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Au Studio Galande, le Time Warp
se danse depuis quarante ans

4 min readJan 17, 2020

Cet article a été réalisé en octobre 2018 dans le cadre d’un cours d’écriture à l’École de Journalisme de Sciences Po, animé par Francois Ernenwein.

Comme chaque semaine depuis 1978, des dizaines de passionnés s’étaient donné rendez-vous ce vendredi dans ce cinéma du 5ème arrondissement, pour une projection insolite d’un film culte : le Rocky Horror Picture Show. Un spectacle singulier, animé par une troupe de comédiens et mettant le public à contribution.

« Science fiction, ouh ouh ouh, double feature… » Dès l’apparition des lèvres rouge carmin du générique, le public est invité à se lever et à se joindre aux chœurs. Ce soir-là, ce sont les No Good Kids qui animent la séance, chacun endossant le rôle d’un personnage du film : les deux « héros » insipides Brad et Janet, le majordome Riff Raff, les domestiques Magenta et Columbia, Rocky, et bien entendu le Docteur Frank-N-Furter, savant fou et « gentil travesti » — comme il se décrit lui-même. C’est d’ailleurs ce dernier, bigoudis sur la tête et chaussons « rennes » aux pieds, qui accueille les spectateurs dans la petite salle souterraine du Studio Galande.

Parmi eux, Miray et Miray, étudiantes turques en échange à la Sorbonne. Comme si porter le même prénom ne leur suffisait pas, les deux jeunes femmes arborent des tenues assorties : bas en résille et boa de plumes, violet pour l’une et rouge pour l’autre. « Miray violette » se rappelle avoir découvert le Rocky Horror Picture Show à travers une photo de Frank-N-Furter en corset de cuir et en porte-jarretelles. « Je m’étais dit qu’il fallait absolument que je vois ce film », raconte-t-elle. Verdict ? « C’était bizarre… alors je l’ai regardé une deuxième fois. Et une troisième. Et une quatrième ! »

Orage, mariages et Time Warp

Dans la salle, les No Good Kids rejouent le film et enchaînent les traits d’humour noir et les blagues graveleuses. Pour sa ressemblance physique avec Dominique Strauss-Kahn, le narrateur du film est ainsi pris pour cible. « Alors DSK, ils étaient comment les seins de Nafissatou ? » lance un membre de la troupe d’un ton goguenard. « Lourds, noirs et tombants », répond impassible le personnage sur l’écran… à propos des nuages vers lesquels se dirigent nos deux protagonistes.

L’immersion est totale. Alors que l’orage gronde et que des trombes d’eaux s’abattent sur Brad et Janet, plusieurs spectateurs armés de bouteilles d’eau arrosent leurs voisins. D’autres lancent du riz lors des deux scènes de mariage que compte le film. Pendant ce temps, les personnages sont accueillis au manoir des Transylvaniens. « Je m’appelle Brad Majors », déclare notre « trou du cul » de héros, tendant une main dans le vide. « Ass-hole! » chantent les spectateurs en chœur, sur les indications des comédiens. « Et voici ma fiancée, Janet Weiss, » poursuit Brad. « Vice, vice vice ! » scande alors le public, avant s’insulter Janet de tous les noms.

Les présentations faites, le moment est enfin venu de danser le Time Warp, qui a fait la renommée du film. « Un saut sur la gauche, et un petit pas sur la droite », explique Magenta. « Puis les mains sur les hanches, et “ah ouh ah ouh”, comme pépé dans mémé ! » lance-t-elle en mimant des mouvements suggestifs du bassin. « Il faut avoir l’air con, c’est le but. » Puis, s’adressant à un certain Cyril qui deviendra à son corps défendant le souffre-douleur de la soirée : « Tu fais ça bien, toi. C’est naturel ou tu t’es entraîné ? »

« C’est juste un gros bordel sans aucun sens »

La troupe l’avait prévenu au début du spectacle : « Tout ce qui se passe dans le film se passe dans la salle. » Jusqu’aux scènes de sexe, que les comédiens simulent avec les spectateurs — plus ou moins consentants — des premiers rangs. Coline et Valentin, maquillés pour l’occasion, en ont fait les frais. « Le film milite pour une sexualité libérée, en opposition aux valeurs conservatrices bourgeoises » explique la jeune femme. « Certes il y a des viols », poursuit-elle, « mais l’idée est de permettre à Brad et Janet d’embrasser une sexualité épanouie, eux qui sont encore vierges au début du film. » Avant de s’esclaffer, moyennement convaincue par sa propre théorie : « Ou alors c’est juste un gros bordel sans aucun sens ! »

Si Coline est une fan inconditionnelle du film, qu’elle avoue regarder en boucle, son ami Valentin le découvre ce soir-là. « Je ne sais pas trop à quoi m’attendre », expliquait-il avant la séance, d’un ton qui révélait une certaine appréhension. Une chose est sûre, il ne s’imaginait sans doute pas que deux heures plus tard il offrirait sa virginité anale au Docteur Frank-N-Furter.

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