L’insertion des personnes réfugiées en zone rurale — une (courte) revue académique

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5 min readApr 5, 2016

La première chose à savoir sur l’insertion des personnes réfugiées en zone rurale, c’est que l’on en sait très peu. Le phénomène n’est pourtant pas historiquement inexistant, et certains pays comme la Suisse ou l’Australie le promeuvent activement depuis une dizaine d’années. L’insertion en général des personnes réfugiées a elle été scrutée avec attention. Il peut donc être utile de l’étudier à l’aune de ses différences avec l’insertion en général.

Avant d’aller plus loin, précisons que l’insertion dont il s’agit ici peut être économique (ex : trouver un emploi), mais aussi sociale (ex : participer à des activités avec la population locale). Ces deux aspects sont positivement liés l’un à l’autre, comme nous allons le voir.

Que sait-on de l’insertion des personnes réfugiées en général ? Dans la revue International Migration Review n°44 (2010), Thomas de Vroome et Frank van Tubergen recherchent les facteurs qui influencent l’emploi des personnes réfugiées aux Pays-Bas, par l’analyse de données quantitatives.

Les résultats sont sans ambiguïtés. Le capital humain (les connaissances et le savoir-faire de l’individu) est la variable qui accroît le plus les chances d’obtenir un emploi de qualité. Si l’éducation dans le pays d’origine favorise l’emploi, l’éducation dans le pays hôte (à travers des cours de langue ou des formations professionnelles) a l’impact le plus fort. Ensuite, avoir des relations sociales avec des personnes de la société d’accueil est également un facteur important dans l’obtention d’un emploi, par l’aide et les informations que les nationaux peuvent fournir aux personnes réfugiées. Jusque là, rien de surprenant : l’effet de ces deux facteurs avait déjà été observé par le passé.

L’originalité de cette étude tient plutôt aux trois derniers constats, moins bien connus. Premièrement, les problèmes médicaux compliquent sérieusement l’obtention d’un travail ; la dépression, très présente chez les personnes réfugiées, est la pathologie la plus dommageable à l’emploi. Deuxièmement, plus une personne réfugiée passe de temps dans un centre de rétention, moins elle a de chance de trouver un emploi. Ceci s’explique surtout par le fait que le temps passé en rétention est « gâché » : les personnes n’y apprennent rien, ni langue, ni technique. Enfin, les auteurs trouvent que les cours d’intégration améliorent les perspectives d’emploi. Ici encore, ce sont les connaissances nouvelles qui font la différence.

Ces résultats démontrent qu’une politique volontariste d’assistance des populations réfugiées (à travers des cours de langue, des formations professionnelles, une assistance médicale etc.) contribuent largement à l’emploi des réfugiés — et donc à leur intégration.

Nous connaissons maintenant les conditions favorisant une bonne insertion sur le marché de l’emploi. Mais ces conditions s’appliquent-t-elles en milieu rural ?

Une des seules études universitaires sur l’insertion de personnes réfugiées en milieu rural est celle de McDonald-Wilmsen et. al., qui traite de l’expérience d’insertion de personnes réfugiées autour de la ville de Victoria, en Australie. Depuis les années 2000, le gouvernement australien met en place ce type de dispositif afin de combattre l’exode rural qui, tout comme en France, est un phénomène important.

Cette étude nous apprend que l’insertion des personnes réfugiées en zone rurale implique globalement les mêmes défis qu’en ville. En effet, le manque de reconnaissance des qualifications des personnes réfugiées, la précarité de l’emploi, et la difficulté à trouver un logement sont des problèmes communs à la ville et la campagne. Cependant, les vrais obstacles au succès de l’intégration rurale viennent, dans le cas de Victoria, des limites inhérentes aux programmes d’intégration eux-mêmes.

Ce n’est pas à dire que les personnes réfugiées ne rencontrent pas de problèmes spécifiques à la campagne. Un exemple : la difficulté pour bâtir des relations sociales avec la population locale est plus grande à la campagne, en partie car les relations potentielles sont moins nombreuses. Cet obstacle est particulièrement dommageable aux adolescents, dont l’âge réclame un solide groupe de pairs, et aux femmes, qui dans les communautés réfugiées sont traditionnellement garantes des relations sociales. De nombreux chercheurs soulignent l’importance des structures religieuses dans le tissage de relations sociales solides, surtout dans les zones rurales, où elles sont particulièrement bien implantées.

Il n’en reste pas moins que le vrai défi semble résider dans la création d’une structure d’assistance efficace en milieu rural, où l’inserttion de personnes réfugiées ne fait pas traditionnellement partie du tableau. En effet, les acteurs ayant une expertise dans l’accueil de personnes dans cette situation se trouvent généralement autour des grandes villes. De plus, l’implantation de nouveaux services est limitée par les budgets serrés des communes rurales. Outre le problème des moyens disponibles, il y a aussi celui de l’organisation. Si les programmes d’intégration doivent à l’évidence être financés par l’Etat, qui doit les piloter ? Les auteurs ne donnent pas de réponse définitive, mais considèrent qu’une gestion locale est préférable.

Que peut-on conclure de ces études?

D’abord, que l’accompagnement des personnes ayant le statut de réfugié ne met pas en péril l’économie locale ; bien au contraire, elle leur permet d’intégrer plus vite le marché de l’emploi et de devenir autonomes, contribuant ainsi au développement de la région d’accueil. Les exemples de telles contributions ne manquent pas, comme le rappellent Emily Arnold-Fernandez et Stewart Pollock dans la revue Forced Migration Review n°44 (2014). Dans les années 90, par exemple, les réfugiés Birmans en Thaïlande ont largement contribué à l’économie thaïlandaise en tant que main d’œuvre dans les industries locales. Lorsque la Thaïlande a décidé de rapatrier les réfugiés en 1997, les régions où les entreprises ont le plus fait faillite étaient celles qui employaient le moins de Thaïlandais …

Ensuite, que la réussite de l’intégration rurale dépend d’un engagement financier solide de la part de l’Etat, mais aussi de l’inventivité des communautés locales dans l’organisation et le pilotage des programmes d’assistance. Ainsi, en plus de sa valeur morale intrinsèque, l’accueil des réfugiés peut servir à dynamiser les campagnes françaises, qui en ont bien besoin.

Articles cités :

  • E. Arnold-Fernandez, S. Pollock (2013) « Refugees’ rights to work », Forced Migration Review n°44, Septembre 2014
  • T. De Vroome, F. van Tubergen (2010) « The Employment Experience of Refugees in the Netherlands », International Migration Review n°44 : (2):376–403
  • B. McDonald-Wilmsen et. al. (2009), « Resettling Refugees in Rural and Regional Australia: Learning from Recent Policy and Program Initiatives », Australian Journal of Public Administration vol. 68 : 97–111

Signé: Jeremy Boucher, amateur d’oeufs, au plat, pochés ou en omelette.

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