Commentaires médiatiques après “En direct avec les Français”
Evaluation d’un fiasco ou fiasco de l’évaluation ?
Le 6 novembre dernier, le Président François Hollande était sur TF1 pour une émission “En direct avec les Français” de deux heures. En moins de 24H, les commentaires se sont accumulés pour conclure à un terrible fiasco. Une telle unanimité en si peu de temps, sur la forme comme sur le fond, interroge.
L’objectif ici n’est pas de porter une appréciation de plus sur cette émission, ce qui ne serait d’aucune utilité. Il s’agit plutôt d’étayer une conviction du point de vue de la communication : aujourd’hui, les opinions cristallisent de plus en plus vite à partir d’indicateurs d’évaluation de moins en moins pertinents.
Là où il conviendrait d’être en capacité d’analyser avec précision des audiences et des volumétries importantes d’informations, notamment via les réseaux sociaux (115 K tweets envoyés sur le mot-dièse #DirectPR), l’urgence à dresser le bilan “dans la foulée” de l’émission conduit à une forme d’ éditorialisation intuitive, essentiellement basée sur des données approximatives . C’est un nouvel enjeu pour la communication politique, mais sans doute aussi pour l’exercice journalistique.
Le suivi des retombées et l’enchainement des reprises médias montrent que l’évaluation de l’émission du 6 novembre a reposé essentiellement autour des trois éléments suivants : les commentaires sur Twitter via le hashtag #DirectPR, les commentaires sur l’efficacité de la parole présidentielle (a-t-il su établir un dialogue avec les Français ? ), la diffusion d’un sondage d’opinion interrogeant les Français dès le lendemain sur sa capacité de conviction . Ces éléments permettent-ils de porter un jugement totalement pertinent de l’impact de la prestation présidentielle sur l’opinion ?
Dramatisation de l’enjeu, brutalité du verdict
On peut en douter, d’autant plus que l’accélération du temps médiatique et la multiplicité des espaces d’expression tendent à provoquer une radicalisation, voire une “hystérisation” des avis .
Annoncée depuis plusieurs semaines, l’intervention du Président de la République le 6 novembre sur TF1 était en effet très attendue. La nouveauté du format et la prise de risque associée pour le Président ont d’emblée retenu l’attention.
Dans l’écriture médiatique (Le débat, 1995) J. Pilhan rappelle : “Un ingrédient qui va contribuer à l’impact, c’est le risque que vous prenez et qui est perçu comme tel. Un exercice médiatique totalement prévisible et contrôlé ne vous vaudra qu’une attention distraite”
Et comme les sondages d’opinion n’ont jamais placé le Président aussi bas, cette séquence “A la rencontre des Français” est vite présentée comme le “va-tout” d’un Président n’ayant plus rien à perdre.
Notons, comme le souligne fort justement Christian Delporte, historien et expert de la communication politique , que ce va-tout était loin d’être le premier, puisque la presse titrait la même chose en avril et en août dernier. Mais après tout, comme le rythme endiablé de l’information nous a tous rendus amnésiques, chaque séquence politique ou de communication qui s’annonce est toujours présentée comme celle de la dernière chance. Les séquences s’enchainent et s’empilent, indépendantes les unes des autres. Jugées pour elles-mêmes, sans mise en perspective, nous vivons avec chacune d’elles une sorte d’éternel recommencement.
Donc, à défaut d’ “inverser la courbe de la défiance des Français”, comme le soulignait un éditorialiste du journal Le Monde, on prêtait à ce format l’objectif de créer un sursaut positif pour redémarrer une seconde moitié de quinquennat dans de meilleures conditions. Objectif très ambitieux que résume bien Frédéric Dabi (Ifop) : “L’émission devait créer un choc psychologique, relancer son quinquennat et lui permettre de renouer le lien avec les Français”. Rien que ça. Très forte dramatisation donc, les médias consacrant d’ailleurs une bonne partie de la journée de jeudi à décrypter les enjeux cruciaux de cette prise de parole.
Une émission de deux heures et 24 heures de commentaires après, la cause était entendue et l’affaire déjà pliée : le format est présenté comme un échec cuisant. C’est du moins ce que vont relayer, dans une belle unanimité, tous les commentateurs. Naufrage, émission catastrophique, fiasco de communication, erreur politique… Editorialistes, journalistes et spécialistes de la communication politique ont réagi immédiatement puis se sont succédé sur les plateaux pour se demander, mi-goguenards mi-affligés, s’il y avait encore quelqu’un aux manettes de la communication du Président.
Dans son édition du lendemain, Le Monde titre en Une :
La prestation télévisée du chef de l’Etat, jeudi 6 novembre, n’a pas convaincu. Décidé à se montrer proche des Français, il est apparu attentiste.
Le titre résume bien la tonalité médiatique ambiante : l’émission est un échec. Il interroge aussi, car il est difficile à la lecture de cette une de savoir s’il s’agit d’une opinion ou d’une analyse étayée par des sources solides.
La reprise de tweets percutants ne fait pas une analyse
Ce qui a considérablement changé en quelques années, c’est la vitesse d’appréciation des émissions politiques en TV. La Social TV n’y est pas pour rien. Elle permet aujourd’hui de créer une interaction directe avec le format télévisuel proposé par les chaînes. Nous en sommes certes encore aux prémices et l’offre Social TV va considérablement s’enrichir dans les prochains mois. Des réseaux comme Twitter en font même un des piliers de leur business model (cf une bonne synthèse sur les innovations prévues ici). Pour le moment, la plupart des émissions, qu’elles soient politiques ou de divertissement, réalisent des Livetweets (LT) à partir de hashtags officiels (ici #DirectPR). Dans le cas des émissions les plus “livetweetées”, les hashtags dédiés peuvent voir s’enchaîner des tweets à des vitesses très élevées. Les tweets du LT de jeudi soir apparaissaient ainsi à un rythme moyen de 20/s. C’est beaucoup. Ce rythme ne permet évidemment pas la conversation, il sollicite d’abord l’interaction : le Retweet, la mise en favoris, la rédaction très réactive d’un tweet, “à la volée” pour commenter une séquence. Les twittos surveillent le flux d’un oeil sur leur second écran (mobile, tablette) tout en regardant la TV de l’autre.
La nature positive ou négative des commentaires tend donc à exercer une influence directe sur la perception de celui qui visionne le programme. C’est nouveau, l’opinion se construit en temps réel, dès les premières minutes de l’émission.
Sur un plan quantitatif, l‘orientation du flux exerce une influence sur le commentaire lui-même : en gros, si les commentaires sont négatifs, ceux qui vont suivre auront davantage tendance à l’être. Et il est rare que la tendance s’inverse. De ce point de vue, la première séquence intimiste avec le Président, la plus propice à des réactions négatives, a pu contribuer à orienter le flux vers des commentaires plus critiques, créant une spirale négative influençant le commentaire ultérieur.
Sur un plan plus qualitatif, les journalistes et les professionnels de la communication et des médias jouent un rôle déterminant dans la construction d’une tendance. Ils sont à l’aise avec l’outil. Ils possèdent un niveau d’influence élevé au sein du web politique avec beaucoup plus de followers que la moyenne. Et sur le principe du “qui se ressemble se suit”, ce premier cercle très influent est constitué d’individus très connectés les uns aux autres.
Or, et c’est un biais important, la grammaire du commentaire sur Twitter est très largement fondée sur l’ironie, le sarcasme et la critque. On recherche le bon mot, le “tweet qui tue”. Les avis sont tranchés. Vieille tradition française. Twitter n’est pas bienveillant, Twitter c’est “Ridicule”, ce film brillant de Patrice Leconte, en mode numérique.
Pour être remarqué, un tweet doit être très fin ou au contraire ne pas hésiter à faire gros. Ne pas hésiter à faire gros, c’est donner un avis plus affirmé que celui qui figurera dans les colonnes du média pour lequel on travaille. C’est aussi une manière d’émerger pour de nombreux professionnels des médias et de la communication et de travailler son «personal branding » . Certains journalistes et communicants excellent dans l’exercice du “commentaire de canapé” en 140 signes. Et on ne leur en voudra pas, car c’est la règle du jeu et c’est ce qui fait aussi l’intérêt de Twitter. A condition de ne pas oublier qu’il faut savoir apprécier Twitter pour ce qu’il est, une caisse de résonance indispensable mais aussi un miroir déformant à manier avec précaution lorsqu’on évalue une action de communication.
Et c’est là en effet que l’exercice devient compliqué. Les meilleurs tweets, autrement dit les plus marquants, sont aussi ceux qui sont les plus repris dans les médias. Il impriment une tonalité au commentaire qui n’est pas forcément représentative du ressenti général.
Ne parlons même pas des tweets fallacieux attribuant à F. Hollande des propos qu’il n’avait pas tenus (comme l’ont montré L’Express et Les décodeurs du Monde à propos de la phrase « Ca ne coûte rien, c’est l’Etat qui paie ») mais néanmoins repris dans de nombreux médias.
La construction éditoriale des chaines d’information en continu et des sites en ligne s’inspire assez largement des réactions de ce premier cercle d’influenceurs. Ce faisant, la coloration négative du ressenti global sur l’émission s’accentue au fil des heures. Progressivement, la mise en avant de quelques tweets est présentée comme celle de l’ensemble des internautes.
A titre d’exemple, sur la base d’un court échantillon de tweets cités comme représentatifs de la soirée, voici ce que l’on pouvait lire dès 22H40 sur LCP, suite à l’intervention du Président.
Ou bien encore cet article sur le site de RTL
Ainsi, quelques reprises de tweets résument plus 111 000 tweets envoyés sur le hashtag #DirectPR. Sont-ils vraiment représentatifs de l’ensemble des tweets envoyés ce soir-là ? Aucune étude fouillée n’a été réalisée pour évaluer un peu plus précisément ce flux d’informations qui, tout comme l’audience mesurée, constitue plutôt une fourchette haute pour une émission de ce type.
La social TV exige aujourd’hui d’utiliser une batterie d’outils permettant d’analyser les conversations et interactions, de dégager des tendances d’opinion, de fournir des analyses sémantiques précises. Cette masse d’informations constitue une source formidable d’enseignements, à condition de la traiter. Or l’urgence du temps médiatique interdit tout travail sérieux de traitement de la donnée.
A notre connaissance, deux sources ont fait ce premier travail de défrichage et l’ont rendu public. Elles permettent de nuancer quelque peu les premières impressions de fiasco. L’émission CQFD du 8 novembre a présenté quelques enseignements (avec l’outil Talkwalker) en soulignant notamment que “les internautes n’avaient rien retenu de ce qui s’était passé”. Et plus loin, “Mais ce qui a surtout été commenté, ce sont les quatre Français, notamment cette chef d’entreprise…”. L’analyse n’est pas nécessairement positive mais elle ouvre des pistes intéressantes à explorer : comprendre plus finement comment les Français ont réagi face à ces quatre personnes, essayer d’améliorer le format plateau pour le rendre plus pédagogique, ou bien encore enrichir la stratégie de contenus sur les réseaux sociaux, afin de mieux accompagner la prise de parole du Président…
La société Vigiglobe a rendu, elle aussi, des premières synthèses intéressantes sur les tweets envoyés au cours de l’émission.
Le sentiment global est là aussi négatif (comme c’est souvent le cas sur Twitter pour des émissions comparables) ) mais de manière moins tranché que les tweets les plus médiatisés ne le laissent entendre. Les contenus des tweets sont résumés à travers des nuages de mots qui, même très agrégés, montrent que les contenus ont largement suivi les thématiques de l’émission autour de l’emploi, de l’entreprise, des jeunes, des impôts. Le sujet des frites ou encore des bistrots, très largement évoqué et repris dans les médias, est évidemment très mineur dans la masse des tweets émis.
Cette masse d’informations représente une source unique de données qualitatives et quantitatives qui permettrait d’y voir beaucoup plus clair sur la perception des internautes durant l’émission. Il s’agit d’un travail de longue haleine, tout à fait indispensable. Mais qui ne peut être réalisé dans un bref délai, ce qui le disqualifie d’emblée, et c’est bien dommage, pour une éventuelle reprise média.
78% des Français n’ont pas été convaincus. Et alors ?
Toute bonne séquence télévisuelle de communication politique se termine toujours par une audience et un sondage. L’audience fut bonne : 7,9 millions de téléspectateurs, 30% de part d’audience. Résultat positif, qui montre a minima que l’objectif de relancer l’intérêt du public pour une prise de parole du Président a été atteint. Et même si la courbe d’audience chute dès le début des primes de la concurrence, elle se maintient à un bon niveau ce qui montre que le séquençage retenu était plutôt pertinent. Mais cette bonne performance d’audience va être très vite balayée par un sondage réalisé dès le lendemain de l’émission.
Le sondage constitue désormais un marqueur important pour déterminer si, oui ou non, l’opération de communication est un succès ou un échec. Pour cela, faut pouvoir sortir un chiffre, pouvoir afficher un score. Et surtout le plus vite possible. Comme la durée de vie d’un événement politique n’excède pas 24 h , il faut absolument diffuser le résultat le lendemain, ce qui évidemment ne permet pas de trop finasser sur les questions posées. Pour être honnête, quel média serait acheteur d’une étude fouillée dont les résultats nuancés seraient disponibles quinze jours après l’événement ? D’expérience, aucun.
Le sondage réalisé par le tout jeune institut ODOXA pour I-télé et Le Parisien est donc simple, il comprend deux questions que l’on peut résumer comme suit ( le sondage ici): 1/ Avez-vous trouvé François Hollande convaincant ? 2/ Pensez-vous qu’il respectera la promesse d’aucun impôt supplémentaire jusqu’en 2017 ? .
Et là, immense surprise, le résultat est sans appel : 78% des Français qui ont vu l’émission ne sont pas convaincus. Et les 3/4 pensent que sa promesse sur les impôts ne sera pas tenue (ces résultats seront ensuite largement commentés par la suite dans l’émission CQFD d’I-télé). Sur la base de ces deux résultats, les sondeurs jugent l’émission “catastrophique”.
Sérieusement, pouvait-il en être autrement ? La défiance à l’égard de la parole présidentielle est profonde, elle est indexée sur des résultats économiques mais aussi sur un ensemble de facteurs très largement décrits depuis deux ans : mauvaise image du Président, défiance envers le politique et les institutions, insécurité économique... Une seule émission, quelle que soit sa qualité, ne peut renverser cette tendance profonde de l’opinion. Comme le rappellent souvent les sondeurs eux-mêmes, les études doivent être soigneusement interprétées en fonction de l’intensité des événements (ici la persistance de la crise et la hausse du chômage) et n’ont véritablement d’intérêt que rapprochée d’un imaginaire ( ici une défiance totale à l’égard du politique, une parole publique inaudible et un sentiment d’hémorragie économique).
Ajoutons à cela trois éléments. Premièrement, le caractère simplifié des questions n’aide pas à la compréhension : convaincants, convaincus…On s’autorise un petit glissement sémantique qui n’est pas anodin. On juge le résultat et pas la posture. Après tout, on peut juger quelqu’un convaincant (ou du moins sincère, déterminé, persuasif) mais ne pas pour autant être globalement convaincu. Et dans le contexte actuel, il n’est guère étonnant qu’il faille un peu plus qu’une prestation de deux heures pour l’être. Ce que souligne d’ailleurs la Directrice générale d’ODOXA dans son analyse : “Si aucun effet spectaculaire et immédiat ne pouvait être sérieusement attendu, le Président aurait pu marquer une étape en se montrant décidé, convaincu, voire un brin incisif”. Décidé, convaincu, un brin incisif : on aurait aimé en savoir plus sur la posture du Président. Mais à cela, le sondage ne nous permet pas de répondre.
Deuxièmement, le sondage est réalisé auprès de gens qui ont vu l’émission.. ou qui ont en entendu parlé. Nuance de taille. Les premières retombées médias sont alors déterminantes : si le bruit médiatique est négatif, ce qui fut le cas, on reconnaîtra qu’il est encore plus difficile d’être convaincu par un Président que l’on a n’a pas entendu.
Troisièmement, la comparaison avec les 25% de Français convaincus lors de la précédente conférence de presse du Président semble assez peu pertinente. Les formats sont différents, l’audience n’a rien à voir, tout comme son heure de diffusion.
Mais toutes ces nuances importent peu. Car lorsqu’un chiffre même approximatif corrobore une intuition, il est repris à l’envi, sans modération. Il appuie “objectivement” des intuitions éditoriales.
La fausse piste du dialogue avec les Français
Ce thème a été central dans l’appréciation rendue sur l’émission : François Hollande a-t-il sur parler aux Français ? Là aussi le jugement du lendemain est sans appel : à côté de la plaque. Posture de sous-préfet, de conseiller Pôle Emploi. Trop technique, insuffisamment présidentiel…
Mais là aussi, il convient de s’interroger sur deux points : 1/ Pouvait-il en être autrement ? 2/Etait-ce vraiment l’essentiel ?
1/ Pouvait-il en être autrement ?
A quoi juge-t-on qu’un échange télévisuel est une réussite ? A un dialogue sincère ? Ne rêvons pas. L’impossibilité de concilier la posture de Président et le dialogue direct avec les Français a été maintes fois soulignée ces dernières années. La frénésie compassionnelle a envahi les plateaux de télévision au fil des décennies, rendant désormais illusoire toute tentative de dialogue sincère et empathique. Cette rhétorique de la compassion, déployée par les politiques, s’appuie le plus souvent sur des échanges avec ceux qui traversent une période difficile (chômeurs de longue durée, jeune sans emploi,…en gros les profils des quatre Français choisis). Elle est efficace en période électorale, elle mène le plus souvent à l’impasse dans l’exercice du mandat présidentiel. Impasse pour le Président car à défaut de pouvoir promettre (il n’est plus candidat) celui-ci se trouve conduit en direct à essayer de traiter chaque cas individuel, ce qui le disqualifie évidemment en tant que Président de tous les Français.
Donc si ce n’est pas sur la sincérité, à quoi juge-t-on qu’un échange télévisuel est une réussite ? Quand les téléspectateurs ont le sentiment de vivre un moment de vérité, un “clash” en langage TV ou un moment d’intense émotion ? C’est certainement le critère le plus répandu. Pour cela il faut un casting particulier : un Français qui “casse les codes” de l’entretien et un Président capable de rentrer dans ce jeu de rôle. Il n’y avait ni l’un ni l’autre jeudi dernier. Pas de bon client côté Français, à l’exception peut-être de cette cheffe d’entreprise, qui suscitera d’ailleurs de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Quant au style présidentiel de François Hollande, il n’est pas adapté à ce type de spectacle. Son logiciel émotionnel n’est pas configuré pour ce type de séquence. Et tous les conseillers du monde n’y changeront rien.
Dans les deux cas, c’est plus le séquençage du format d’émission qui pose question que l’incapacité de François Hollande à établir un contact avec les Français. De fait, les “deux corps du roi” ont été sollicités dans l’émission du 6 novembre. A la fois celui à hauteur d’homme (surtout en début d’émission) et celui dépositaire de la fonction de souveraineté, obligeant le Président à un exercice d’équilibrisme peu convaincant entre les deux. Impression de décalage qui conduira Anne Sinclair à écrire que c’était comme si François Hollande “était en permanence non pas dans son rôle, mais à côté”.
2/ Etait-ce vraiment l’essentiel ?
Le principe d’un “Face aux Français” circulait depuis un moment dans les couloirs du pouvoir. La presse en a parlé dès 2013. Le concept d’émission n’avait cependant jamais été mis en oeuvre, le Président étant peu à l’aise avec l’exercice de la conversation directe devant les caméras de télévision. Mais l’idée a fait son chemin pour des raisons évidentes. D’abord , on a souvent reproché au Président de privilégier le contact avec les journalistes, soit direct (plusieurs ouvrages récents s’en font l’écho), soit lors de très protocolaires conférences de presse organisées sous les lambris de la République. D’autre part, s’ajoutait à cette insuffisance de lien direct avec les citoyens la peur de voir le Président et ses conseillers “bunkerisés” dans le Palais de l’Elysée, loin des réalités de la société française.
C’était une difficulté déjà soulignée par François Hollande dès les premiers mois de son mandat. Dans Le Pouvoir, le film de Patrick Rotman consacré aux premiers mois du quinquennat, François Hollande résume ainsi ce risque d’enfermement : “Ce n’est pas facile de vivre dans un palais, de travailler dans un palais. Nous devons nous débarrasser de ce cadre là. Nous devons sortir, ne pas rester confinés dans ces lieux…L’Elysée doit être un lieu où la vie doit être davantage présente”. En montrant les coulisses et en ouvrant les portes du Palais, on faisait ainsi d’une pierre deux coups : on faisait (un peu) respirer le lieu et on montrait le quotidien d’un Président et de son équipe au travail.
L’émission du 6 novembre s’inscrit donc dans un plan de communication plus large qui essaie de donner une dimension de proximité plus forte à la fonction présidentielle. Cette volonté s’est traduite récemment de deux manières :
- Plusieurs autorisations accordées à des médias pour des reportages (Le Monde et I-télé) à l’intérieur de l’Elysée ;
- Un contact plus direct avec les Français. Un principe : limiter au maximum le protocole en pratiquant le “marketing de la surprise”, pour reprendre une expression très parlante de Thierry Jadot, Président d’AEGIS (par exemple ici à Paris le 19 mai, ou encore ici en septembre dans les Yvelines ou là le 27 octobre dernier pour l’anniversaire de Manu Dibongo).
C’est sans doute d’abord sous cet angle qu’il faut juger l’efficacité du format du “Direct avec les Français” : dans sa capacité à rendre un peu plus proche la fonction présidentielle, à recréer un minimum de lien. C’est effectivement un objectif beaucoup plus modeste. Mais qui permettrait d’éviter de juger l’émission à partir d’objectifs qu’elle ne pouvait pas poursuivre : convaincre les Français, restaurer la confiance, relancer le quinquennat.
Quant au dialogue avec les Français, c’est forcément loin des caméras que le Président peut espérer nouer ce contact plus intime. Il l’a fait à deux reprises, hors caméras, lors de la soirée du 6 novembre : avec les Français présents sur le plateau (voir ici) et lors d’un tchat dont quasiment personne n’a parlé . Une façon peut-être de concilier a minima l’impossible équilibre entre autorité présidentielle et proximité.