Précarité des jeunes : l’association étudiante Cop1 au secours de ses pairs

Théo Metton-Régimbeau
6 min readApr 27, 2023

Soulager le portefeuille des étudiants précaires, c’est la mission de l’association étudiante Cop1, pour éviter le dilemme « manger ou étudier ». Leurs nombreuses distributions alimentaires ou vestimentaires, à Paris ou en région, représentent un gros coup de pouce pour le pouvoir d’achat des bénéficiaires dans un contexte d’inflation généralisée. Plongée dans les coulisses de l’association Cop1, où les étudiants sont aidés par des bénévoles-étudiants.

Aux “Amarres” à Paris, la distribution de Cop1 dure deux heures chaque samedi

Karim ose à peine entrer dans le bâtiment, un hangar situé quartier Austerlitz à Paris. Avec des milliers de mètres carrés en bord de Seine, « Les Amarres » est un lieu d’accueil d’associations. C’est ici, chaque samedi, que les bénévoles de Cop1 organisent des distributions alimentaires. Étudiant de 23 ans en langue étrangère à Paris, Karim travaille pour une grande entreprise de livraison à domicile : « Je dois travailler plus en ce moment, environ vingt heures par semaine. Je gagne généralement 700 euros par mois, mais avec les études à côté c’est difficile. » Ce jour-là, ce sont près de 300 étudiants comme lui qui font la queue deux heures durant, pour récupérer un panier alimentaire et quelques produits d’hygiène. Dans une ambiance festive et musicale, la quinzaine de bénévoles met en place les nombreuses cagettes de fruits et légumes, glacières pour les viandes ou poissons, sacs en kraft pour le pain et les viennoiseries.

« Heureusement qu’ils sont là, balbutie Gabriella, étudiante brésilienne à Paris, dans un recoin des Amarres. Je n’ai pas beaucoup d’argent, je n’y arrive pas sinon. » La jeune fille doit vivre avec 500 euros par mois seulement : « Je ne fais plus les courses, je ne peux pas. Ce ne sont que les distributions qui me font vivre », témoigne-t-elle. Beaucoup de regards fuyants, peu se parlent entre eux. Une étudiante, qui n’a pas souhaité donner son nom, exprime sa honte de venir « quémander » de l’aide.

Face à l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat des jeunes, les distributions parisiennes ont dû passer de trois à quatre par semaine depuis le mois de septembre. Le nombre de paniers distribués dans dix autres villes en France par l’association a été multiplié par plus de trois en un an, passant de 800 à plus de 3000. Cop1 a donc dû s’adapter face à la hausse de la demande : « Jusqu’alors, on tenait grâce à des collectes, maintenant on est obligé de faire des achats de produits », raconte Benjamin Flohic, étudiant en Bretagne et président national de l’association.

Manger et s’habiller, même galère pour les étudiants

« S’il n’y avait pas les Cop1 [copains], je ne sais pas comment je ferais, témoigne Fatima lors d’une distribution de vêtements. Aller au Secours populaire, je ne veux pas, il y a plus pauvre que moi ! » La jeune étudiante en recherche clinique, patiente rue Guillaume Tell, dans le XVIIème arrondissement de Paris. Chaque mardi, c’est ici que des vêtements neufs — pour la plupart — sont remis aux bénéficiaires. Des créneaux de quinze minutes sont offerts, pour permettre aux 200 personnes inscrites d’accéder aux dons en deux heures maximum. Océane Le Floc’h est la référente vêtements, elle est devenue bénévole en constatant les effets de la crise de l’inflation l’an dernier : « Les vêtements ça coûte extrêmement cher. Mais on a beaucoup d’étudiants qui travaillent, soit dans des jobs étudiants ou des alternances. Ils ont besoin d’être bien habillés, mais souvent les vêtements passent bien après la nourriture ou l’hygiène. Et là, ils n’ont plus de sous pour ! »

Les vêtements proviennent de dons personnels ou de marques

Dans ce petit local sur deux étages, des dizaines d’étudiants patientent. Il sera bientôt leur tour d’aller choisir jusqu’à sept vêtements, gratuitement. Pas question de monter avec son sac à dos pour récupérer les vêtements. Les bénévoles sont très vigilants aux vols. « Ça nous est déjà arrivé malheureusement », souffle Océane Le Floc’h. Impossible également de se présenter de nouveau la semaine suivante, pour laisser sa chance à plus de monde. Mais certains habitués reviennent tous les quinze jours : « Ils reprennent des articles, ils les revendent probablement, grimace la référente vestimentaire. Mais cela témoigne aussi d’une grande précarité, quand on en est là … »

Les étudiants face à l’inflation

Depuis mars 2022, Cop1 est destinataire du Fonds européen d’aide aux plus démunis, un financement qui permet à l’association de bénéficier de dons de la Banque alimentaire. Mais pour constituer les paniers chaque semaine, de nombreux partenariats sont établis avec des marques pour récupérer invendus ou dates courtes et les distribuer, comme les fruits et légumes, proposés à chaque distribution. « Ils nous sont fournis par les Chantiers d’ANDES [réseaux d’épiceries solidaires, ndlr] », précise Taïna Forbin, référente de la distribution alimentaire du samedi à Paris, étudiante et directrice de l’accompagnement chez Cop1. « On veut proposer des choix très divers, variés et équilibrés, poursuit-elle. Les étudiants qui bénéficient des distributions alimentaires et vestimentaires, on estime que l’on les soulage d’environ 240 euros par mois. C’est énorme quand on sait que le SMIC n’augmente pas et que le pouvoir d’achat des jeunes est toujours aussi bas. » En 2017, bien avant la crise inflationniste qui touche notre pays désormais, l’INSEE estimait que près de 21% des étudiants vivaient sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1026 euros par mois.

C’est le pôle logistique de l’association qui s’occupe des récupérations de denrées

Des besoins toujours plus importants, côté alimentaire ou vestimentaire, explique Benjamin Flohic, le président de l’association : « Il y a eu une augmentation très forte depuis un an à cause de l’inflation, avec de plus en plus d’étudiants qui ne se sentent pas en droit de montrer qu’ils ont besoin d’aide et de dire qu’ils sont pauvres. » Cop1 est désormais présente dans onze villes de France, comme Rouen, Angers ou Strasbourg mais aussi en Outre-mer. Des villes où le coût de la vie est pourtant moins important qu’à Paris, mais où les besoins restent forts.

Avec Cop1, « on donne le droit aux étudiants de demander de l’aide ! »

Exister pour aider des étudiants en grande précarité, c’est le maitre mot de l’association. Cop1 est née lors de la crise du COVID en 2020. D’abord créée par quelques amis pour aider leurs camarades dans la panade, l’association étudiante a explosé. Bientôt trois ans et l’organisation est passée de sept bénévoles fondateurs à deux mille aujourd’hui. « Un tiers de nos bénévoles a été ou est aussi bénéficiaire de l’association », précise Benjamin Flohic. Des bénévoles-bénéficiaires, fait assez rare contrairement aux grandes associations comme les Restos du Cœur ou le Secours populaire. Pour les étudiants aidés, aucune condition de ressources n’est demandée, un anonymat total est garanti, il faut avoir moins de 26 ans et seule la carte étudiante est exigée pour accéder aux distributions. Un système basé sur la confiance, disent en cœur les bénévoles, qui ne constatent pas d’abus majeurs.

Une association d’aide aux étudiants gérée par des bénévoles uniquement étudiants, « ça change tout, s’exclame Benjamin Flohic. On donne le droit aux étudiants de demander de l’aide ! Avant Cop1, la seule possibilité pour un étudiant pauvre, c’était d’aller aux Restos du Cœur. Mais on mettait sur le même plan un étudiant et une personne qui dort à la rue. On avait donc des étudiants qui sautaient des repas. Là, on a créé le droit de solliciter de l’aide pour les étudiants par les étudiants, sans barrière à l’entrée ! » Du côté des bénéficiaires, la différence se fait grandement sentir. « Les bénévoles discutent avec nous tout simplement, il y a une relation de confiance et on parle souvent de nos cours respectifs », conclue Damien, un étudiant en fin de cycle. Pour Fatima, l’étudiante en recherche clinique, Cop1 lui a permis de dépasser son sentiment d’humiliation : « C’est vrai qu’avec des étudiants en face de nous, on se sent plus proche, on est plus à l’aise. J’ai sincèrement moins honte de venir ici, que d’aller ailleurs. »

L’association prévoit d’aider toujours plus d’étudiants dans les prochaines semaines et prochains mois, déplore Benjamin Flohic, le président de Cop1 : « Le discours général politique et médiatique ont normalisé le fait d’être en galère quand on est étudiant … »

Théo Metton-Régimbeau

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