“Qu’est-ce qui ne va pas avec la frégate “Shtandart” ?

Victoria Nikolenko
4 min readDec 17, 2022

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« « Shtandart » frégate de la discorde », c’est le titre de l’article paru dans le journal « Sud Ouest ». La communauté ukrainienne y est mentionnée à plusieurs reprises, ainsi que la manifestation à venir, au moment de la publication. En tant qu’Ukrainienne et participante de la manifestation, je me permettrai de répondre.

Tout d’abord, une petite précision qui concerne l’introduction : non, ce n’est pas au sein « d’une partie de la communauté ukrainienne » que la présence de ce navire provoque l’émoi. Ou bien, puisqu’il s’agit « d’une partie » de la communauté ukrainienne, il faut préciser que cette partie est assez importante. La preuve en est que plus de trente associations ukrainiennes en France ont signé la lettre adressée à la Première ministre Élisabeth Borne, cette lettre ayant pour objet de demander l’application effective du cinquième volet de sanctions européennes. La position des Ukrainiens est donc unanime concernant la présence du navire russe dans les ports français.

Ensuite, « Shtandart » n’est pas un bateau-école, cela a été plusieurs fois écrit dans l’espace médiatique : les promenades ou les stages de quelques heures qu’il propose ne peuvent pas être considérés comme une formation professionnelle.

Il est vrai que « Shtandart » n’est pas un bateau de guerre, mais il est une réplique de la première frégate russe de la mer Baltique — la frégate qui, elle, a bel et bien été le bateau de guerre de l’Empire russe. D’ailleurs, le nom qu’il porte l’indique bien : en effet, le mot russe « Shtandart » (en russe Штандарт, fr. étendard) a deux significations :

1) le drapeau des unités de cavalerie (dans l’armée russe) ;
2) le drapeau d’un chef d’État.

Comme vous voyez, dans les deux cas, les connotations sémantiques sont évidentes.

Jenny Delrieux indique que le bateau n’appartient pas à l’État ni à un oligarque russe, mais à son capitaine Vladimir Martus. Mais en matière d’application des sanctions européennes, cela ne change rien, puisque les sanctions ne concernent pas les oligarques russes (elles ne sont pas nominatives), mais tous les bateaux russes immatriculés en Russie, y compris ceux qui auraient changé d’immatriculation après le 24/02/2022.

D’autant plus que le capitaine Martus n’est pas un opposant de Poutine, et sa position concernant la guerre russo-ukrainienne est assez distante, pour ne pas dire ambiguë. Notamment, sur son compte Facebook, il a mis en doute les témoignages des Ukrainiens qui subissent les tirs des missiles russes en écrivant : « Je donnerai mon avis personnel : il me semble que sur la photo [d’une femme ukrainienne blessée lors d’un bombardement, note de trad.] on voit le développement de la carrière de la même actrice. […] C’est nous qui créons les univers dans notre cerveau. Nous vivons dans ce que nous y laissons entrer. Je ne laisse pas cette guerre entrer dans mon univers. » (ma traduction, source: https://www.facebook.com/photo?fbid=5110290012323907&set=a.101088729910752, consulté le 17/12/2022). Oui, Vladimir Martus prétend que son père est Ukrainien, et sa mère est russe, mais il a la nationalité russe, son navire est immatriculé en Russie, et il arbore le pavillon et la flamme de guerre russes. À ce titre, il est concerné par le cinquième volet des sanctions européennes.

Enfin, « développer l’amitié entre les peuples » russes et ukrainiens n’est pas d’actualité, tant que les missiles russes continuent de tuer des civils Ukrainiens tous les jours. Je le dis en tant qu’Ukrainienne, et c’est aussi la position de la plupart de mes compatriotes. Insister sur l’« amitié », les « négociations », la « coopération » et la « compréhension mutuelle » est inacceptable tant que l’agresseur — la russie — n’a pas abandonné ces projets colonialistes et n’a pas fait le travail nécessaire sur son passé. Je comprends que tout le monde veut que ça se termine le plus vite possible. Croyez-moi, c’est aussi le désir de tous les Ukrainiens. Mais il faut comprendre qu’il est inacceptable de mettre au même niveau la victime et l’agresseur, tant que les innocents meurent sous les bombes russes tous les jours. C’est une insulte à la mémoire de ceux qui ont été torturé à mort et qui ont été tué par la soldatesque russe, et c’est une blessure de plus pour ceux qui ont perdu leurs proches dans cette guerre. Ce n’est pas encore le moment. Vraiment.

Non, nous ne sommes pas « tous dans le même bateau ». Le bateau « Ukraine » prend le large pour se diriger vers la Liberté et la Lumière, alors que les navires de guerre russes, qu’ils soient en service actuellement ou répliques des anciens navires de guerre de l’empire russe, essaient de le prendre à l’abordage, pour l’entraîner en arrière, dans l’obscurantisme et l’esclavage.

Pour conclure, je me permets de revenir au titre de l’article: non, « Shtandart » n’est pas une « frégate de la discorde ». La position de la très grande majorité des Ukrainiens est unanime : le navire russe n’est pas le bienvenu dans les ports européens, tout comme la position du Parlement européen est sans ambiguïté : le 23 novembre 2022, il a déclaré la russie être un État soutenant le terrorisme. C’est à ce titre que les sanctions doivent être appliquées — et c’était la seule exigence des Ukrainiens et des Français qui ont manifesté le 11 décembre.

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Victoria Nikolenko

Docteure en sciences du langage (PhD). Language teacher and language learner. Українка за народженням, європейка за світоглядом. Savoir c’est être libre.