Martin Dupont n’est pas n’importe qui

Monkey Gone To Heaven
4 min readNov 1, 2017

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Le single sorti par Christophe Schütz

« Le vrai tombeau des héros est le cœur des vivants. »

André Malraux/Oraisons Funèbres

Aujourd’hui, c’est la Toussaint, une fête triste, pendant laquelle il est encouragé de célébrer ceux qui ont disparu en allant se recueillir au cimetière, quelques chrysanthèmes à la main. Je pense à mon père, comme presque tous les jours depuis 2 ans. Son histoire me serait impossible à conter ici et je ne peux aller me recueillir pour des raisons indicibles dans un post de blog. Mais pour lui rendre hommage, je parlerai d’un groupe dont il a fait partie du destin. Ce groupe, c’est Martin Dupont, une formation géniale de Marseille appartenant au genre “minimal synth wave” qui a été samplée par Kanye West, Tricky et MadLib.

Leur fondateur, devenu un grand chirurgien (Alan Seghir) était un ami de mon père ) l’époque. Une connexion évidente me semble exister entre le métier de musicien et celui de médecin : on sauve des vies, au sens propre, ou au figuré. Je suis restée en contact épistolaire et affectif avec lui. Mon père, Christophe Schütz, avait dans les années 80 sorti leur premier single en 45T et a même chanté sur un de leur titre, “Japanese Child”. Une itw d’Alain venant de paraître sur Brain (magazine pour lequel j’ai écrit, comme si décidément tout était quasi mystiquement lié) rend hommage à Christophe, juste au moment de la Toussaint, ce qui rend encore les choses plus émotionnelles. Martin Dupont vient de faire l’objet d’une excellente compilation de reprises sortie en vinyl et CD. Et je vous recommande chaleureusement d’aller écouter cette musique à la fois cold, vibrante et folle pour laisser parler la musique à la place des mots.

Le dos du 45 t sorti par le mini label de mon père, Turquoise D, avec l’adresse de la villa dans laquelle j’ai grandi

Et pour ce qui est des mots, je le ne les trouverai pas aujourd’hui, alors je préfère publier une chronique sur le groupe que j’avais écrite pour un numéro trésors cachés de Tsugi, il y a 7 ans :

Martin Dupont
Just Because (Facteurs d’ambiance en 1984 — Réedité en 2009 par Infrastition)

Dans le sud de la France, déterminisme climatique oblige, on a toujours préféré les tongs et les shorts aux gabardines et aux blousons noirs. Le trio dark Martin Dupont en fera les frais et passera les années 80 dans un anonymat frisant le scandale. Dans l’indifférence médiatique la plus totale,
ces Taxi Girl marseillais ont pourtant été -malgré leur nom commun formé des patronymes des plus répandus- l’un des groupes les plus atypiques et faramineux de la scène minimale synth-wave des
années 80 au même titre que Polyphonic Size et Kas Product. Formés à Marseille en 1981 par Alain Seghir (devenu depuis chirurgien), Brigitte Balian, et Catherine Loy (remplacée par la suite par
Beverley Jane Crew), ils sortiront trois albums dont ce Just Because, adulé par quelques initiés et élevé au statut de culte par les quelques forums cold-wave encore vivant sur la toile. Minimale, synthétique, étrange, sombre et en même temps amusante -ils utilisaient notamment une clarinette),
la new-wave de Martin Dupont mêle voix masculine d’outre-tombe à des voix féminines alternant schizophréniquement entre les feulements gothiques et les cris punk cartoonesques. Ouvrant pour Siouxsie & the Banshees dans le Sud, les Martin Dupont avaient le charme vénéneux de la harpie
britannique, mais aussi l’humour et les rythmiques caoutchouteuses d’un Devo ou d’un Sparks. Textes absurdes, nappes robotiques, mélodies multipliant contorsions et contres-pieds, la musique de Martin Dupont sonne encore aujourd’hui -encore- d’une grande inventivité (on pense parfois aux
délires pop de Metronomy et Late Of the Pier). Introuvables jusqu’à l’an dernier, le petit label français Infrastition a édité un beau coffret (noir, bien sûr) regroupant les trois albums du groupe, ainsi qu’un un cd d’inédits enregistrés entre 81 et 87, accompagnés d’un t-shirt et d’un livret. On devrait décerner des médailles pour ce genre de choses.

Pour écouter le single sorti par mon père : https://www.youtube.com/watch?v=oOCgOCLKYSY

La voix de mon père chantant “Japanese Child” dont il a aussi écrit les paroles en s’inspirant d’un morceau de The Wake.

“Love is On my side” : mon titre préféré du groupe.

Article écrit en pensant à Marine, Léna, Suzanne et Sandra pour St-Christophe.

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Monkey Gone To Heaven

Billets d’humeur de Violaine Schütz, journaliste et auteure de livres basée à Paris. http://nightssout.blogspot.fr/