Renaître Adulte, Libre et Responsable

Vincent Porte
6 min readNov 16, 2018

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Vendredi 09 novembre 2018

Le soleil brille. L’air est sec. Un peu frais après ces longs mois de chaleur. La matinée de travail a été productive. Amaury et moi partons déjeuner dans la vieille ville, place de la mairie. Nous parcourons les rues pavées, les vieilles pierres, l’histoire de la ville déroule sous nos yeux : la muraille romaine, les rues moyenâgeuses, la tranchée du XIXe.

Cette fois-ci, sans raison, nous allons dans un restaurant assez classique, réputé pour sa préparation de la viande. Nous nous installons en terrasse, le soleil réchauffe. Le serveur nous inonde de ‘alors les gars’. Surprenant. Je pense à mon frère.

Amaury et moi sommes associés dans une startup dédiée à l’Intelligence Artificielle et à l’automatisation des process longs et coûteux des entreprises. Nos premières discussions à ce sujet datent d’environ 2 années et demi. L’entreprise a un peu plus de 6 mois d’existence. Le business prend forme depuis la rentrée.

Nous avons une obsession, ne pas créer une entreprise avec des salariés qui exécutent ce qu’ordonne le papa-manager. Nous nous sommes inspirés d’entreprises libérées, The Morning Star Company en tête. Nous pensons que c’est la Mission, le“Why” que nous avons donné à l’entreprise”, qui doit diriger les actions de chacun. Et que chacun doit savoir (ou travailler à savoir) en quoi il/elle y contribue. Tu crées de la valeur, aligné avec la Mission de Neuralia.co, sois le.la bienvenu.e dans l’équipe. Tu n’en crées pas, parce que tu rêves d’autre chose, parce que tu penses ne pas avoir les compétences et que tu ne te bats pas pour les acquérir, pas de problème, restons en bon terme et suivons nos chemins séparément.

Passer de 2 cofondateurs à une équipe de 3, 5, 20 personnes représente notre plus gros challenge. Nous nous y essayons. Nous apprenons à embarquer une personne qui n’a pas participé à la construction de la Mission de Neuralia.co, qui n’a pas été entraîné.e à notre mode de travail. Nous mettons nos convictions à l’épreuve de la réalité. Nous en discutons une nouvelle fois sur la terrasse ensoleillée de ce restaurant.

Un trou noir, puis un flash

La conversation dévie sur nos histoires personnelles, celles qui nous ont forgées, qui font ce que nous sommes, qui racontent ce que nous croyons. Je ne pourrais plus vous dire à quel moment c’est apparu. Un trou noir, puis un flash : Mon dernier “souvenir magique d’enfant” remonte à l’été de mon CE1, lors d’un voyage en camping-car dans un pays nordique.

Souvenirs féeriques de fjords et de vikings

Mes derniers souvenirs d’enfant remontent à 1986. Les suivants sont ceux d’un monde d’adultes, sans avoir les clés pour le comprendre. Depuis ce temps, j’ai cherché des preuves d’amour et de reconnaissance, externe à moi. Auprès de n’importe qui pouvait m’en donner ou me donner l’illusion de m’en donner. Si cela vous est arrivé, vous savez que nous devenons enclin à tout accepter (ou presque), à ne pas oser dire non (ou presque), à disparaître à soi pour tenter de devenir ce que nous pensons que “les autres” voudraient que nous soyons… Nœuds émotionnels garantis !

Renaître à soi

Jusqu’en 2015, où je rédige un projet d’entreprise humaniste. L’entreprise avait une forme de coopérative avec au cœur, l’accompagnement d’anciens salariés-enfants-exécutant vers l’état d’adultes libres et responsables. Une dame m’explique qu’il n’y a pas de marché mais qu’elle souhaite que je rejoigne “sa direction”. Rien ne s’est bien passé, elle ne voulait pas d’adultes libres et responsables dans “ses équipes”. Rien ne s’est bien passé mais je ne la remercierai jamais assez de m’avoir aidé, contraint, forcé à finir de renaître à moi.

Renaître à soi. Sortir du formatage Bac-Mention-Prepa-Concours-Grande-Ecole-SSII-Grande-Entreprise. À quel moment, dans ce parcours, ai-je aidé une personne à renaître à elle, à devenir adulte libre et responsable ? À aucun moment, parce je n’avais pas conscience que c’était possible.

Une autre dame l’a fait pour moi. En 2012. Une personne dont le charisme vous transcende et vous donne des ailes. Une personne qui vous montre que non seulement The Morning Star Company existe, mais que le modèle pourrait être répliqué ici en France, dans des équipes éveillées à ce mode de fonctionnement. Une dame qui m’a aussi fait comprendre “que j’étais bien gentil, mais que ce serait bien que je commence à me prendre en charge maintenant”, moi l’enfant-manager formé à l’école des grandes entreprises. Je ne la remercierai jamais assez non plus, avec un surcroît de reconnaissance. Elle a fait son chemin, j’ai fait le mien, je me crâme les ailes, je quitte l’entreprise.

C’était pas si mal avant ?

Je quitte ? Pas vraiment, je pars avec un filet de sécurité, le droit de revenir dans l’entreprise si mon projet ne devait pas réussir. Certains appellent çà le congé création d’entreprise, j’appelle çà le “c’était pas si mal avant”, cette petite voix qui s’installe quand le business devient plus dur, qui te chante les congés, le CE, l’absence de risque, les extras qui te font oublier pourquoi tu trouves ton job naze.

Je presque-quitte, sans avoir encore appris à être adulte. Je cherche encore des indices de reconnaissance auprès de n’importe qui, donc de mes nouveaux clients. Désastre. Je perds mon temps à tenter de faire plaisir à des pas-encore-clients qui n’ont pas l’intention de le devenir. Je dis oui à tout, presque à n’importe quoi. Mon associé de l’époque, Arnaud, me ramène sur Terre régulièrement. Le marché sur lequel nous sommes lancés n’existe pas. Fin de l’histoire.

Au même moment, je rencontre Fabien, Amaury, Vincent, Marc et Élodie sur leurs propres chemins. Je découvre que 1|faire autrement est possible sans prendre un risque incroyable, 2| ta force vient d’abord du dedans de toi. Ça résonne avec The Morning Star Company. Je commence à me prendre en charge. Je commence à devenir adulte. Un peu de prestation dans une SSII et je revois les comportements de papa-manager avec leurs enfants-executant. Je quitte.

L’impossible retour en arrière

Je retourne dans la grande entreprise… j’avais le droit :D J’endosse le costume du gars qui n’a pas réussi. Je n’ai pas envie d’être là. J’entretiens une forme de distance tout en me droguant avec la petite voix du “c’était pas si mal avant”. Je lui avais donné raison, mais tout devenait insupportable. Je ne pouvais plus être enfant-executant, et j’avais refusé de redevenir papa-manager. Les accrocs se multipliaient, je jouais de mon indépendance. Je devenais l’ingérable, je serais devenu le syndicaliste si je n’avais pas conscience que je pouvais évoluer en dehors de la grande entreprise. Je quitte. Sans filet.

Je quitte avec un bonus, celui d’avoir eu le temps de me former aux techniques de Machine Learning et de Deep Learning, d’avoir eu le temps de valider le marché de notre entreprise. Fabien, Amaury, Vincent, Marc et Élodie m’avaient montré comment créer mon propre chemin, certains disent ‘hacker le système’.

Nous officialisons Neuralia.co en mai 2018. Les premiers prospects arrivent. Nous sommes très au clair sur nos offres, jusqu’à dire non à un client potentiel. C’est nouveau pour moi et j’en tire comme un forme de bien-être.

S’aimer soi-même, chaque jour

Pourtant, il reste au fond de mon âme comme un vieux poids. Quelque chose de ce besoin d’amour et de reconnaissance, externe à moi.

Jusqu’à ce vendredi 09 novembre. Jusqu’à ce flash. Mon dernier souvenir d’enfance. La mort de mes parents. Prise de conscience qui éclaire le reste. L’image devient nette. Depuis 1986, j’ai dû, contre tout, m’aimer moi-même, chaque jour, pour me construire [non, ce n’est pas de l’égoïsme]. Je l’ai fait sans le savoir, pour survivre. Parce que je ne savais pas qu’au dessus, quelque chose ne me laissait pas devenir Adulte Libre et Responsable.

Ce flash, c’est mon réveil, ma libération. La culpabilité de ne pas être “un bon garçon” qui s’envole. Ce que je cherchais n’est pas chez les autres, mais au dedans de moi. M’aimer moi-même sans avoir besoin de chercher un parent protecteur.

Devenir un Adulte Libre et Responsable

Sans amour de toi, authentique, impossible d’accueillir l’amour ou la colère de l’autre sans te sentir en danger.
Sans amour de toi, impossible de dire non à l’autre.
Sans amour de toi, impossible de donner.
Sans amour de toi, impossible de devenir un Adulte Libre et Responsable

Et toi, où en es-tu sur ton chemin ?

Photo by Tim Bogdanov on Unsplash

NB : Mes parents biologiques sont encore en vie, et je les remercie pour ce qu’ils m’ont transmis. Je les aime pour ce qu’ils sont et je sais au plus profond de moi, qu’ils ont toujours fait de leur mieux.

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Vincent Porte

Libérer toutes les entreprises de la gestion de leurs devis