L’effet de réseau

Thibaut Cantet
5 min readOct 19, 2018

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On parle d’effet de réseau pour décrire le phénomène par lequel l’utilité d’un produit ou d’un service va être influencée par le nombre d’utilisateurs qui le plébiscitent. En termes techniques, certains experts parlent de mécanismes d’externalité économique, là où d’autres affirment que cet effet est bien souvent internalisé par les entreprises, ne relevant donc pas de cette catégorie. Cet effet de réseau a été théorisé lors du développement des services de télécommunication de masse du début du XXème siècle, puis popularisé par Robert Meltcafe à travers ce que l’on appelle désormais la “loi de Meltcafe”.

Un peu d’histoire

L’effet de réseau a donc commencé à être sérieusement abordé lors du boom de la téléphonie dans les années 1900, aux États-Unis notamment. D’abord présenté comme un argument commercial, il faut attendre les années 1990 et la popularisation d’internet pour que des chercheurs élaborent des théories économiques avancées sur la question. Enfin, c’est Robert Meltcafe, ingénieur célébré pour la création du protocole Ethernet, qui achève de populariser ce concept en énonçant ce qui sera rapidement repris comme la loi Meltcafe: “L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs.” Relevant d’avantage de l’observation empirique que de la démonstration par le calcul, elle postule que l’utilité d’un réseau est proportionnel au nombre de liens qu’il accueille en son sein. Puisque le nombre de liens est proportionnel au carré du nombre de noeuds dans le réseau, on peut selon lui en tirer une telle loi.

Typologie

Il existe plusieurs types d’effet de réseau:

  • Direct: lorsque les bénéfices à l’adoption par des utilisateurs augmente à mesure que d’autre l’adoptent également, car cela leur donne plus d’opportunité d’interactions bénéfiques au sein de ce réseau (le cas lorsque l’on parle une langue étrangère par exemple, et la raison pour laquelle beaucoup se tournent vers l’anglais).
  • Indirect: lorsque la base utilisateur d’un réseau augmente, ce qui a pour conséquence d’augmenter la valeur (et base utilisateur) d’un bien ou service complémentaire, qui vient en retour accentuer encore plus l’augmentation de l’utilité du réseau initial (c’est l’exemple de Windows qui a engendré la suite Office, qui a elle même été essentielle au succès du système d’exploitation).
  • À deux faces: lorsque, au sein d’un même réseau, l’augmentation d’un sous-groupe d’utilisateurs augmente la valeur générée par ce réseau pour un autre sous-groupe d’utilisateurs, qui grandit aussi et vient en retour augmenter la valeur perçue par le sous-groupe initial. C’est le cas dans les plateformes d’enchères telles qu’Ebay entre les acheteurs et vendeurs, ou encore du transport à la personne, comme les chauffeurs et passagers Uber par exemple.

Toujours positif?

Dans le monde physique, une externalité négative caractéristique de l’effet de réseau est celui des embouteillages. En science des réseau, ce que l’on appelle de manière générale la “congestion” réduit la qualité du réseau lorsqu’il transporte plus de données qu’il n’est optimalement capable de le faire. Les réseaux digitaux étant beaucoup plus flexibles que des réseaux routiers par exemple, ces externalités sont plus rares sur le long terme, et ne se produisent généralement qu’à certaines occasions très particulières, lors desquelles beaucoup d’utilisateurs utilisent subitement le même réseau (les opérateurs téléphoniques le 31 Décembre à Minuit ou bien le site du Ministère des affaires étrangères Canadien au lendemain de l’élection de Donald Trump par exemple)

Quel impact pour notre économie?

L’effet de réseau marque fortement les modalités de fonctionnement de la nouvelle économie. D’abord, ils affectent les politiques d’investissement et d’entrepreneuriat en général. C’est assurément un concept souvent utilisé pour présenter l’importance du First Mover Advantage dans l’industrie des réseaux sociaux, et pour justifier des investissements constants dans le développement d’un réseau, même s’il ne génère pas encore de revenus, avec cette idée que la valeur de ce réseau croîtra par la suite de façon exponentielle.

De plus, il est en parti responsable des situations d’oligopole et de monopole dans les industries digitales, en ce qu’il installe de fortes barrières à l’entrée. Le coût pour un utilisateur d’adopter un nouveau réseau est très élevé lorsque celui ci comporte moins d’utilisateurs que l’actuel, renforçant l’effet de lock-in et réduisant de ce fait la possibilité d’une compétition libre et égale dans ces industries.

Vers une nouvelle forme d’effet de réseau?

Depuis qu’il a été théorisé, le concept d’effet de réseau se distingue de celui d’économies d’échelles en ce sens qu’il ne se place pas du côté de la valeur perçue par les producteurs mais par les utilisateurs (même si cela sera positif pour le gestionnaire du réseau). Cependant, cela pourrait bien changer à mesure que de plus en plus d’entreprises du digitales produisent leurs réseaux et les développent grâce aux données personnelles qu’elles parviennent à prélever sur leurs utilisateurs. Ces données peuvent améliorer la performance d’un réseau existant, en alimentant des algorithme (de personnalisation notamment). Elles peuvent également permettre aux plateformes qui les collectent de se lancer dans de nouveaux secteurs d’activités, élargissant à encore plus de secteurs les risques d’oligopole liés à l’effet de réseau.

RGPD et interopérabilité

En ce sens, le récent Règlement Européen sur la Protection des Données change considérablement la donne. Parmi la multitude de mesures qu’il impose, celui concernant le droit à la portabilité des données personnelles aura beaucoup de conséquences sur les phénomènes de lock-in précédemment décrits. Pour cause, il sera désormais obligatoire pour les “responsables de traitements” (les réseaux sociaux les plus populaires par exemple) d’offrir à leurs utilisateurs la possibilité de transférer toutes les données produites lors des interactions avec leur réseau vers un autre “responsable de traitement” (donc potentiellement un autre réseau social), dans un format structuré et couramment utilisé. Cela réduit donc considérablement certains bénéfices de l’effet de réseau pour les plateformes monopolistiques et ouvre la voie à une compétition plus libre à l’avenir, grâce à une meilleure interopérabilité.

On peut donc dire que l’effet de réseau a pris une ampleur jusqu’alors inégalée dans les forces économiques qui déterminent le succès ou non d’une organisation. Surtout, la nouvelle nature des liens et des réseaux dans le monde digital ouvre la voie à de nouvelles manifestations et modalités de cet effet via la collecte et l’utilisation des données personnelles. Tout en renforçant les risques de concurrence déloyale et de monopole, ces nouvelles modalités ont en parallèle incité les pouvoirs publics à légiférer sur la question de façon inédite. Le RGPD renforce ainsi les droits des utilisateurs, en leur redonnant la priorité quant à la création de valeur générée par l’effet de réseau.

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