieux de stockage temporaires/permanents de déchets radioactifs pour le très long terme dont on mesure pas véritablement l’ampleur et les conséquences).

5. Au sujet des coûts : doit-on continuer d’accepter un système énergétique dont le coût arrive trop souvent à la fin des projets à 3 fois le coût estimé au départ (la règle de x3) alors qu’on observe une diminution marquée des coûts pour les énergies renouvelables de l’avenir qui les rendent très compétitives au grand désarroi des industries fossiles et nucléaires qui ont dominées un passé révolu que certains souhaiteraient revoir ?

6. Comment peut-on évacuer et minimiser les impacts réels des accidents nucléaires (Chalk River Canada 1952, Three Miles Island USA 1978, Tchernobyl Russie 1986, Fukushima Japon 2012, prochaine date inconnue mais peut-on l’exclure) en suggérant qu’il y a davantage de morts facilement comptabilisables dans des mines de charbon du passé que dans des décès actuels cachés, minimisés et à venir en fonction de maladies dégénératives contemporaines en croissance dont on tarde à reconnaitre la réalité véritable puisqu’elles surviennent plus tardivement et de manière moins apparente. L’hypocrisie est que trop apparente !

7. Rappelons que l’énergie nucléaire (Atoms for Peace 1952) issue de l’énergie atomique utilisée en 1945 (Hiroshima et Nagasaki) est le paravent derrière lequel se cache la poursuite de la course vers des armes nucléaires plus dévastatrices et menaçantes pour notre avenir commun toujours confronté à l’objectif imposé de continuité d’une course aux armements nucléaires qui ne contribue pas véritablement à l’amélioration des conditions de vie sur une planète dont on commence à saisir sa véritable vulnérabilité.

8. Que faire alors : y a-t-il une autre approche que l’adoption du principe de précaution et de la réflexivité humaine qui s’y rattache plutôt que l’abandon de cette capacité de juger et de choisir ensemble intelligemment, ce qui permet d’assurer une véritable transition durable, verte et viable? Poser la question est aussi y répondre par l’affirmative de la nécessaire recherche collective d’une approche raisonnée.

9. Sur le fond, nous y sommes alors que de plus en plus de citoyens se lèvent pour réclamer de passer de la parole aux actes (les Pactes citoyens, les grèves scolaires, les actions en justice, les désinvestissements des énergies fossiles et des secteurs à risque) en vue le développement de solutions concrètes pour faire face à notre défi climatique, environnemental et existentiel commun sur une planète unique dont nous dépendons.

10. On trouvera peut-être dans l’avenir une autre destination cosmique pour les fans de Star Trek mais cela relève à ce jour d’une science-fiction techniciste, voire d’une utopie technologique réductrice limitant la pensée réfléchie qu’il faut plutôt nourrir collectivement et démocratiquement sur notre planète pour bien assurer la suite du monde.

Ronald Babin

Professeur de sociologie environnementale et auteur de L’Option nucléaire. Développement et contestation de l’énergie nucléaire au Canada et au Québec (Montréal, Boréal, 1984) et The Nuclear Power Game (Montréal, Black Rose Books, 1986).

Aucune position officielle de Symbiose ne devrait en être nécessairement interprétée.

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Environnement et justice sociale — Université de Moncton