Les primaires sont-elles démocratiques ?

Thomas Huguerre
8 min readNov 27, 2016

--

C’est une question qui me taraude depuis quelques mois, depuis l’intérêt quasi-permanent des media pour les élections américaines de 2016 (bien plus que pour les précédentes ?) et, bien évidemment, avec les primaires qui se terminent en ce moment même pour les partis politiques français de la droite et du centre.

A vrai dire, la question a un peu évolué au fil de la réflexion. La première approche était plus de se demander s’il était démocratique de n’avoir comme véritable choix électoral qu’un bipolarisme à l’américaine. Car, même si les USA permettent la présentation de candidats de tous partis, seuls les Démocrates et les Républicains ont, jusqu’à aujourd’hui, véritablement une chance de l’emporter. Les Américains n’ont donc véritablement le choix qu’entre deux candidats — choix d’autant plus cornélien au regard des profils respectifs de Hillary et de Trump — .

En France, le même phénomène commence à émerger, même si nous sommes davantage sur une représentation tri-polaire : la gauche, la droite et l’extrême droite — pour ne pas dire : le PS, les Républicains et le FN — . Il faut regarder les choses en face : l’extrême gauche, les écologistes et le centre représentent une part peu importante des voix des électeurs, ce qui leur ôte toute possibilité de l’emporter.

Et le phénomène est en train de s’accentuer avec les primaires, de tous partis.

Quel est le rôle de ces primaires ?

Qu’elles soient celles de la gauche ou de la droite, l’objectif principal des primaires est de limiter à un le nombre de candidats d’une même tendance, afin de maximiser ses chances d’être élu, en regroupant derrière lui le maximum de voix qui auraient pu être éparpillées derrière une myriade de prétendants.

Regardons ce qui se prépare déjà depuis quelques temps à gauche : les candidatures “dissidentes” de Macron et Mélenchon sont vues d’un mauvais œil par le PS qui rame d’ores et déjà pour assembler un maximum de voix à opposer à une droite qui a probablement de grandes chances pour mai 2017.

Les primaires ne sont donc rien de plus que des machines à gagner, d’autant plus efficaces que le nombre final de candidats d’une même tendance — en France, comprendre gauche ou droite — est faible.

La conséquence ? Toutes les candidatures qui pourraient proposer une voie alternative et exprimer des idées différentes, mais qui ne sont pas incarnées par un poids lourd, et à plus forte raison par un candidat “approuvé” par le parti, n’ont plus aucune chance. Au premier tour des élections présidentielles, le choix est donc nécessairement drastiquement limité.

Est-ce bien démocratique de se retrouver avec deux ou trois choix possibles et statistiquement crédibles ?

Bien entendu, les primaires n’empêchent pas les autres partis, tendances, mouvements citoyens de présenter leur propre champion. Mais quel est le raisonnement suivi par nombre de nos concitoyens ? Pourquoi voter pour un candidat dont je sais pertinemment qu’il n’a aucune chance ? Pourquoi je n’utiliserais pas ma voix pour voter utile — ah, le vote “utile” ! — et voter contre le candidat que j’exècre le plus afin de limiter la casse ?

C’est ainsi que nous ancrons de plus en plus dans la tête des électeurs la notion de vote “contre”. Alors que le vote “pour” est nettement plus valorisant et constructif !

Ce phénomène est nécessairement d’autant plus pesant qu’il est compliqué, si toutefois nos politiques acceptaient de s’y résoudre, d’intégrer une notion de proportionnelle dans un poste qui ne compte qu’une seule place…

Dans le cadre de l’Assemblée Nationale et de ses députés, intégrer une dose de proportionnelle permettrait bien sûr de favoriser l’émergence de courants plus modestes, avec pour conséquence de les faire connaître et (dé)crédibiliser auprès du grand public. La sélection serait plus efficace sur du long terme…

Au final, je me fais de plus en plus le parallèle — à tord ? — de nos élections avec l’économie mondialisée : les grands groupes rachètent les plus petits et tendent vers le monopole. Il faut d’ailleurs mettre en place des lois anti-monopole pour éviter cette situation. Devrons-nous y arriver un jour pour nos offres politiques ? Ou l’uniformisation nous guette-t-elle ?

Oui, mais les primaires proposent ce choix plus tôt…

En antithèse, il ne serait pas objectif de ne pas mettre en avant que le choix qui pourrait manquer au premier tour de l’élection présidentielle est proposé au sein de chaque primaire avant ce premier tour — au passage, nous pourrions finir par nous demander l’intérêt d’un second tour, mais nous n’y sommes pas encore — .

En effet, les primaires permettent à de très petits candidats de tenter leur chance au sein de leur famille politique, et donc face à un public qui est normalement plus proche de leur programme.

Cette chance, l’auraient-ils vraiment eu sur le premier tour d’une élection présidentielle ? Pour les primaires de la droite et du centre qui viennent de se terminer, est-ce que des candidats comme Bruno Lemaire ou davantage encore comme Jean-Frédéric Poisson auraient pris le risque voire la peine de se présenter ?

Leurs candidatures auraient pu se noyer dans la masse de toutes les tentatives de toutes les tendances, rendant d’autant moins claires les différentes propositions pour les électeurs. En effet, si chaque tendance affichait autant de candidats que la primaire de la droite et du centre, nous pourrions facilement nous retrouver avec 20 offres, ou encore davantage.

Comment voter sereinement et en pleine conscience, en ayant pris le temps de décortiquer le programme de tous les candidats ?

Et puis, réaliser un bon score même sans être élu au sein d’une primaire, permet à un candidat malheureux de montrer son existence au sein de sa famille politique et, peut-être, de peser sur le programme du champion désigné — je mets de côté le fait de tenter de montrer audit champion que l’on existe pour récupérer un poste dans le futur gouvernement, ce n’est pas du tout (du tout, non) le calcul qui est fait — .

Les primaires, en ajoutant un étage supplémentaire au process de sélection des candidats, favoriseraient-elles donc des candidatures qui n’auraient eues aucune chance autrement et favoriseraient-elles donc ainsi la démocratie ?

…sauf que cela dépend du mode de sélection des électeurs

La primaire de la droite et du centre a fait le choix d’une élection totalement ouverte : à n’importe qui ayant le droit de vote, en s’acquittant d’une redevance de 2 euros et en acceptant les valeurs desdits droite et centre. Un choix clairement démocratique au premier abord.

— Petit aparté : je ne sais pas si ce choix est issu d’un réel désir d’ouverture et démocratique, ou s’il y a eu un calcul politique pour faire intervenir les voix de la gauche et de l’extrême droite pour peser dans les votes. Il en a en tout cas résulté au moins un vote “utile”, voire un vote “contre” : le barrage à Nicolas Sarkozy par les électeurs de gauche —

Premièrement, est-ce démocratique de demander aux électeurs une participation financière pour élire leur candidat ? Certes, 2 x 2 euros ce n’est pas grand-chose. Mais certains pourraient compter dessus pour manger à la fin du mois, ce qui pourraient “filtrer” les votants. Même si l’exception doit être très rare, ne pas permettre à 100% des électeurs de voter est-il démocratique ? Bien sûr, ce sont des primaires “privées” — c’est-à-dire que, à ma connaissance, elles sont totalement en dehors du process de vote de l’élection présidentielle française — et donc l’organisme qui la gère s’organise comme il l’entend. Mais étant donné tous les impacts, dont nous avons parlé plus haut, que ces primaires ont sur le choix démocratique et totalement public du premier tour des élections présidentielles, est-ce réellement démocratique de filtrer les électeurs dans un scrutin privé ayant une répercussion publique ?

Imaginons maintenant que la primaire de la gauche ait fait le choix de limiter les votants éligibles aux seuls encartés du PS (cela ne semble pas le cas, mais toutes les modalités ne semblent pas encore actées). Comment réagir face à cette fermeture alors que les sympathisants de gauche ont eu un impact certain au moins sur le premier tour de la primaire de la droite et du centre ? Comment ne pas se dire qu’il n’est pas égal que les primaires de toutes tendance ne jouent pas selon les mêmes règles ? Si les conditions d’élection étaient différentes entre les primaires, le résultat du choix du Président de la République Française serait-il finalement réellement démocratique ? Ne faudrait-il pas alors “nationaliser” les primaires pour garder le choix totalement démocratique et égalitaire ?

Et si les conditions variaient au fil des élections, au bon vouloir des différents organisateurs privés, le jeu démocratique serait-il toujours possible en conservant l’aspect égalitaire ?

Bon, objectivement, les conditions ne semblent pas pour le moment si différentes et le mode de scrutin proposé dans les deux primaires principales reste toujours plus démocratique qu’un choix “arbitraire” par et parmi les cadres d’un parti uniquement.

“Billard à 15 bandes” = standardisation des candidatures ?

Pour faciliter la suite de la réflexion, supposons maintenant que toutes les primaires fonctionnent selon les mêmes règles et qu’elles soient parfaitement égalitaires, universelles, etc.

Comme pour la primaire de la droite et du centre qui vient de se terminer et l’impact des sympathisants de gauche sur la candidature de Nicolas Sarkozy, quelle est la répercussion de l’impact des sympathisants d’une autre tendance qui viendraient s’immiscer dans la primaire “du camp opposé” ?

Mettons de côté le vote de barrage fait à l’ancien président qu’une partie des électeurs français — y compris de droite ? — ne pouvait plus encadrer, et rêvons que le vote se fasse sur le contenu des programmes, de manière apaisée et constructive.

Les sympathisants de gauche ne vont-ils pas essayer de faire élire un candidat dont le programme est plus proche de leurs valeurs ? Par exemple, Juppé pour cette année (raté…) ? Inversement, les sympathisants de droite ne vont-ils pas essayer de faire la même chose, peut-être avec Valls voire Macron ?

Si les électeurs jouent ainsi sur des “coups de billard à 15 bandes” — comme j’ai pu entendre l’expression ce soir dans les émissions politiques — afin de limiter la casse en cas de perte de son propre camp, n’y a-t-il pas un risque que les candidatures échouant au premier tour des élections présidentielles ne soient très proches, les unes tirées vers les autres par les électeurs des camps opposés ?

Sur du long terme et en tenant compte du fait que les primaires soient ouvertes et qu’elles rentrent pleinement dans le jeu électoral du paysage français, nous pourrions ainsi tendre vers une standardisation des candidatures et des programmes. Les primaires pourraient-elles ainsi être la mort d’une véritable pluralité et donc d’une véritable démocratie ?

Entre limitation et standardisation des candidatures au premier tour des élections présidentielles d’un côté, et diversification plus précoce, facilitation des “petits” candidats et clarification des propositions d’un autre côté, quel sera au final le véritable impact des primaires sur le paysage politique français ?

Les réflexions proposées ici doivent majoritairement paraître négatives vis-à-vis des primaires, sont probablement très parcellaires (nous aurions pu parler temps de parole accru ou pédagogie supplémentaire car étalée dans le temps) et il est potentiellement facile de leur opposer différents arguments.

Au-delà de vouloir remettre en cause le système des primaires — contre lequel je n’ai fondamentalement rien à reprocher et qui pourrait même être une avancée en regard des systèmes précédents — , ces réflexions se veulent principalement une observation de fond sur l’émergence d’un nouveau système ou modèle électoral.

D’autres modèles seraient-ils plus pertinents ? D’autres systèmes de votes seraient-ils plus représentatifs ou auraient-ils moins d’effets collatéraux ?

--

--

Thomas Huguerre

Digital worker @leroymerlin , climber, papa & Editor/Author de “Vous êtes montés à pied !?”