Carnavals, églises, salles de sports, bars, chorales, marchés, fêtes familiales : anthologie des événements super-propagateurs

Vincent Glad
22 min readMay 26, 2020

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Les bar après-ski d’Ischgl, le cocktail parfait pour le Covid-19 : espaces clos, forte densité de personnes, chants, cris et alcool.

C’était le bon vieux temps des événements super-propagateurs. En février et début mars, l’Europe vivait dans une insouciante liberté, encore étrangère à tout concept de distanciation sociale. La saison des carnavals battait son plein, l’alcool coulait à flot dans les bars d’après-ski autrichiens, les rassemblements religieux brassaient les populations, les huitièmes de finale de la Champion’s League électrisaient l’Europe.

Tous ces événements ont attisé le feu d’une épidémie déjà présente à bas bruit. Le Covid-19 semble nécessiter un ensemencement antérieur (des personnes infectées dispersées sur un territoire donné) et un événement super-propagateur avant d’exploser et de devenir incontrôlable. Dans plusieurs pays fortement touchés par l’épidémie, ce ne sont pas les grandes métropoles qui reçoivent le monde entier dans leurs aéroports (Paris, Rome, Francfort, Séoul, Téhéran) qui ont connu une explosion en premier mais des villes de plus faible importance où a eu lieu un événement qui a tout fait basculer (Mulhouse, Bergame, Gangelt, Daegu, Qom), notent des chercheurs américains dans un article sur les événements super-propagateurs.

L’importance décisive de ces événements dans la propagation de la maladie est une prise de conscience relativement récente. Contrairement à ce que l’on pensait au départ, le virus ne se répand pas de manière uniforme comme une épidémie de grippe : on estime qu’entre 10 et 20% des personnes infectées sont responsables de 80% des transmissions. Cela veut dire que le virus est relativement peu contagieux en conditions normales (la majorité des personnes infectées ne contaminent personne) mais qu’il devient redoutable dans des conditions bien précises, générant des événements super-propagateurs.

Il se pourrait que ce soit une excellente nouvelle car cela rend l’épidémie plus simple à maîtriser. Le virologue allemand Christian Drosten estime qu’en raison de ces chiffres, des interventions légères à l’échelle de la population sont susceptibles d’avoir un effet très important sur la propagation du SRAS-2. Il n’est pas forcément nécessaire de briser toutes les chaînes de contamination car la plupart vont disparaître d’elles-mêmes. En revanche, les mesures permettant d’éviter la formation d’événements super-propagateurs (interdiction des grands rassemblements, port du masque en espace clos et activités en extérieur) permettent de réduire significativement la circulation du virus.

Source: Kucharski et al.

Plutôt que de «flatten the curve» (aplatir la courbe), en période de déconfinement, il est sans doute plus judicieux de «cut the tail» (couper la queue). La queue en question, c’est la longue traîne des événements super-propagateurs. Le graphique ci-contre représente une possible répartition des contaminations du Covid-19 (dans un scénario 10% des malades génèrent 80% des infections) : la majorité des infectés ne contaminent personne (la grande barre à droite), en revanche une portion significative des infectés contamine un grand nombre de personnes. C’est ici qu’il faut agir.

L’étude des événements super-propagateurs de la première vague est capitale pour éviter l’irruption d’une seconde vague. Pour ce faire, j’ai tenté de lister les lieux et configurations qui reviennent le plus souvent dans les clusters recensés dans le monde entier. Ce travail ne peut bien sûr prétendre à l’exhaustivité (je renverrais pour cela à cet Excel de 150 clusters mis à jour par une équipe chercheurs). J’ai recensé les événements les plus significatifs en nombre de contaminations ainsi que des événements de moindre importance mais mieux documentés. Pour tenter de déterminer l’impact de ces événements, je me suis fondé sur des études épidémiologiques, des stats officielles ou des articles de presse (des sources nettement moins fiables, il faut bien le reconnaître). J’ai essayé dans la mesure du possible de trouver des photos qui illustrent l’événement pour bien comprendre la configuration des lieux et le degré de proximité entre les personnes.

Bars, boîtes de nuit, salles de fêtes, salles de sport, églises, restaurants, salles de conférences, marchés alimentaires, ce sont toujours les mêmes lieux confinés qui reviennent. Il va falloir s’y résoudre, en ces lieux clos, la chaleur humaine est la meilleure amie du Covid-19. Boire, chanter, prier, crier, suer, s’enlacer, tous ces gestes favorisent la transmission du virus. La virologue Muge Cevik propose de prendre en compte 4 facteurs pour déterminer le risque d’un événement : la densité de personnes, l’environnement, l’activité et le temps passé ensemble. «Un lieu intérieur bondé, mal ventilé, rempli de gens qui parlent, crient ou chantent pendant des heures est ainsi le scénario le plus risqué.»

Plusieurs lieux clos sont singulièrement absents de cette liste, même s’ils ne sont de toute évidence pas sans risque. Jusqu’à présent, on ne relève qu’un seul et unique cluster (de faible ampleur) dans un avion, ce qui s’explique vraisemblablement par le renouvellement et la filtration de l’air dans la cabine. Aucun foyer épidémique n’a non plus été signalé dans un cinéma ou une salle de théâtre. Ce qui laisserait à penser que les activités statiques et silencieuses comportent en général moins de risques que les fêtes, les prières, les chants et toute autre activité génératrice de postillons et de contact physique.

Carnavals/fêtes traditionnelles

Un carnaval dans une salle des fêtes en Allemagne : 1.400 contaminations liées

Un Kappensitzung en 2018 dans une autre ville rhénane.

En Allemagne, on appelle ça un Kappensitzung. C’est une soirée festive en intérieur ayant lieu en marge du carnaval dans les villes rhénanes. Le 15 février, 350 habitants de Gangelt, petite ville de 12.000 habitants, honorent cette tradition colorée, buvant, chantant et dansant joyeusement. Personne ne se doute alors que le virus circule. L’effet est immédiat: 15% des habitants de la ville seront infectés et Gangelt deviendra le “Wuhan allemand”, selon l’expression des médias locaux. Les participants à ce carnaval ont été plus sévèrement malades que les autres habitants infectés de Gangelt, notent des chercheurs allemands, ce qui laisse à penser que les événements super-propagateurs, où la charge virale est plus forte, génèrent des formes plus sévères du Covid-19.

Fêtes de la bière forte en Bavière

La Starkbierfest de Rosenheim le 7 mars 2020.

Début mars en Bavière, c’est la saison de la bière forte. Et des incontournables Starkbierfeste. Alors que les premiers cas de Covid-19 commencent à pleuvoir en Allemagne, les autorités bavaroises décident de maintenir les festivités prévues cette année. Le journal Spiegel a publié une enquête montrant que les districts qui avaient organisé une Starkbierfest étaient bien davantage touchés que les autres. Ainsi le district de Rosenheim (photo) est le 4e plus impacté d’Allemagne (sur 401). Cinq jours après la fête de la bière, soit le temps d’incubation de la maladie, le nombre de cas dans la ville a soudainement triplé. Le district le plus impacté d’Allemagne (en nombre de cas/habitants) est celui de Tirschenreuth, où s’est aussi déroulée une Starkbierfeste le 7 mars.

Un carnaval aux Pays-Bas

Le carnaval de Tilburg en 2018.

Le temps est exécrable cette année pour le carnaval de Tilburg, une institution aux Pays-Bas. Mais qu’importe, les rues de la ville hollandaise sont noires de monde du 21 au 25 février. Comme de tradition, l’alcool coule à flot dans les bars. Le coronavirus paraît encore lointain mais le pays va découvrir son “patient zéro” quelques jours plus tard. Revenu d’un voyage en Italie, cet homme de 58 ans est passé avec sa famille au carnaval de Tilburg. Le carnaval s’est avéré être un catalyseur majeur dans la propagation du virus, estiment les autorités sanitaires. Plus que les défilés en plein air, les soupçons se portent plus particulièrement sur les soirées dans les bars.

Les fêtes du Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans

Les rues de la Nouvelles-Orléans pendant le carnaval 2020.

“Les chances qu’on reçoive quelqu’un avec le coronavirus sont très faibles”, assure une douzaine de jours avant l’événement une responsable sanitaire de La Nouvelle-Orléans. Hors de question d’annuler cette institution qu’est la parade de Mardi Gras, qui attire chaque année un million de touristes du monde entier. Grave erreur : quelques semaines plus tard, La Nouvelle-Orléans est frappé très fortement par le Covid-19. Mardi Gras a été “le parfait incubateur au parfait moment”, commente l’infectiologue Brobson Lutz. Fin février, la saison des carnavals, le moment où l’épidémie est devenu hors de contrôle dans de nombreuses régions.

Bars/boîtes de nuit

Une station de ski en Autriche : 11.000 contaminations

Une soirée au Kitzloch en 2016.

De nombreux Français hurlent à l’évocation de l’anglicisme “cluster”. En Allemagne, la question est réglée, nul besoin de recourir à l’anglais, on appelle ça tout simplement un “Ischgl”. Ischgl, du nom de cette station de ski autrichienne dont sont revenus de nombreux jeunes Allemands malades début mars. D’après Le Monde, Ischgl est tenu responsable de la contamination de 9.000 Allemands, 1.000 Autrichiens, 1.000 Scandinaves, et de centaines de Belges et de Néerlandais. Le foyer épidémique a été identifié : il s’agit du bar Kitzloch, où les skieurs viennent faire la fête et jouer au beer-pong après un passage sur les pistes. Alcool, promiscuité et espace confiné, le cocktail idéal pour le SARS-CoV2.

Six clubs en Corée du Sud : 95 contaminations directes et 111 indirectes

A lui tout seul, ce cluster a failli replonger la Corée du Sud dans l’épidémie. Le 2 mai, un jeune homme pré-symptomatique écume des clubs du quartier de la fête de Séoul, Itaewon. Au prix d’un dépistage massif de 83.000 personnes , les autorités coréennes réussiront à circonscrire le foyer épidémique. Une enquête de contact tracing rendue très délicate par l’homophobie d’une partie de la société coréenne, alors que 5 de ces clubs sont fréquentés par une clientèle gay : aller se faire tester, c’était aussi d’une certaine manière se faire outer.

Trois clubs de Berlin : 62 personnes contaminées

Une soirée en 2016 au Trompete.

Rassemblant en espace confiné des fêtards venus de toute l’Europe, les clubs de Berlin sont des foyers épidémiques parfaits. Trois d’entre eux ont été touchés par la vague du coronavirus : le Trompete (50 personnes contaminées), The Reed (9 personnes) et le Kater Blau (au moins 3 personnes). Le bilan aurait néanmoins pu être beaucoup plus lourd alors que les clubs berlinois sont restés ouverts jusqu’au 12 mars.

Quartiers festifs au Japon : une cinquantaine de contaminations

Un bar à karaoké à Tokyo dans le film Lost in Translation.

Fin mars, alors que le Japon n’est pas encore entré en Etat d’urgence, la gouverneure de Tokyo prie les habitants d’arrêter prestement de se rendre dans les karaokés, les bars et les boîtes de nuit des quartiers festifs. 38 contaminations récentes y semblent liées, explique-t-elle, soit un tiers des cas recensés alors dans la ville. Quelques jours plus tard, un cluster dans une boîte de nuit sera associé à 18 contaminations.

Un bar festif en Floride : 16 amies contaminées

Une soirée au Lynch’s Irish Pub le 7 juin.

Erika et ses amies avaient parfaitement respecté le confinement pendant deux mois. Pour décompresser, elles se sont offert une petite sortie au Lynch’s Irish Pub, un bar festif bien connu au bord de la plage de Jacksonville. Personne ne portait de masques, les 16 amies ont été contaminées. «Je me sens bête. On n’a pas été prudentes, on est allées dans un lieu public et on n’aurait pas dû. On ne portait pas de masque», a déploré Erika dans la presse locale.

Salles de fitness/cours de danse

Cours de zumba en Corée du Sud : 112 contaminations liées

Un cours de zumba en Corée du Sud.

Allez savoir pourquoi mais la zumba est une activité très populaire en Corée du Sud. Les autorités ont rapidement fait le rapprochement entre cette danse énergétique et un foyer épidémique survenu dans la ville de Cheonan. Le 15 février, 27 profs de zumba s’entraînent ensemble pendant 4 longues heures alors qu’un d'eux est malade sans symptômes. Parmi eux, 8 seront contaminés. Le problème d’un prof de zumba est qu’il donne des cours de zumba : faiblement malades, les 8 professeurs vont faire cours pendant une semaine, générant 54 contaminations chez leurs élèves (sur un total de 217 élèves exposés). Les épidémiologistes coréens notent un risque de contamination accru lorsque les groupes sont nombreux et la salle petite. Ils soupçonnent que l’intensité de la danse zumba peut expliquer la création de ce cluster. Dans la même salle de fitness, un prof de pilates et de yoga n’a contaminé aucun de ses élèves.

Salles de sports en indoor

Un match de volley en Estonie : 542 contaminations liées

Un match de volley à Saaremaa.

A la suite d’un match de volley, la petite île de Saaremaa en Estonie est devenu “corona island”, placée en quarantaine et isolée du reste du continent. Le 4 et 5 mars, l’équipe locale reçoit les Italiens du Power Volley Milano pour deux matchs aller-retour de Coupe d’Europe, exceptionnellement organisés dans le même lieu dû fait de l’épidémie de Covid-19 qui fait alors rage en Italie. Avant le déplacement en Estonie, les joueurs italiens sont supposément testés mais cela ne suffira pas, le virus débarque sur l’île de Saaremaa. L’entraîneur estonien, l’arbitre de la rencontre ainsi que des spectateurs sont contaminés. Le foyer épidémique sera attisé par une fête traditionnelle du champagne, le Bubble festival, organisée deux jours plus tard. L’île déplore un total de 26 morts et 542 contaminations (pour 33.000 habitants). Le Parisien a publié un article très complet sur cette histoire.

Une salle de boxe en Thaïlande : 50 contaminations

Le Lumpinee Stadium de Bangkok le 6 mars.

Le 6 mars, en dépit des recommandations du ministère des Sports, un tournoi de boxe thaï est organisé dans le mythique stade Lumpinee de Bangkok, tenu par l'armée royale. Avec 5000 personnes venues de tous les pays, la salle est bondée est ce soir-là. Une cinquantaine de contaminations auraient eu lieu ce soir-là, dont une star de la télévision, des politiques et des pontes de l’armée.

Un match de basket universitaire aux Etats-Unis : une cinquantaine de personnes infectées, 3 morts

Dans les événements sportifs, il est bien rare d’avoir une idée précise du lieu où les personnes ont été contaminées. Pour ce match de basket universitaire le 10 mars dans le Vermont, un média local, VT Digger, a fait le travail et a produit ce schéma détaillé de la salle. En jaune, les personnes infectées lors du match. 3 d’entre elles décéderont par la suite. Le fait que les contaminations soient concentrées dans les mêmes tribunes laisse imaginer une transmission aérosol, avec du virus flottant dans l’air.

Un tournoi de curling entre médecins au Canada : 40 contaminations

Un tournoi de curling au Granite Club d’Edmonton.

Comme tous les ans, le Granite Club d’Edmonton accueille un tournoi de curling entre médecins — et ce n’est pas une gripette venue de Chine qui va remettre en cause cette tradition. Du 11 au 14 mars, le tournoi a donc lieu dans des conditions normales. 40 personnes parmi les 73 présents seront contaminées, vraisemblablement par un médecin qui revenait de Las Vegas. «Les médecins ne sont pas invincibles», écrira, désolé, un des participants.

Matchs de football

Liverpool — Atletico Madrid : 41 décès potentiels

Les fans de l’Atletico Madrid avant le match à Liverpool, le 9 mars.

41 morts générés par un simple match de foot: le chiffre a choqué l’Angleterre, évoquant immanquablement les 39 morts du stade du Heysel en 1985. Ce chiffre est à prendre avec des pincettes: il s’agit d’une estimation de la surmortalité dans les hôpitaux de Liverpool deux à trois semaines après ce huitièmes de finale de la Ligue des Champions le 11 mars. Cependant, faute d’investigation épidémiologique plus poussée, le lien direct avec le match reste à établir. Il faudrait notamment comprendre si les 3.000 supporters espagnols se sont mélangés avec leurs homologues anglais et si les contaminations ont eu lieu dans le stade ou dans les bars avant et après match. Par ailleurs, ce chiffre est très incomplet puisqu’il ne mesure que les décès à Liverpool, ne prenant pas en compte ceux qui auraient pu avoir lieu en Espagne.

Atalanta Bergame — Valence

40.000 supporters de Bergame étaient présents lors de ce match à Milan.

Cet autre huitième de finale de la Ligue des Champions joué le 19 février à Milan est devenu en Italie le “match zéro”, celui par qui tout a commencé. «Pourquoi Bergame est-elle si sévèrement touchée ?», s’est interrogé Walter Ricciardi, médecin italien à l’OMS. «Je pense que le match a joué un rôle important. Un tiers de la population de Bergame s’est amassée dans le stade pour y faire la fête. Ce n’est pas une coïncidence si Bergame est la ville la plus touchée.» L’Atalanta est un club modeste du championnat italien, qui a réalisé ce soir-là une de ses plus grandes performances historiques en battant Valence 4 à 1. L’immunologue Francesco Le Foche pense que les effusions de joie suite à cet exploit ont joué un grand rôle dans la diffusion du virus: «L’agrégation de milliers de personnes, à deux centimètres les unes des autres, en criant, en s’embrassant, a pu favoriser la propagation du virus. Il y a eu ce soir-là une grande expulsion de particules virales par la bouche ou par le nez». On ne connaît pas le nombre de personnes contaminées à cette occasion dans le stade ou dans les bars milanais. On sait en revanche qu’un mois plus tard, un tiers du personnel de l’équipe de Valence était infecté. Dans la province de Bergame (1 million d’habitants), 6.000 décès sont imputables au coronavirus. Des chercheurs de Berkeley estiment que 69% de la population a été infecté.

Lyon — Juventus Turin

S’il y a de forts soupçons, l’impact de ce match sur l’épidémie à Lyon reste à ce jour inconnu, faute d’étude épidémiologique. Le 26 février, l’OL reçoit la Juventus de Turin alors que l’épidémie vient d’exploser en Italie. Les autorités françaises décident de maintenir le match et de laisser venir dans le Rhône 3.000 supporters turinois. Alors que la polémique fait rage avant le match, la députée LREM Aurore Bergé assure qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter car les personnes symptomatiques sont priés de rester à la maison et qu«il n’y a pas de raison que les personnes soient moins raisonnables» en Italie. On mesure alors mal le rôle central des personnes pré-symptomatiques dans la transmission de la maladie. Dans un article, un médecin lyonnais a dénoncé le maintien de ce match, estimant qu’il avait produit les mêmes effets qu’en Italie, induisant une explosion des cas deux semaines plus tard dans le Rhône. La semaine du 23 mars, un mois après le match, le Rhône apparaît dans les départements avec la plus forte augmentation de mortalité en France.

Carte de la surmortalité en France la semaine du 23 mars.

Rassemblements religieux

Rassemblement évangélique à Mulhouse : un millier de contaminations

Photo prise pendant le rassemblement évangélique de Mulhouse en février.

Mulhouse est le modèle par excellence de l’événement super-propagateur. 2500 pèlerins massés du 17 au 24 février dans un grande salle pendant 5 jours. Des chants, des prières, des contacts physiques, beaucoup d’allégresse et un millier de personnes contaminées. Les fidèles propageront ensuite le virus dans toute la France: Bretagne, Corse, Guyane, Centre, Nouvelle-Aquitaine… Les autorités sanitaires mettront deux semaines avant de comprendre ce qu’il s’est passé. Beaucoup trop tard. Quelle aurait été la physionomie de l’épidémie française sans Mulhouse ? Une étude (jamais publiée) estime qu’il y aurait pu y avoir 4 fois moins d’hospitalisations en France sans cet événement. Une étude à paraître du CNRS estime que le Haut-Rhin aurait franchi le seuil épidémique dès le 27 janvier, soit deux semaines avant le rassemblement évangélique, qui aurait ainsi été le catalyseur d’une épidémie déjà présente. Il faut rappeler que les membres de cette congrégation évangélique ne sont en rien responsables de cette situation, dont ils sont les premières victimes. Mi-février, rien n’interdisait en effet d’organiser un grand événement en France — le Salon de l’Agriculture s’est ainsi tranquillement déroulé du 22 au 29 février.

Eglise évangélique en Corée du Sud : 5.000 contaminations liées

Une messe du mouvement Shincheonji.

Un seul cluster compte pour 48% des cas reportés en Corée du Sud : celui du mouvement évangéliste Shincheonji. Une femme malade de 61 ans avait assisté à un office religieux avec un millier de personnes, commençant à propager le virus au sein du mouvement. Le groupuscule, souvent qualifié de secte, avait refusé de collaborer avec les autorités au départ, laissant le virus se diffuser parmi ses membres.

Rassemblement d’une congrégation musulmane à New Delhi : 4.300 contaminations liées

Le 13 mars, plus de 9.000 membres du mouvement rigoriste Tablighi Jamaat, venus de toutes les régions d’Inde et de l’étranger, se réunissent dans une mosquée de New Delhi pour un rassemblement traditionnel. Quelques jours plus tard, des restrictions de circulations sont décrétées dans le pays. De nombreux fidèles restent à l’intérieur, laissant la maladie se propager. Tablighi Jamaat devient le plus gros foyer épidémique indien. Au 18 avril, les autorités indiennes dénombraient 4291 contaminations liées à ce cluster, soit le tiers du nombre de cas dans le pays.

Pèlerinage musulman en Malaisie : 3.350 contaminations liées
Le virus a débarqué en Malaisie à l’occasion d’un pèlerinage musulman du même mouvement Tablighi Jamaat fin février, où 16.000 personnes, dont 1.500 étrangers, ont prié ensemble, épaule contre épaule. Ce cluster compte aujourd’hui pour près de la moitié des cas du pays.

Prières clandestines dans une église aux Etats-Unis : 71 contaminations
Alors que le confinement avait commencé en Californie, des membres d’une église pentecôtiste du comté de Sacramento se retrouvent pour prier discrètement courant mars. Résultat : au moins 71 malades. On ne sait pas exactement dans quelle configuration ils se sont vus. «Les regroupements, même de 10 ou 12 personnes dans une maison, peuvent être un moyen de propager rapidement la maladie», ont précisé les autorités locales.

Chorales

Une chorale dans une église aux Etats-Unis : 52 contaminations

2h30 de répétitions dans une église, une personne symptomatique, 87% des chanteurs contaminés : cette chorale de l’Etat de Washington est devenu un cas d’école du Covid-19. Le 10 mars, alors que la pandémie mondiale s’annonce, les choristes font bien attention à éviter les contacts physiques. Mais ils sont trop proches les uns des autres, avec des chaises espacées d’une vingtaine de centimètres. D’après le CDC qui a publié une étude sur ce cluster, «l’acte de chanter lui-même pourrait avoir contribué à la transmission du SARS-CoV-2». Une étude publiée en 2019 avait montré que plus on parle fort, plus on émet de particules aérosolisées.

Un chœur aux Pays-Bas : 102 contaminations

Répétitions du Amsterdams Gemengd Koor en 2018.

Le 8 mars, dans la magnifique salle du Concertgebouw, un chœur d’Amsterdam interprète une Passion de Bach devant un millier de personnes. Sur les 130 choristes, 102 personnes ont été contaminées. En revanche, aucun membre du public ne ressentira de symptômes. Les contaminations ont plus probablement eu lieu lors de deux répétitions, le 3 et le 7 mars. Lors de la dernière, à la veille du concert, une quinzaine de choristes était déjà malade.

Une chorale à Berlin : 60 contaminations

Reconstitution par la télé allemande. Les chaises sont placées au même endroit que lors de la répétition du 9 mars. La femme infectée était assise au fond, à l’endroit où se trouve la personne dans ce reportage.

Le 9 mars, 80 chanteurs se réunissent pour une répétition dans une salle de 120 m² d’une cathédrale de Berlin. Une membre de la chorale revient du Tyrol, elle n’a à ce moment aucun symptôme mais elle va en contaminer 59 autres pendant cette séance de deux heures et demi. Ce cluster est devenu un cas d’école pour les autorités allemandes, qui étudient une probable contamination aérosol.

Marchés couverts

Un marché aux fruits de mer à Wuhan

Longtemps considéré comme le lieu où le virus serait passé de l’un animal à l’homme, le marché aux fruits de mer de Wuhan semble plutôt avoir été le premier cluster, le détonateur de l’épidémie. D’après une étude phylogénétique chinoise publiée dans Nature, le patient zéro remonterait à novembre 2019. Ce n’est qu’à partir de début décembre que l’épidémie aurait éclaté au marché aux fruits de mer, profitant d’un terrain favorable. «La densité élevée de stands, de vendeurs et de clients a pu faciliter la transmission d’homme à homme», écrivent les chercheurs.

Un marché de fruits et légumes en Inde : 2.500 contaminations liées

Le marché de Koyambedu à Chennai, un des plus grands d’Asie, est devenu récemment le foyer épidémique le plus préoccupant d’Inde avec plus de 2.500 contaminations liées. C’est un cas bien particulier puisque ce cluster a éclaté pendant le confinement début mai. La situation a semble-t-il explosé à la fin avril quand le gouvernement local a annoncé un confinement plus strict dans les prochains jours. Les habitants se sont rués au marché pour faire des provisions et la distanciation physique, jusque-là plutôt respectée, a volé en éclat (voir vidéo). Une dizaine de jours plus tard, les autorités fermaient le marché.

Un marché au Pérou : 141 vendeurs contaminés

Le Mercado Modelo à Lima.

En Amérique Latine, les marchés sont devenus un des principaux vecteurs de l’épidémie. Les autorités péruviennes ont lancé des tests massifs dans plusieurs marchés couverts de Lima. Les résultats sont éloquents : 86% des vendeurs contaminés au Mercado Modelo (soit 141 personnes) et 80% des vendeurs au Gran Mercado Mayorista (soit 157 personnes). On retrouve des clusters similaires dans des marchés couverts au Brésil, en Colombie et au Mexique, attisés par la promiscuité dans ces lieux.

Un marché de gros à Pékin : 106 contaminations liées

Le marché de Xinfadi, le 31 janvier dernier.

La maire de Pékin a qualifié la situation d’«extrêmement grave». Dans une ville qui n’avait plus connu de transmission communautaire depuis 55 jours, la découverte de ce cluster à grande échelle dans le marché de Xinfadi, un des plus grands d’Asie, est jugée très préoccupante. Depuis le 30 mai, 200.000 personnes ont visité ce marché, ce qui pousse les autorités chinoise à effectuer un immense travail de contact tracing et de dépistage.

Mariages et enterrements

Un mariage en Jordanie : 76 personnes contaminées

Le 13 mars, le Covid-19 paraît encore lointain pour la Jordanie qui n’a qu’un seul cas à déplorer. C’est un mariage à Irbid qui va installer le virus dans le pays. Environ 350 personnes participent à une cérémonie durant deux heures dans une salle des fêtes. Le père de la mariée revient d’Espagne, amenant le virus dans ses bagages, 76 personnes seront contaminées. En Jordanie, notent des chercheurs locaux, les parents des mariés se tiennent généralement à l’entrée de la salle de cérémonie pour recevoir les félicitations de tous les invités, avec de nombreuses embrassades et salutations physiques.

Un enterrement et une fête d’anniversaire aux Etats-Unis : 16 contaminations liées, 3 décès

C’est un cas parfaitement documenté par le CDC américain qui montre la vitesse avec laquelle le virus peut circuler en milieu familial, a fortiori à l’occasion de célébrations de groupe. En février à Chicago, un homme présentant des symptômes mineurs contamine 3 personnes à un enterrement, dont deux vraisemblablement lors d’un dîner la veille chez la famille du défunt. Toujours légèrement malade, l’homme se rend trois jours plus tard à un anniversaire familial avec 9 convives. Tout le monde s’embrasse et partage la nourriture, 7 personnes tomberont malades.

Un mariage en Nouvelle-Zélande : 98 contaminations liées

Le restaurant Bluff’s Oyster Cove à Invercargrill.

Le 21 mars, quatre jours avant que la Nouvelle-Zélande n’entre en confinement, les événements de moins de 100 personnes sont encore autorisés dans le pays. Après avoir hésiter à repousser son mariage, un couple du sud du pays décide finalement de maintenir la cérémonie. La réception a lieu dans un restaurant d’huitres avec une vue imprenable sur l’océan. Le patron de l’établissement se montre hésitant à accueillir l’événement, mais se laisse convaincre : avec 65 convives présents, le mariage respecte les règles alors en vigueur. On ne connaît pas le nombre de personnes directement contaminées lors du mariage mais avec 98 contaminations liées, le “Bluff wedding” est à ce jour le plus gros cluster de Nouvelle-Zélande.

Restaurants

Un restaurant en Chine : 9 contaminations

Ce croquis devenu célèbre est en quelque sorte le plan de table du SARS-CoV-2. Un virus qui s’embarrasse peu des règles de distanciation sociale en espace confiné : même à plus d’un mètre, il reste possible d’être infecté. Une femme de 63 ans, malade pré-symptomatique à la table du milieu, et ce sont 9 personnes qui seront contaminées pendant le repas, à sa table mais aussi aux deux tables attenantes. Aucun autre client n’a été contaminé, ce qui laisse penser que la climatisation (à droite) a pu jouer un rôle dans la dispersion des gouttelettes ou des aérosols. Dans ce restaurant de Canton, le taux de renouvellement d’air était significativement bas, 10 fois inférieur aux recommandations.

Call-centers

Un call-center en Corée du Sud : 97 contaminations

Le cauchemar de l’open-space. Des chercheurs coréen ont dénombré 97 contaminations en une semaine dans un call-center à Séoul fin février. A l’étage 11, ici représenté, 94 des 216 salariés ont été contaminés, essentiellement dans la même aile du bâtiment. De manière frappante, seuls 3 employés des autres étages l’ont été, malgré de nombreux contacts dans le hall ou dans l’ascenseur. «Ce qui indique que la durée de l’interaction (ou du contact) a probablement été le principal facteur de propagation du SRAS-CoV-2 », écrivent les chercheurs. Aller au bureau, c’est bien. Ne pas y rester trop longtemps, c’est mieux.

Call-center en Jamaïque : 52 contaminations

Alors qu’il y a finalement peu de clusters recensés dans des bureaux, les call-centers semblent, eux, particulièrement à risque. Explication possible : les travailleurs y parlent toute la journée, multipliant les possibles excrétions contaminées. En Jamaïque, pays relativement peu touché, le principal cluster, comptant pour un tiers des cas du pays, se trouve dans un centre d’appel de Portmore avec 52 contaminations.

Conférences professionnelles

Une conférence de dentistes au Canada : 87 contaminations liées

Edition 2020 de la Pacific Dental Conference.

Réunir 14.000 professionnels de la santé dentaire dans une salle des congrès début mars à Vancouver, ce n’était évidemment pas une riche idée. En se contentant de conseiller aux conférenciers de se laver les mains et de couvrir leur bouche en cas de toux, les organisateurs n’ont pu empêcher cet événement de devenir un des premiers clusters canadiens, avec 87 contaminations liées. Les conférences professionnelles sont particulièrement à risque car elles multiplient les échanges prolongés en face à face.

Un congrès d’entreprise à Boston : une centaine de contaminations liées

Biogen est une compagnie de biotechnologie et à ce titre pas la moins bien informée sur les questions de santé. Pourtant, en dépit des risques sanitaires, la conférence annuelle des cadres de l’entreprise organisée du 26 au 28 février n’a pas été annulée. Pendant 3 jours dans un grand hôtel de Boston, les 175 dirigeants venus de tout le pays et d’Europe (dont Italie) ont multiplié les échanges, les embrassades et les verres. Le 2 mars, plusieurs cadres contaminés participeront à un autre événement professionnel dans un hôtel de Boston. Une centaine de contaminations sont rattachées à ce cluster.

Une réunion de dermatologues en Allemagne : 11 contaminations

Ironie du sort : c’est encore dans une réunion de professionnels de santé qu’a éclaté ce cluster fin février dans un hôtel de Munich. 14 dermatologues réunis dans une pièce de 70 mètres carrés pendant deux jours. Au total, 9h30 de discussions, 4 repas pris en buffet dans la salle et un dîner au restaurant. Un des dermatologues, venu de Lombardie, était infecté mais asymptomatique. Il contaminera 11 de ses collègues venus de France, Espagne, Allemagne ou Pays-Bas.

NB : J’aurais pu aussi ajouter dans cet article les hôpitaux, les maisons de retraite, les paquebots, les foyers de travailleurs, les prisons et les abattoirs. Autant de lieux eux aussi très touchés par l’épidémie, mais déjà abondamment traités ailleurs.

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