L’éco-quartier Ginko, du rêve à la réalité
Ginko, ce quartier-modèle, cette maquette d’architecte mise à l’échelle humaine et posée au bord du lac. Au-delà de la carte postale représentée sur les panneaux promotionnels encore affichés un peu partout, ses habitants redescendent sur terre en confiant leurs déceptions et leurs désillusions vécues au quotidien. Trois ans après les premiers emménagements à Bordeaux-Lac, bilan sur un projet aussi ambitieux que séduisant… sur le papier.
Ce retour un peu rude à la réalité commence par des parties communes pas aussi immaculées que sur une représentation d’architecte. Le grand bassin au centre des immeubles est recouvert d’algues, conséquence d’un écosystème mal maîtrisé. Des canettes de soda et des papiers gras parsèment les pelouses, malgré les nombreuses poubelles à tri sélectif disséminées dans tout le quartier.
Karine déplore ce manque de civisme : « les gens se foutent des parties communes ». Les locaux à vélos, mal sécurisés, sont régulièrement visités par des voleurs: « ils ont sorti quatorze vélos en une seule nuit ». Elle raconte la porte de l’immeuble défoncée, un problème résolu avec 1000 euros de réparation. « Il faudrait que les propriétaires privés reportent le coup du vandalisme sur les loyers ».
“Si les incivilités continuent, je partirai peut-être” ( Karine, 42 ans, garde d’enfants et propriétaire à Ginko depuis 2012)
Dans les appartements, les habitants ont aussi leur lot de déconvenues : « c’est bien lumineux, mais les chambres sont un peu petites » regrette Karine, un peu à l’étroit dans une pièce qui fait très exactement 9 mètres 20. Chargé de construire et d’aménager le quartier, Bouygues Immobilier a respecté le cahier des charges… a minima. « Si c’était à refaire, je prendrais le dernier étage, à cause du bruit ». La faute à des murs mal isolés, construits avec des cloisons alvéolaires. Elle est l’une des premières arrivées à Ginko, et elle a l’impression d’avoir essuyé les plâtres : « ils ont construit les appartements suivants à partir de nos retours. C’est scandaleux de ne rien avoir modifié chez nous ».
Élodie, quant à elle, rencontre des problèmes d’infiltration. Le manque d’étanchéité d’un toit a fait partir le colocataire de Yannis. Ce dernier apprécie que les logements du quartier « ne ressemblent pas à des cages à lapin comme c’est le cas ailleurs » mais ne se fait guère d’illusion sur le long terme : « ces immeubles ne sont pas conçus pour durer plus de 10 ou 20 ans ». Un comble pour un quartier qui doit son nom au gingko biloba, un arbre réputé pour sa résistance et sa longévité. Il confie qu’il ne lui viendrait pas à l’idée d’acheter un appartement ici, préférant rester locataire : « 1350 euros pour un T5 de 166 mètres carrés, c’est dans la moyenne à Bordeaux ».
“D’un côté c’est Copenhague, de l’autre le terrain vague” ( Yannis, 30 ans, en colocation depuis un mois )
Et l’écologie, alors ? « C’était un plus, mais ça n’a pas été déterminant », avoue Élodie. « Une vaste fumisterie », selon Bernard : « quand on n’est pas là, le compteur d’eau chaude tourne quand même ». Propriétaire, il peste surtout sur le fait qu’écologique ne rime pas forcément avec économique : « on nous dit que les frais vont baisser alors qu’ils augmentent d’année en année ». Il faut dire que la centrale de chauffage au bois doit être rentabilisée alors qu’elle n’alimente que huit îlots d’immeubles. Un quartier écologique, c’est surtout pour ses habitants un quartier un peu moins urbain. « Les bateaux du lac passent sous le balcon » se réjouit Karine : « je suis venue en priorité pour le cadre : à 15 minutes du centre-ville et avec de la verdure ». L’endroit est calme, voir même un peu désert en journée. Nadia apprécie ce changement par rapport au centre-ville « qui me faisait la tête comme une citrouille ».
Le quartier est sur pied, mais reste sans doute à construire un esprit de quartier. « C’est quand même assez artificiel » reconnaît Bernard. « Certaines personnes restent isolées dans leur appartement ». Corinne, la concierge, ne tient pas non plus à noircir le tableau : «les gens ont un peu idéalisé, mais le lien social se met doucement en place ».
La salle polyvalente, l’école maternelle et l’école primaire Vaclav Havel, les quelques commerces de proximité contribuent à ne pas faire de Ginko une simple cité-dortoir. Des inquiétudes persistent sur l’avenir du quartier. « Ils ont du mal à louer les grands appartements » explique Yannis. Selon Karine, « au bout de quatre ou cinq mois, les locataires se disent que c’est trop cher et repartent ». Les habitants se comparent sans cesse aux Aubiers, le quartier voisin réputé difficile avec ses grands ensembles laissés à l’abandon. Le pari est de ne pas finir comme lui…
Reportage de Redha Dahmani, Quentin Fruchard et Laura Prat