La tentation du test utilisateur

Aurélien Aries
4 min readJul 31, 2018

--

‘Two people in elegant shirts brainstorming over a sheet of paper near two laptops’ by Helloquence on Unsplash

Mettre en place des tests utilisateurs est désormais chose courante, et c’est tant mieux. En revanche, il serait dommage de ne faire appel au spécialiste de l’UX que pour ça !

Récemment dans le cadre de la refonte d’un site Internet, j’ai été contacté pour mener des tests utilisateurs. Rapidement, je me suis aperçu que ceux-ci n’étaient pas nécessaires — du moins pas dans l’immédiat — et que conduire, dans un premier temps, une évaluation experte serait bien plus efficace. Les parties prenantes semblaient un peu déçues. Il m’a fallu expliquer avec pédagogie que les tests n’étaient pas systématiques et justifier mon approche.

L’évaluation d’un système par des utilisateurs est aujourd’hui une pratique répandue et c’est une très bonne chose. La méthode phare de ce type d’évaluation est le test utilisateur. Toutefois, il existe d’autres approches :

  • complétion de phrases
  • courbe d’évaluation UX
  • échelle d’utilisabilité
  • évaluation des émotions

Toutes ces approches répondent à des problématiques particulières et complémentaires :

  • exploration des besoins
  • évaluation à travers le temps (longitudinale)
  • évaluation de l’utilisabilité
  • évaluation des émotions
  • recueil de premières impressions…

La lecture, il y a une dizaine d’années, du fameux Don’t make me think de Steve Krug m’avait fait comprendre la nécessité de mettre en place le seul antidote aux débats théologiques : le test utilisateur. Pourtant, j’ai appris depuis à parfois m’en détacher pour lui préférer ou lui faire précéder d’autres approches.

Dans le cadre d’une refonte, l’enjeu est clair ; il ne s’agit pas de valider ou invalider des choix, de consolider un processus de création itératif, mais de trouver des axes d’améliorations d’une interface existante. L’évaluation experte remplit amplement cette tâche. Elle s’appuie sur des règles d’ergonomie issues des sciences cognitives et de l’informatique. Associées à une inspection cognitive (Cognitive Walkthrough), elles permettent toutes les deux de rapidement relever les premiers problèmes d’utilisabilité. Des conseils d’amélioration sont ensuite prodigués par l’évaluateur. Réalisée sans l’utilisateur, cette approche est un excellent moyen de supprimer les problèmes les plus évidents aux yeux de l’expert avant, si besoin, de mener des tests, lesquels pourront se concentrer sur les zones d’hésitation, les problématiques plus subjectives.

Trouver l’amorce idoine à un projet est essentiel : chaque test, chaque atelier, chaque livrable ne doit être réalisé que si le besoin est avéré (et ne doit pas seulement venir décorer les murs de nos bureaux).

Le mythe du test utilisateur type

Le test utilisateur n’est ni normatif ni prescriptif et il n’est pas systématique, à l’instar du slogan sur les antibiotiques que l’on nous matraquait dans les années 2000. Il est important de s’assurer des raisons qui pousseraient à le mettre en place, sans quoi il risquerait d’être inefficace.

Par ailleurs, il apparaît que beaucoup de tests utilisateurs sont motivés par un besoin d’approbation hiérarchique plutôt que pour accompagner un acte créatif et itératif : « Faisons des tests pour montrer au service marketing que nous avons raison… »

Pour terminer sur l’analogie médicale, je dirais qu’il faut connaître les « symptômes » pour établir le « traitement » — connaître le sujet de travail pour définir l’approche et amorcer une réflexion ; la circonspection est donc de rigueur lorsque le commanditaire insuffle à l’expert le « traitement » à mettre en place ; n’inversons pas les rôles !

« Ça n’a pas de sens d’embaucher des experts et de leur dire quoi faire. Nous embauchons des experts pour qu’ils nous disent quoi faire. »

— Steve Jobs¹.

Avec la généralisation des tests, il semble logique de vouloir s’appuyer sur des restitutions d’évaluations antérieures, mais ça n’est pas toujours une bonne idée : les tests utilisateurs ne font pas jurisprudence. Ce qui est vrai sur une page ne l’est pas forcément ailleurs — sans mentionner les restitutions de tests mal diagnostiquées par des non-experts.

« Dans mon ancienne boîte, on s’est rendu compte que les utilisateurs ne voyaient pas les onglets »

« Chez nous, les utilisateurs ne scrollent jamais »

Aussi anodines puissent-elles paraître, ce type de constatations mal diagnostiquées ou décontextualisées peuvent freiner le processus itératif voire le désorienter en débouchant sur de mauvaises résolutions : « Faisons donc une navigation sans onglets. »

Le fait, par exemple, que les internautes ne scrollent pas n’est plus réellement d’actualité. Les habitudes ont changé — principalement depuis l’avènement des téléphones — mais cette vieille croyance perdure et il n’est pas toujours évident de le faire entendre.

Ironiquement, il semble que le mythe de l’utilisateur type que combattait Steve Krug ait été remplacé par le mythe du test utilisateur type. Nous avons appris à ne plus conjecturer sur les comportements de l’utilisateur, ne recommençons pas en invoquant arbitrairement des tests !

Avec un savoir à la fois empirique et théorique en poche, le professionnel de l’expérience utilisateur est capable de répondre à beaucoup de questions sans systématiquement mener des tests. Longtemps, il s’est vu cantonner à la réalisation de wireframe et il serait dommage d’en faire autant avec les tests utilisateurs, qui ne sont qu’une approche parmi d’autres, aussi efficace et puissante soit-elle !

¹ « It doesn’t make sense to hire smart people and then tell them what to to, We hire smart people so they can tell us what to do. » — Steve Jobs

--

--