Vidéo 360-VR: un nouveau format incontournable pour le News?

Interview avec Thomas Seymat, 360 & VR editor à Euronews.

Terence Jarosz
8 min readJun 27, 2018

Durant le GEN Summit qui s’est tenu à Lisbonne (30 mai-1 juin 2018), j’ai pu rencontrer Thomas Seymat, 360 & VR editor à Euronews.

Autour de quelques questions, Thomas nous résume son expérience avec la vidéo 360 & Réalité Virtuelle (VR) pour la chaine d’information en continu.

Ses réponses détaillées nous donnent un tour d’horizon pertinent sur ce nouveau format, au mode de narration innovant, et qui fait de plus en plus sont entrée dans les rédactions digitales et web.

Thomas Seymat, Euronews 360/VR Editor & Térence Jarosz, ENEX News Editor au GEN Summit à Lisbonne (01/06/2018)

Peux-tu nous parler de ton expérience avec la vidéo 360 et VR à Euronews?

Si, comme beaucoup, j'avais déjà vu plus jeune des films ou des séries avec des casques de réalité virtuelle et leur graphisme des années 90, mon intérêt pour la vidéo 360 et la VR pour le journalisme remonte à Avril 2015.

C'est lors du MIPCOM, à Cannes, que je couvrais pour Euronews que j'ai vu un panel de spécialistes parler de nouvelles narrations. Parmi eux, Antoine Cayrol, qui était à l'époque chez OKIO-STUDIO, présentait la nouvelle "version" de la VR, centrée autour du smartphone. Si les technologies, aussi bien niveau captation que diffusion, en étaient encore qu'au stade du balbutiement, les exemples accessibles étaient déjà très cools. Cette présentation a suscité chez moi un intérêt personnel quasi-instantané. Il a fallu attendre plusieurs mois avant que cela se traduise par des changements au niveau professionnel.

Je me suis mis à dévorer les rares articles et rapports sur le journalisme immersif, et à contacter des personnes comme Anh-Hoà Truong, qui étudiant le sujet à Stanford à ce moment là.

Plus tard, j'avoue que j'ai un peu harcelé mon rédacteur-en-chef, car j'étais persuadé du potentiel de ce nouveau média pour Euronews. Il a fini par accepter que je porte, épaulé par des collègues, une candidature au 1er round du fonds Digital News Initiative de Google. Elle avait pour objectif de faire d'Euronews le premier média international avec un workflow immersif intégré à la rédaction numérique et TV, pour produire des vidéos en interne, et ce de manière régulière. Cette stratégie prenait à contre-pied la douzaine de reportages 360 produits à l'époque, par des gros studios de productions, avec des budgets importants et un certain manque de réactivité par rapport à l'actualité.

Avant de recevoir une réponse positive du fonds DNI au printemps 2016, nous avons tourné et diffuser une première vidéo 360 en janvier/février, grâce à du matériel prêté par des constructeurs de caméra! Sa réalisation n'a pas été sans peine, et j'ai pu voir tout de suite ce qui pouvait convenir ou non pour un journaliste sur le terrain. Le soutien du DNI nous a évidemment permis de nous lancer à plus grande échelle dans l'expérimentation avec ce nouveau média.

Laundry Day Around the World | 360 video — The New York Times

Nous avons commencé à produire de manière industrielle, si je peux dire, des vidéos d'actu 360 en juin 2016, lors de l'Euro de foot. Au niveau du matériel, nous avons signé à ce moment un accord d'exclusivité avec Samsung, pour une caméra Gear 360 suffisamment de bonne qualité et simple d'utilisation pour notre workflow. Ce modèle de production plus flexible, moins cher, et en interne allait être adopté quelques mois plus tard par le New York Times pour leur Daily 360, eux aussi avec le soutien de Samsung. Ils produiront jusqu'à une vidéo par jour, en plus des docus produits par NYTVR.

Deux ans après, nous avons réalisé plus de 145 vidéos 360 et expériences VR, doublées pour une bonne partie dans l'ensemble des langues de diffusion d'Euronews, pour un total de 13,5 millions de vues toutes plateformes confondues.

Nous avons couverts la France et l'Allemagne durant les campagnes électorales en 2017, filmé les conséquences du changement climatique en Europe, du Portugal à la Finlande, et couvert des événements et lieux des États-Unis au Japon, en passant par le cercle polaire jusqu’à l'Afrique subsaharienne.

Il n'y a pas à Euronews d'unité 360° à proprement parlé - je suis le seul impliqué à temps complet sur le projet. Autour de chaque projet de vidéo s'agglomèrent, de manière temporaire, journalistes, producteur, monteur, etc. En tout, une soixantaine de personnes ici ont travaillé de près ou de loin à la production de ces vidéos, dont quarante journalistes, dans notre QG de Lyon, mais aussi nos bureaux d'Athènes, Budapest, et Bruxelles.

German Election 360°: Lake Constance — Euronews 360°

Quelles sont les principales étapes pour produire une vidéo 360 pour le news ?

Avec le recul, nous sommes passés par trois étapes successives, chacune se nourrissant de la précédente, lors de ce projet:

1. Apprendre à tourner une vidéo 360 techniquement correcte.

2. Apprendre à rendre ces vidéos journalistiques - c'est à dire ne pas perdre de vue les bases (5W, etc.).

3. Apprendre à affiner la narration de ces vidéos journalistiques pour rendre l'expérience la plus intéressante, la plus captivante, sans se limiter aux scènes visuelles, etc.

Ceci étant dit, n'ayant pas de background en journalisme vidéo (plutôt web et print avant cela), les étapes d'une vidéo 360 me semble similaire à ce que j'imagine être celles pour une vidéo traditionnelle: recherche (autant que faire se peut), tournage, montage, mixage audio, diffusion sur les plateformes pertinentes - pas à l'antenne, mais sur les réseaux sociaux comme Youtube, Viméo et Facebook sont par exemple tous les trois compatibles avec la vidéo 360°.

Certaines caméras 360 doivent ajouter une étape de "stitching", ou assemblage des rushs - via des logiciels spécialisés - mais certaines fournissent directement à partir de leur carte mémoire des rushs exploitables immédiatement dans votre logiciel de montage préféré.

La différence principale avec une vidéo traditionnelle est l'absence de hors-champ, étant donné qu'une caméra 360° filme comme son nom l'indique l'intégralité de la scène qui l'entoure. Cela peut être déroutant au début, de la même manière que les outils qui permettent de guider le regard de l'audience dans une vidéo "plate", cette grammaire du reportage vidéo établie au cours des décennies, doit être réécrite ici.

En effet, impossible avec une caméra 360° de zoomer, de faire des panoramiques, un champ/contre-champ pour des interviews, etc. Impossible aussi de faire un montage constituée de scènes courtes, clippées, car cela peut être très désorientant pour l'audience. Du coup, j'ai formé certains journalistes vidéos qui m'ont dit se sentir dépossédés, n'ont plus de rôle de journaliste à jouer. Alors qu'en réalité, le journaliste immersif est bien sûr toujours un journaliste : choix du sujet, choix de l'angle, choix des interlocuteurs, décision quant à la position de la caméra, de quand presser le bouton "Record", etc.

Et si le montage est différent, il est toujours possible dans une certaine mesure de guider l'attention de son audience, via des effets de montage, ou bien le sound design. Ce dernier peut être compliqué - notamment s'il s'agit de spatialiser entièrement la bande son (voir ici), mais cela vaut vraiment le coup. Cela démultiplie vraiment le sentiment d'immersion.

Life in Gaza after 10 years of Israeli blockade — Euronews 360°

Quels sont les avantages et les inconvénients de la vidéo 360 ?

Ce média est un nouvelle outil dans la besace des journalistes pour couvrir l'actualité.

Bien sûr, tous les sujets ou idées ne sont pas forcément propices à la vidéo 360°. Mais à mon avis, aucun autre média ne permet de transmettre un tel sentiment de présence, d'immersion à une audience. S'ajoute à cela une liberté relative et surtout une transparence - puisqu'il n'y a plus de hors-champ et que les accusations de cadrages cachant une partie de la réalité n'ont plus lieu d'être. C'est à mon sens aussi un média exigeant, car il nécessite l'attention pleine et entière de l'audience, mais j'y vois une qualité. L'audience est normalement isolée, non distraite par le monde réel, et fait plus attention à ce qui se passe dans la vidéo, etc.

Il y a aussi un discours autour de la capacité des vidéos immersives à susciter l’empathie parmi l'audience avec les personnages ou la situation présents dans la vidéo. Beaucoup de storytellers, d'experts, voire même de chercheurs se penchent sur la question. Je ne suis pas sûr que des gens ayant des aprioris négatifs, par exemple à propos des réfugiés ou ne croyant pas au rôle de l'Homme dans le changement climatique, vont changer d'avis après avoir visionné une vidéo 360°.

En ce qui concerne les inconvénients, ils existent bien entendu. ce nouveau média n'est évidemment pas parfait. La diffusion de vidéos 360° est pour l'instant limitée, à cause de plusieurs facteurs.

Tout d'abord, il ne s'agit pas d'un produit broadcast. La diffusion de ces vidéos n'est possible que sur quelques plateformes compatibles avec le 360° qui sont soit gigantesques (Youtube et Facebook - où les contenus sont dépendants des algorithmes et de ses changements) soit encore relativement confidentielles.

Par ailleurs, la vidéo 360 pèse lourd. En effet, il faut pour une utilisation professionnelle une qualité minimum nécessaire, qui correspond à une résolution 4K pour le fichier mp4, sans parler de tournage éventuellement à 60 i/s ou plus. La quantité de données à transmettre est telle, si l'ont va faire des tournages dans des zones éloignées ou bien même du live 360°, que pour l'instant les "tuyaux" ont du mal à suivre. Sans doute que les progrès en compression vidéo, et la 5G, permettront d'améliorer cela, dans un futur à moyen terme.

Crossing the divide from Venezuela to Colombia — Euronews 360°

Comment vois-tu l’avenir et les prochains développements de la vidéo 360 en général et dans le journalisme en particulier?

Je ne veux pas jouer au prophète. Cependant, si l'on regarde trois, quatre ans en arrière, on peut voir apparaître certaines tendances. D'une part, le coût du matériel et les logiciels baissent, et/ou les performances augmentent très rapidement. Il y a désormais un vaste choix de caméras utilisables par des journalistes sur le terrain capables de filmer en 4K voir plus. La dernière version de Premiere Pro intègre désormais des fonctionnalités 360° auparavant réservées à des plug-ins particuliers. C'est donc plus simple et relativement moins cher de faire des meilleurs vidéos, au niveau technique. Que ce soit pour le journalisme ou plus généralement parlant d'ailleurs.

Par ailleurs, 3 ou 4 ans en arrière, il n'y avait pas de conseils, tutoriels, ou autre blogs sur le journalisme immersif, uniquement des ressources sur la vidéo 360° de fiction. Cette dernière permet la mise en scène, le storyboarding, les répétitions, etc. et est plus facile à gérer que les prises en vue sur le terrain, pour des vidéos d'actu. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Au contraire, la communauté autour du journalisme immersive est très active, accueillante, et avec des blogs comme celui de l'initiative Journalism 360, il est beaucoup plus simple de trouver des conseils pertinents aujourd'hui, que l'on se lance dedans maintenant, ou que l'on soit confirmé. On peut espérer que ces échanges de conseils et les meilleures pratiques identifiées collaborativement par de nombreux storytellers aux quatre coins de de la planète vont continuer, au fur et à mesure que se met en place la grammaire de la narration immersive.

Sur le long terme, je pense que nous sommes actuellement dans la première itération du média, la version 1.0 (les versions béta et alpha de la VR dans les années 90 et 60 sont désormais loins).

Les technologies de captation et de diffusion évoluent très vite, et à la vidéo 360 et la VR, accessibles avec un simple smartphone, s'ajoutent désormais la réalité augmentée, la réalité mixte, la 3D stéréoscopique ainsi que la photogrammétrie voire la technologie du champ lumineux...

Pour paraphraser Paul Cheung, actuellement directeur de l'innovation à la Fondation Knight, aux Etats-Unis, il ne faudrait pas que les journalistes délaissent ces innovations, comme ils ont pu le faire lors de l'arrivée d'Internet. A nous d'être là, et d'expérimenter.

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Terence Jarosz

Journalist I Podcaster I News Editor @ENEX I Luxembourg