Ma sclérose en plaques, la chance de ma vie ?

Frédéric TERRIER HERMANN
4 min readJun 10, 2017

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J’ai conscience de l’aspect éminemment provocateur et partiellement inexact de ce titre. Il peut heurter la plupart des personnes atteintes de cette maladie dégénérative et poly-handicapante. Mais je ne parle que de ma sclérose en plaque. Du moins ce que j’en ai fait et des impacts qu’elle a sur ma personnalité.

Tout d’abord, je tiens à préciser que cette maladie n’est pas une chance, bien au contraire. Elle vous diminue, physiquement, pratiquement, souvent socialement. Elle vous fragilise. Elle réduit votre champ des possibles. Elle altère la conscience que vous avez de votre corps et les possibilités qu’il vous offre tant ses performances se réduisent, tant la fatigue vous accompagne, tant la mobilité est atteinte. La sensation même de ce corps est dégradée, les perceptions sont inexactes : l’évaluation de la hauteur d’une marche, le toucher, la capacité à chaque pas de savoir si le pied est suffisamment haut pour ne pas riper sur le sol et, finalement, choir. Je passe sur les autres manifestations de cette perte partielle des sensations et de la maîtrise de son corps, visuelles, urologiques, l’altération de l’équilibre et la perte des repères spatiaux, la variabilité de la fatigue et du périmètre de marche.

Cette maladie, du fait de son caractère poly-handicapant, variable dans le temps et à chaque instant, en fonction de la température, de votre moral, de votre stress… devient un être qui vous accompagne constamment, qui devient un élément de votre être et de votre personnalité, tant il est nécessaire de l’évaluer à chaque instant, de s’en souvenir constamment pour mieux la prendre en compte, pour mieux l’apprivoiser. A chaque fois que vous l’oubliez, elle se rappelle à vous, devient espiègle, au pire, se venge. Comme un être dont vous avez la charge, il faut s’en occuper tout le temps : à chaque instant et sur la planification de la vie à moyen et long terme. Elle est une partie de vous, que vous devez calculer, interroger, avec qui vous devez discuter, négocier constamment. De surcroît, il est pénible de passer du temps dans les hôpitaux, suivre des traitements quasi expérimentaux et assez lourds, dont je mesure difficilement les bienfaits.

Pour ce qui me concerne, elle est réellement devenue une sorte d‘être vivant qui m’accompagne de l’intérieur, au plus profond de moi : ennemie avec laquelle je dois composer, capricieuse, importune mais silencieuse et invisible, exigeante, imprévisible et incompréhensible.

Mais il faut faire avec elle, pas de choix possible, pas d’alternative.

Les choix, plus ou moins volontaires et conscients, que j’ai faits sont tous dans l’objectif de m’augmenter, parce qu’elle me diminue.

Les ressources que j’ai développées visent toutes à améliorer mes capacités, mon autonomie, mes qualités morales et intellectuelles.

Tous les moyens pour compenser sont bons à prendre, tous les moyens pour m’élever, tous les moyens pour préserver ma dignité, tous les moyens pour continuer à exister. Je ne suis pas un héros : mes conditions de vie, mon environnement affectif et social y contribuent.

Pratiquement, j’ai fait le choix de ne pas ignorer ce que le matériel et la logistique peuvent m’apporter. D’abord la canne que je choisis élégante. Le fauteuil que j’alterne avec un vélo à assistance électrique et une voiture à boîte automatique pour mes déplacements.

Professionnellement, j’étais enseignant. Impossible métier avec ces handicaps. J’ai passé des concours pour être personnel d’encadrement et mieux gérer les contraintes physiques, même si tout n’est pas rose en termes d’horaires de travail et de fatigue, ce nouveau métier a contribué à me sentir encore plus utile, au service des autres.

Psychologiquement, la maladie m’a permis de développer des traits de caractère déjà présents en moi mais dont je n’avais pas totalement conscience.

Je n’évoquerai pas mon sens de l’humour, mon autodérision qui me permettent de mettre à distance et de conserver cette indéfinissable légèreté de l’être dans un corps pesant, malgré mes 58 kg tout mouillé !

Ce que je veux décrire est ce qui, à mon insu, sans le vouloir, s’est développé dans ma tête. Je n’ai pas entretenu de colère, ce n’est pas moi, c’est trop anxiogène et, pour tout dire, assez fatigant.

Des forces d’empathie, de bienveillance, d’écoute des autres se sont accrues. Je sais mieux mettre à distance, hiérarchiser les problèmes. Je sais mieux prendre en compte les autres parce que je sais mieux prendre soin de moi. Je peux vous écouter parce que je m’écoute, je me connais mieux et j’aspire à vous connaître. Non, tout n’est pas parfait, je peux rester aussi dans ma bulle, ne pas être attentionné à certains moments, fatigue aidant et souvent pensif. Malgré tout, je sais que je peux plus facilement me mettre à la place de l’autre, un proche, un élève, un professeur…

Certains en déduiront que je deviens trop tolérant, pas assez ferme, trop conciliant et diplomate. Cela est exact mais je l’assume, c’est peut-être le défaut des qualités que j’ai développées. Ecouter, ne pas juger, ne pas blâmer, aussi parce que c’est peut-être ce que j’attends des autres.

Ce que j’ai développé peut aussi s’apparenter à une autosatisfaction, une vanité, une certaine forme d’orgueil, un besoin de reconnaissance. Cela n’est pas totalement inexact, j’ai besoin qu’on m’apprécie, j’ai besoin du regard des autres, diminué, j’ai besoin de développer ma dignité, mon utilité et de prendre ma place dans ce monde.

Je suis aussi conscient des énormes chances que j’ai pour y contribuer : mon entourage, précieux et exigeant, mes opportunités professionnelles qui m’ont aidé à rester utile et la bienveillance des autres à mon endroit qui n’est jamais emprunte de pitié ou de commisération qui me seraient affligeantes.

Non, la sclérose en plaque n’est pas la chance de ma vie. Ce que j’en fais, oui.

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