Comment Se Compliquer La Vie en 4 Heures Chrono

Céline De Leo
8 min readSep 22, 2019

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Comment j’arrive à me prendre la tête juste en buvant mon café le matin en essayant de répondre à la question : qu’est-ce que tu veux ?

Aujourd’hui, je suis m-o-t-i-v-é-e! J’ouvre les yeux après une nuit où j’ai rêvé que je volais au-dessus de Paris. La ville était à moi, je regardais les passants et je survolais la Seine au gré de mes envies, sans être freinée par une foule en délire affairée à je ne sais quoi, qui déambule dans un mouvement désorganisé partout dans le métro et sur le trottoir, sans être bousculée par les trottinettes et les motos qui m’assaillent de tous les côtés quand je traverse et que le feu vient de passer au rouge, sans me sentir étouffée par l’air asphyxiant des pots d’échappement. J’étais libre de mes mouvements, légère, je me sentais pleine d’une énergie inépuisable, je voyais tout en rose, les visages, le ciel et les terrasses des restaurants.

Il est 8h00 du matin et jusqu’ici, tout va bien

Je vais travailler sur mon nouveau projet professionnel, celui que je me suis inventée sur-mesure, comme on dit, celui qui devrait me satisfaire à tous les niveaux, personnel et professionnel, celui qui va faire de moi l’artiste de ma vie, en quelques sortes, celui qui va me permettre d’exploiter mon potentiel à son maximum.

Je suis excitée, je suis survoltée, l’avenir me semble radieux.

Je me lève d’un bond et saute sur ma cafetière italienne que je remplis de ce café hors de prix que j’ai acheté dans une brûlerie bobo du 18ème arrondissement, le grain moulu au doux arôme de chocolat noir porte le nom prometteur de : La Dolce Vita. Je ne pouvais pas rêver mieux pour commencer cette journée qui s’annonce pleine de surprises et de joies, je lance Spotify et la playlist Afrobeat pour synchroniser mon rythme cardiaque aux vibrations des tambours et des basses de ces sons qui me mettent d’humeur audacieuse et victorieuse. Je fais couler mon breuvage chaleureux dans un petit bol en terre cuite fait mains en Italie, souvenir de voyage, je me remémore les couleurs des rues et des palaces, l’odeur des pizzas au feu de bois et la moustache du serveur dans ce petit restaurant de Modena, la sensation du menu sur mes doigts, les lettres écrites en rouges sur du papier jaunis par le temps, je me rappelle les paysages arides de l’été près de Vérone et la sensation des pierres brûlantes en fin de soirée qui crachent toute la chaleur absorbée pendant la journée, je revois le soleil dans le ciel rose et ocre dans la nuit tombante.

Finalement, pourquoi suis-je si pressée de me lancer dans un projet de création d’entreprise alors que je pourrais en profiter pour sillonner le monde et n’avoir comme seul tracas de décider ce que je mangerai à midi et où je dormirai demain.

Et si je regardais les prix des billets d’avion, comme ça, juste pour savoir, juste pour rêver, je m’installe devant mon écran et j’ouvre une fenêtre :

Paris — N’importe où.

Il est 9h00 et le doute s’installe, je ne suis plus sûre de rien

Qu’est-ce que je veux déjà ? J’ai déjà fait cet exercice milles fois, j’ai déjà validé et re-validé ma liste de priorités, et pourtant, j’ai comme du mal à canaliser ces pensées récalcitrantes qui me murmurent à l’oreille qu’il y a peut-être mieux ailleurs, une meilleure solution, une autre option. Qu’est-ce que je veux au juste ? Cette question me terrorise, il ne faut surtout pas la laisser émerger des méandres de mon esprit où j’essaye de la retenir à grand renfort de respirations profondes. Ça risquerait de faire tout exploser ! Je suis obsédée par cette question et je me liquéfie quand on me balance quelque chose du genre « tu peux faire ce que tu veux ».

Mais qu’est-ce que je veux ? Je veux tout et son contraire, et encore plus !

Je veux vivre à l’étranger, en Angleterre, en Italie, en Argentine, en Australie et je veux aussi vivre près de ma famille et de mes amis, je veux créer une entreprise, travailler en réseau, rencontrer du monde et avoir l’impression de compter, de faire bouger les choses, d’améliorer les conditions de vie de mes congénères, et en même temps, je veux faire le tour du monde (encore), passer mes journées à lire sur la plage et assise au fond d’un fauteuil en rotin qui se balance sur la terrasse d’une casa particular dans la jungle de Cuba, je veux devenir professeur de yoga, écrire un livre, avoir des enfants et une maison de campagne, je veux ouvrir un café avec ma meilleure amie et un bar à vin avec mon mari. Tellement d’envies et si peu de temps. Finalement, je courre après le temps tout le temps. D’ailleurs quelle heure est-il ?

Il est 10h00 et il serait temps que j’arrête de tout reporter à plus tard

J’ouvre mon carnet de notes où je recense jour après jour ma to-do list. Il s’agit de toutes ces choses que je devrais faire pour mener mon fameux projet à bien. Cette liste est interminable et c’est un euphémisme.

C’est comme si j’avais la mission de lancer une navette spatiale en orbite et que le top départ était prévu pour demain.

En parallèle de ce planning élaboré, je note également toutes ces choses qu’il serait vital de faire quotidiennement pour :

entretenir mon corps : sport, yoga, méditation, 30 minutes de marche par jour et si je pouvais caser une séance de gainage par-ci par-là ce serait pas du luxe.

mettre en place des habitudes saines et écologiques sur le long terme : manger plus de fruits et de légumes bios (mince, le Naturalia le plus proche est à 20 minutes de marche de chez moi, on peut peut-être se faire livrer ?), devenir minimaliste et réduire les emballages plastiques ainsi que les produits de beautés remplis de produits chimiques à base de pétrole, sans oublier de pratiquer mes exercices de gratitude (qu’est-ce que j’ai fait de bien pour moi aujourd’hui et le monde, il a fait quoi ? Par exemple, j’ai adoré voir la couleur verte émeraude de la feuille de cet arbre ce matin dans la rue, ouf, ça c’est fait, merci, donc).

avoir une vie sociale active et épanouissante : voir mes amis, m’en faire des nouveaux, entretenir mon réseau, appeler maman et répondre aux messages de mon père, honorer mes engagements et trouver des bon-plans, bar à vin bio et hangars reconvertis en boîtes électros, répondre aux invitations sur facebook, participer aux cagnottes d’anniversaire et se rappeler de le souhaiter, il doit bien exister une application qui s’occupe de ça pour toi, vraiment, je ne suis pas douée avec les dates, mais je peux te dire ton horoscope.

se réserver des soirées de quality time avec mon mec : parler des factures et de la liste de courses, il n’y a plus de papier toilette et est-ce que tu as payé les impôts, c’est incontournable et c’est pas le plus agréable, forcément ça fait moins rêver que le temps où on était étudiants et où il n’y avait rien d’autre à faire que vivre d’amour et d’eau fraîche, oui c’est possible, et d’un peu de pâtes aussi, testé et approuvé. Mais après on habite ensemble, on travaille chacun de son côté, on rentre épuisé, ça se complique, ça devient plus complexe, et, du coup, pour compenser, il faut se réserver du temps de qualité, soirée indienne, curry, gingembre, weekend au vert, feu de cheminée et vin à volonté, stage de méditation, projets en commun, entretenir la flamme et refaire la déco de l’appartement, ça prend du temps, sans parler du reste, je n’oublie pas d’ajouter une tâche intitulée « aubergine » à la longue liste qui me semble interminable, récurrence ? … je pars me refaire un café.

ne pas oublier de se cultiver : cinéma, théâtre, opéra, concerts, lectures, je n’ai plus de crédit sur amazon et pourtant il y a ce livre sur les chakras dont je ne peux pas me passer, je sais c’est mal et ça tue le commerce de proximité mais en attendant mon agenda est plein a craquer et il me reste à peine assez de temps pour respirer. Promis c’est la dernière fois mais je dois absolument me le procurer, promis, toujours, je le lirai dès son arrivée et je m’engage à ne pas le poser sur la pile de bouquins qui menace sérieusement de s’écrouler et dont les titres vont de « l’art de rêver » à « la méditation pour les nuls » en passant par « vivre avec soi ».

Il est 11h00 et je ne sais plus par où commencer

Je suis paralysée, je n’ai plus aucune idée de ce que je veux, de ce que je devrais faire, j’ai le cœur qui bat à tout rompre après avoir englouti une quantité astronomique de caféine, j’ai l’impression de dérailler, la journée avait pourtant si bien commencé. Et si j’étais totalement inadaptée ?

Tout est devenu noir et gris foncé, je regarde par la fenêtre, le ciel est rempli de nuage, la grisaille a envahi la ville lumière en même temps qu’un voile de morosité a recouvert mes yeux et ne laisse plus passer les rayons du soleil.

J’angoisse, j’ai des bouffées de chaleur, j’ai du mal à respirer, c’est comme si je perdais pieds. Je suis plantée devant l’écran de mon PC avec l’impression de ne rien savoir faire de vraiment remarquable, j’ouvre une nouvelle fenêtre avec l’intention de me mettre à chercher un emploi. Pourquoi tout le monde y arrive sauf moi. Qui suis-je, où vais-je et à quoi ça rime tout ça. Non, non, reprends-toi, ressers-toi un morceau de chocolat, je me pince l’avant-bras pour essayer de sortir de ce tourbillon de pensées qui m’aspirent dans les profondeurs d’un trou noir et béant, au fond, il n’y a rien. Tout va bien. Je fais la liste mentale de mes qualités, des personnes que j’aime et qui sont là pour moi, je sors ma liste de gratitude : les feuilles des arbres, comme j’adore leur couleur et c’est vrai que ça manque de plantes dans mon appartement.

Il est 12h00 et je suis épuisée, mes espoirs se sont évaporés et toute mon énergie m’a quittée

J’ai l’impression d’être balancée depuis 4 heures d’un côté à l’autre d’un navire voguant en pleine tempête au milieu d’une mer déchaînée et que j’ai bien l’impression que je vais voltiger par-dessus bord à la prochaine secousse. J’ai essayé de maintenir le cap tant bien que mal mais mon projet de vie idéale, que je touchais du doigt pas plus tard que ce matin, me semble désormais un mirage, comme une planète habitable dans une autre galaxie. Je me sens démunie et impuissante. J’ai la nausée, l’estomac et la tête complètement retournés. La seule chose que j’ai encore envie de faire c’est manger. J’ouvre Whatsapp à la recherche de quelqu’un disposé à sortir déjeuner.

Au moins, je pourrai mettre une petite croix dans la case « vie sociale » de ma longue liste de tâches, et c’est déjà ça.

J’appuie sur l’icône « éteindre » de mon ordinateur et je fantasme à l’idée qu’une telle chose puisse exister qui éteindrait le flux constant de mes pensées.

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Céline De Leo

Inspirations et outils pour trouver ce qui te fait vibrer et libérer ta créativité ! Objectif : mieux te connaître et apprivoiser ton esprit agité et stressé