Design Thinking 101 — en français

Arthur Schmitt
9 min readJan 15, 2019

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Cet article reprend les bases d’une présentation donnée au début d’un programme de formation. Il est inspiré de nombreux travaux, mais cherche à palier un certain manque en termes de publications francophones. La majorité des éléments dans l’article sont donc en français, à l’exception de quelques termes techniques difficiles à traduire ou compris dans la communauté. Les éléments sont présentés sous forme synthétique et certaines parties demanderaient un accompagnement spécifique.

Introduction

Le Design Thinking prend une place de plus importante en entreprise. Et avec raison : les entreprises qui l’ont mis en pratique dans les 10 dernières années (comme 3M, Coca-Cola, IBM, Nike, Procter & Gamble, etc.) ont surpassé le S&P 500 de 219% dans les 10 dernières années, d’après une étude du Design Management Institute. Il a fait les beaux jours de compagnies de conseil (IDEO, Frog, etc.).

Le Design Thinking se diffuse aujourd’hui dans tous les niveaux de l’organisation. Il sort des départements de conception pour investir la stratégie et le business. En ce sens, il est enseigné maintenant enseigné aussi bien dans les écoles d’ingénieur que dans les écoles de commerce.

Malgré tout, il reste difficile à définir et ses contours sont encore flous. Il semble parfois être la solution à tous les maux, proche de la pensée magique. Il est tantôt présenté comme une méthodologie de résolution de problème complexes, tantôt comme un processus d’innovation, tantôt comme un outil de transformation personnelle. La page anglophone de Wikipédia est une bonne illustration de ces contradictions. En conséquence, la définition qui y est faite pourrait difficilement être plus vague :

Le Design Thinking fait référence aux activités cognitives spécifiques au design que les designers appliquent au cours d’un processus de conception.
(traduit de l’anglais)

En réalité, il représente un glissement du design comme pratique solitaire, presque artistique, vers une approche collaborative et plus holistique, qui peut être analysée, découpée en phases, et donc, dans une certaine mesure, standardisée.

Design ?

Pour comprendre le Design Thinking, il est indispensable de clarifier d’abord la notion de design.

Pendant la Renaissance italienne, le mot disegno signifie à la fois dessin et projet. Il est alors traduit en français par dessein, gardant son double sens : à la fois l’idée (le concept) et sa représentation. Tout comme en anglais et en italien, il trouve son origine dans le latin designare, qui a permis également de former en français le verbe « desseigner », d’où sont issus les verbes « désigner » et « dessiner ». Mais ces deux sens vont peu à peu se disjoindre et le terme de dessein est aujourd’hui presque disparu.

En français, le mot ‘design’ a été lentement vidé de sa substance et est aujourd’hui rentré dans le langage courant comme un adjectif qualifiant un style aux formes simples et d’apparence épurée, synonyme de ‘moderne’. Le verbe ‘designer’, quant à lui, est compris comme ‘rendre quelque chose joli’. Les grandes stars du design francophone (Philippe Starck, Ora Ito, etc.), qui flirtent avec le monde de l’art contemporain, portent en partie la responsabilité de ce glissement sémantique. Le designer serait ainsi une figure solitaire, imposant sa vision sur un objet. À la manière d’un artiste, il cherche l’inspiration dans son atelier et son nom, dès lors qu’il est associé à un objet, y donne de la valeur.

Une chaise ‘design’ — Recherche Google ‘chaise design’

Le mot ‘design’ tel qu’il est utilisé dans ‘Design Thinking’ est donc à comprendre dans son sens originel (disegno) :

Le design ce n’est pas l’apparence ou le ressenti d’un objet. C’est comment il fonctionne.
— Steve Jobs

Thinking ?

Le terme ‘thinking’, qui veut dire ‘penser’ en anglais, peut laisser entendre que le Design Thinking est une méthode uniquement basée sur l’imagination. En réalité, pendant un processus de Design Thinking, on passe au moins autant de temps à faire qu’à penser ! Le mot ‘thinking’ est plutôt à comprendre au sens de ‘raisonner’. Il s’oppose justement à une approche artistique, basée uniquement sur l’inspiration (‘j’ai fait ça parce que j’avais envie’ ou ‘parce que c’était beau’ ou ‘parce que c’est à la mode’). En allant plus loin, un des postulats du Design Thinking est que ‘faire’ aide à ‘penser’ : en tentant de résoudre un problème de manière pratique (prototypage + expérimentation), on découvre de nouvelles solutions auxquelles on n’aurait pas pu penser tout seul.

Design Thinking !

On commence à y voir plus clair. Tentons maintenant de définir le terme précisément. Nous proposons donc la définition suivante :

“Approche créative, globale et pratique de résolution de problèmes centrée sur l’utilisateur”

La méthodologie s’appuie sur un certain nombre de postulats :

  • “Faire” aide à penser
  • Il est important de s’assurer qu’on “pose la bonne question”
  • On peut arriver à une solution plus pertinente en impliquant toutes les parties prenantes d’un projet (collaborateurs, utilisateurs, etc.)
  • Inclure les parties prenantes permet aussi de s’assurer que la solution sera ensuite acceptée et mise en place

Les 5 piliers du Design Thinking

Les 5 éléments clés du Design Thinking — Production Rhizome

Autour de chaque pilier, on retrouve les éléments qui y sont souvent associés.

Nous avons choisi de présenter la créativité au centre de la démarche. En effet, cet aspect est souvent pris comme acquis, oublié ou mis de côté. Le processus de Design Thinking est parfois présenté comme une mécanique infaillible : ‘si vous écoutez vos utilisateurs, vous trouverez la solution’. Malheureusement, ça n’est pas vrai et la réussite du processus de Design Thinking dépend principalement des capacités créatives de l’équipe qui le met en place (d’où la nécessité de la cultiver). Au cours des dernière années, on a d’ailleurs pu voir des défenseurs du Design Thinking se déplacer sur le terrain de la créativité (voir : Creative Difference et Creative Confidence, par IDEO, Creative Quotient, par Brandon George et Bruce Nussebaum). Pour aller plus loin, le Design Thinking ne remplace pas la nécessité d’avoir des excellents créatifs à tous les niveaux de production dans l’entreprise, du packaging à la mise en marché.

En nous appuyant sur les 5 éléments clés présentés plus haut, nous avons tenté de présenter le Design Thinking dans un contexte plus large en le confrontant à d’autres méthodologies (Human Centered Design, Service Design, UX Design, Lean Startup, Design Jam, Design Sprints). Ce modèle, bien qu’imparfait, propose une vision globale :

Le Design Thinking par rapport à d’autres pratiques — Production Rhizome

Une méthode → des techniques

Le Design Thinking peut aider à trouver une réponse à une problématique, mais il n’est pas une réponse en soi. Et il est loin d’être garantit à 100%. Il ne représente pas un trajet unique réplicable à l’infini.

Plus qu’un manuel, le Design Thinking est avant tout une boite à outils. Il faut le voir comme une collection de techniques, d’instruments, et de pratiques qui peuvent être appliquées à différents contextes.

Dans ce sens chacun peut y puiser des idées et se faire sa propre sélection ‘à la carte’, en fonction du projet ou de ses préférences. Il est même possible (et encouragé) de modifier des techniques pour mieux les adapter à un contexte donné. On peut même inventer ses propres techniques, au fur et à mesure qu’on développe sa propre pratique.

Cette approche force à changer la posture du designer. Celui-ci n’est plus un créatif solitaire, mais un facilitateur qui va chercher à faire émerger des solutions pertinentes.

Le processus de Design Thinking

‘the squiggle’ — Damien Newman, Central Inc

Il existe de nombreuses manières de décrire le processus du Design Thinking. En voici une sélection :

Une méthode — de multiples processus

Voilà le modèle que nous avons choisi (avec les 5 phases que nous détaillons plus bas) :

0 — Préparation

Objectif : s’assurer qu’on est dans le bon état d’esprit.

Se préparer à :

  • Aller vers les autres
  • Apprendre (learning mindset)
  • Sortir de sa zone de confort
  • Passer de l’analyse à l’action
  • Faire des erreurs

1 — Recherche

Objectif : comprendre les besoins de ses utilisateurs, leur mode de vie, leur manière de penser et leur parcours émotionnel.

  • Observation
  • Engagement
  • Écoute
Recherche — Images issues de recherches Google

Règles de base :

  • Privilégier les questions ouvertes
  • Poser plein de ‘pourquoi ?’
  • Identifier des ‘patterns’, des surprises, des ‘workaround
  • Observer ce qu’ils font et pas forcément ce qu’ils disent
Il est difficile pour les humains d’imaginer des choses qui n’existent pas — Image Tom Fishburne

Techniques :

  • ‘Shadowing’
  • Entrevue semi-dirigée
  • Dans la peau de …
  • Utilisateurs extrêmes
  • Observation participante
  • Safari + carnets de voyage
  • Carte d’empathie
  • Visualisation
  • Chapeaux de Bono
  • Recherche documentaire et lectures
  • Benchmark pro-actif (‘learning expedition’, etc.)
  • Questions à des experts

2—Définition

Objectif : poser la ‘bonne question’.

  • Synthétiser les recherches
  • Identifier des ‘insights’
  • Formuler un ‘défi’

Si j’avais une heure pour résoudre un problème dont ma vie dépendrait, je passerais cinquante-cinq minutes à définir le problème et seulement cinq minutes à trouver la solution.
— Albert Einstein

Définition — Images issues de recherches Google

Règles de base :

  • Être précis et concis
  • Le défi ne doit pas avoir de solution évidente

Techniques :

  • Modélisation
  • Mindmapping (clusterisation)
  • Carte d’empathie
  • Personas
  • Matrice 2x2
  • Analogies
  • User journey map
  • Ad-libs
  • Storytelling

3 — Idéation

Objectif : explorer la diversité des possibilités.
(pas forcément arriver à LA bonne réponse)

  • Aller au-delà des solutions évidentes et augmenter le potentiel innovant de votre solution
  • Récolter les différentes perspectives de l’équipe
  • Découvrir des domaines inattendus à explorer
  • Mettre au jour un grand volume et un grande diversité d’options
Idéation — Images issues de recherches Google

Règles de base :

  • Une conversation à la fois
  • Viser la quantité
  • Encourager les idées folles
  • Ne pas juger / ne pas bloquer
  • Construire sur les idées des autres
  • Être visuel
  • Alterner des phases seuls et en groupe
  • Ne pas mélanger les phases créatives et analytique

Techniques :

  • Brainstorming
  • Brainwriting
  • Power of 10
  • Sketch (esquisse)
  • Mind-map

Quelques questions pour aller plus loin / sortir du cadre :

  • Comment résoudre le problème avec 1m$ ?
  • … sans budget ?
  • … sans technologie ?
  • … sans objet physique ?
  • Comment s’y prendrait le gouvernement ?
  • Comment ça se résoudrait dans un film Disney ?
  • Quelle est la pire idée que vous pouvez imaginer ?

4 — Prototypage

Objectif : donner une forme tangible aux idées prometteuses et les confronter rapidement à des utilisateurs.

  • Aider à penser
  • Tester et valider une hypothèse
  • Créer un langage commun dans l’équipe
  • Communiquer sur le projet
  • Recevoir du feedback
Prototypage — Images issues de recherches Google

Règles de base :

  • Commencer tout de suite
  • Ne pas passer trop de temps sur le prototype
  • Construire en pensant à l’utilisateur
  • Construire une expérience
  • Préparer des questions ouvertes
  • Rester « neuf »
  • Ne pas tomber en amour avec la 1ère idée

Techniques :

  • Simulation de service (puppet master, jeu de rôle)
  • Test A/B
  • La serviette en papier
  • Vidéo-prototype
  • wireframing
  • Publicité fictive / une de journal

Mais aussi :

  • Préférer les prototypes ‘lo-fi’ (low-fidelity)
  • Être clair sur ce qu’on veut tester. Un projet peut nécessiter plusieurs types de prototypes (visuels, fonctionnels, d’expérience, etc.)
  • Faciliter le feedback
  • Attention au ‘confirmation bias’ (le fait de n’entendre que les choses qui viennent valider nos hypothèses)
  • Peut nécessiter l’accès à des outils et espaces spécifiques

5 — Lancement

Objectif : intégrer l’idée la plus convaincante dans un environnement réel.

  • Combiner les éléments prometteurs dans un seul concept
  • Valider les décisions de design
  • Obtenir du feedback
  • Amélioration continue
  • Plan d’action long terme
Lancement — Images issues de recherches Google

Règles de base :

  • Définir des limites claires à l’expérimentation
  • Définir en amont les indicateurs recherchés
  • Boucles itératives courtes
  • Construire une expérience réaliste
  • Prévoyez des plans B pour tout

Techniques :

  • Learning launch
  • Blueprints de services (UML, etc.)
  • Test A/B

12 manières de se tromper

  1. Partir avec une idée pré-conçue ou une idée de solution
  2. Ne pas prendre le temps de poser les bonnes questions
  3. Ne pas constituer une équipe diversifiée
  4. Penser que la solution est forcément technologique
  5. Demander aux utilisateurs ‘ce qu’ils veulent’
  6. Parler plutôt que de faire
  7. Penser que le process peut tout résoudre
  8. L’intégrer comme un ‘énième nouveau process’
  9. Suivre les règles à la lettre
  10. Penser que les meilleures idées viennent ‘d’en haut’
  11. Laisser les égos se mettre en travers du chemin
  12. Intégrer la pensée design en toute fin d’un projet pour justifier la pertinence de ce qui a été (déjà) fait

Sources :

Design Thinking big principles (Razan Sadeq, Slideshare)
Intro to Design Thinking (Mike Krieger, Slideshare)
Design Thinking Bootcamp (Jan Schmiedgen, Slideshare)
d.school Bootcamps
IDEO

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Arthur Schmitt

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