Un cypherpunk sur “No Crypto” de Nastasia Hadjadji

Julien Guitton
7 min readJun 1, 2023

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Le manifeste crypto-anarchiste commence par :
“Un spectre hante le monde moderne, le spectre du crypto-anarchisme.”
Ceci vous parait-il d’extrême droite ?
Les camarades ont facilement reconnu cette référence au manifeste du parti communiste.
Figurez-vous que les cypherpunks sont issus de ce courant de pensée, le crypto-anarchisme.

La communauté cryptomonétaire française a éclaté de rire à la publication du livre de Nastasia.
Les boutades sur le classement dans la case extrême-droite-réactionnaire-nauséabonde-des-heures-sombres-de-notre-histoire vont bon train.
Les communistes et les libertariens qui commercent entre eux avec des bitcoins, dans la paix la plus totale, dégustent, une fois de plus, leur traditionnel popcorn virtuel 🍿 en voyant le monde politico-médiatique se démener pour diaboliser Bitcoin.

Nastasia critique les soubassements idéologiques des cryptoactifs, loin de l’image cool et inclusive prônée.
Et c’est normal, elle est spécialisée dans l’économie du numérique et dans la critique des technologies.
Crypto colonialisme, inclusion prédatrice, ou encore « cheval de Troie pour la pensée identitaire » ; matrice politique réactionnaire, marketing et promesses d’inclusion, le Salvador, le FMI, tout y passe, tous les poncifs possible imaginable, c’est presque exhaustif. Le bitcoiner n’est même pas surpris.

Considérons cela comme un dialogue politique.

Dans Bitcoin il y a des gens d’extrême gauche, centre et droite.
Les bitcoiners sont très habitués à se parler librement, ouvertement et sans violence.
Alors, plutôt que de considérer le postulat de “No Crypto” comme désobligeant, considérons-le comme un avis, éclairé ou pas, à cette date, un argument de plus dans un dialogue.
Nous allons y répondre, incrémenter la culture de chaque partie.

M’est avis que, non, Bitcoin n’est pas d’extrême droite, n’est pas réactionnaire, n’est pas populiste. et par dessus le marché, il est plus inclusif que tout.
Bitcoin est un logiciel informatique. Par extension, il est un consensus humain, volontaire ; une hallucination collective choisie, comme la monnaie fiduciaire.
La manie élitiste de considérer la politique comme tout et fin alors que depuis la nuit des temps le tout est technologique est déroutant mais aussi désopilant.
Le popcorn, virtuel ou pas, n’existait pas à son époque, mais Gutenberg a du tout de même en avaler quelques kilogrammes en voyant les moines copier à la main les livres, tout en le traitant de déviant.

Bitcoin n’est pas la crypto et la crypto n’est pas Bitcoin.
Les idées qui soutiennent et encadrent Bitcoin sont spécifiques à Bitcoin parce que Bitcoin est unique et spécifique dans la crypto.
Bitcoin est une singularité, quelque chose qui n’arrive qu’une et une seule fois.
La crypto est la reprise conceptuelle de Bitcoin pour en faire des businesses. nous avons bien vu des enseignes mettre les poulets sur la blockchain.
La crypto est un domaine jonché d’investissements capitalistes plus ou moins foireux. c’est un capitalisme sans aucune régulation.
Les investisseurs qualifiés le savent, moins d’un projet sur dix abouti. les uns deviennent riches, les autres font des pertes et des fracas, à la FTX. j’en suis témoin et acteur.
Il faut le dire, oui, lecteur, le capitalisme de connivence est comme la grippe. Il n’y a pas de remède, juste un vaccin annuel pour le plus sensibles, mais il revient toujours, en force, s’adaptant comme un corona-virus. Il s’affaire dans les affaires, dans nos affaires, faisant les affaires des affairistes qui sortent toujours par le haut dans toutes le affaires avec une impunité toute gouvernementale.

Bitcoin se remarque, dans cet ensemble crypto, de par sa conception, ex nihilo, ex machina, anonyme jusqu’à son créateur, sans capital, sans dirigeant, produit par des moyens qui lui sont externes.
Bitcoin n’appartient à personne et pourtant tout le monde, sans distinction, peut l’utiliser. c’est le summum du service public et de la propriété privée, les communisme et capitalisme chimiquement purs et solvables.

Empêcher un individu de faire ce qu’il veut de son argent, c’est liberticide. il y aura toujours une forte réaction populaire à cela, in fine.
En France, il est très difficile de faire ce que l’on veut de son argent et de notre monnaie. Ce faisant, un gilet jaune sera éborgné, son avis sur les reformes mis à la retraite, sa cagnotte leetchi saccagée.
Les pauvres sont autorisés à tout dépenser dans les jeux d’argent, l’alcool et le tabac. (voire même le cannabis dans les coins reculés)
Les riches sont scrutés, qualifiés, orientés, régulés, scrupuleusement obligés de soutenir la politique économique du gouvernement.
Il n’y a alors pas vraiment de liberté économique et en conséquence nous avons les panama papers et des affaires en série dans le monde politico-mediatico-financier et un marché noir qui fait des morts dans les cités.

Bitcoin explose ce train-train où les pauvres sont exsangues, les moyens extorqués et les riches tricheurs.
Nastasia nous parle de ce monde là, en fait.
Remplacez Bitcoin par FMI dans son livre, et tout cela parait d’un coup évident.
Accuser Bitcoin des maux de la finance prédatrice mondiale, c’est contre-productif.
Bitcoin n’est pas le FMI, rien de ce qui se passe et va se passer avec Bitcoin n’a eu lieu avec le FMI.

Bitcoin est né de la puissance que les communications instantanées et chiffrées ont donné au consensus monétaire que l’on connaît depuis Aristote : moyen d’échange, unité de compte, réserve de valeur.
Satoshi Nakamoto a cependant ajouté trois concepts philosophiques à la définition d’Aristote : l’anonymat de la transaction, son incensurabilité et son immuabilité.
C’est là tout son génie, il a battu le problème des généraux byzantins, par un effroyable coup d’estoc en plein cœur de la corruption. personne ne s’en remet. pas même le pouvoir qui est.

Le cyberespace est le monde des idées, alors parlons-en. Si Nastasia veut aller sur ce terrain, allons-y.
C’est la philosophie qui guide les cypherpunks. une aspiration à une vie plus libre, plus prospère, beaucoup plus privée dans ce 21ème siècle de l’information à outrance.
Le cypherpunk créé un monde dont l’anonymat par défaut et la liberté d’expression absolue sont les piliers architecturaux.
Cette branche obscure des mathématiques qu’est la cryptographie le permet.
Il est strictement hors de question de négocier sur ces deux piliers.
Si l’envie vous prend de négocier sur l’un de ces deux sujets, alors vous êtes invités à créer votre propre cyberespace.
Dans notre cyberespace, les gouvernements n’ont jamais été invité et ne sont pas les bienvenus.
Si votre caravane des idées étatiques présente sur mon jardin des libertés me dérange, je la déplacerai dans la friche d’à côté.
Le cyberespace étant intrinsèquement infini, il y aura toujours une friche à côté pour y déplacer les autorités.

Bitcoin ne fait rien d’autre que remettre le caractère anonyme des espèces au goût du jour. ça crispe tout ce monde qui voudrait rester au 20ème siècle. comme un absolu, un pic qu’il ne faudrait en aucun cas quitter. 1984 pour l’éternité.
La dure réalité de notre condition écosystémique pulvérise de facto et indefesse ce statu quo mortifère.
Quand on touche bitcoin on affronte l’économie, non pas par son cadre éthéré d’une doxa financée par une certaine facilité quantitative, mais bien par le sonnant et trébuchant.
Donc il faut accuser Bitcoin de pragmatisme. Les idées vont et viennent, mais au final, il y a une ligne ajoutée au grand livre de la comptabilité, une facture émise, un créance ad-hoc, un dette, un paiement qui l’éteint, et un budget qui est décrémenté. le tout sans intermédiaire.
Il est important de signaler que par le truchement de ce cyberespace, les gouvernements vont perdre leur capacité à taxer.

La gauche est devenue autoritaire, elle pratique la censure, et là, la mise à l’index. Et pourtant, la gauche anarchiste libertaire des squats de survivants est toujours là. Il faut que l’une admette que l’autre se sert de Bitcoin parce qu’il lui permet plus de liberté que le RSA ou une CBDC prison.
L’image cool et inclusive vient de là parce que Bitcoin est 100% libre et inclusif. C’est prouvable. formellement. indiscutable. Nastasia, en faisant ses recherches, s’est crée une adresse Bitcoin. Fin du game.
M’est donc avis que si la gauche veut survivre à ce siècle et gagner les cœurs, il lui faut promouvoir Bitcoin contre l’ordre établi de toutes ses forces, pour le profit des plus faibles, des moins inclus, et de tout ceux qui sont hachés menus par une politique économique corrompue et guerrière.

Les cypherpunks écrivent du code. c’est tout ce qu’il font. Ils ne manifestent pas, n’interviennent presque jamais dans le débat politique traditionnel.
Lorsqu’ils écrivent du code, c’est pour protéger la vie privée. c’est tout.

Dans les débats, les articles à propos de Bitcoin, on retrouve toujours les même personnes qui nous racontent toujours la même chose.
Alexandre Stachtchenko nous en a fait une liste presque exhaustive, aussi, de ces poncifs.
Quand Bitcoin est critiqué, il est accusé de terrorisme, de pédophilie, de trafic de drogue, de blanchiment d’argent, de fraude fiscale, de faire bouillir les océans, etc.
Les plus sévères et actifs critiques de Bitcoin sont les banquiers centraux, les banquiers commerciaux, les régulateurs et le gouvernements.
On sent comme une terreur chez eux lorsqu’ils évoquent Bitcoin. Comme s’il faisait face à un danger qui menace leur existence. C’est peut-être à cause de l’inéluctable fin de leur capacité à taxer.

Alors c’est étonnant de lire Nastasia reprendre les mêmes critiques. A-t-elle les même intérêts ? cherche-t-elle à protéger banquiers et gouvernements ?
Pourquoi une alliance objective se forme entre le vieux capitalisme de connivence et la gauche ?
Quel est l’avis de Nastasia sur Thierry Breton, Jean-Noël Barrot et Aurore Lalucq qui cherchent à censurer et surveiller par tous les moyens ?
Comment explique-t-elle que se soit un capitaliste comme Elon Musk qui cherche à imposer la liberté d’expression ?
Comment tout ceci est arrivé ?

Avec ce livre, j’ai l’impression que la gauche est devenue cette extrême droite et cherche à accuser l’anarchisme moderne de ce sort bien étrange pour se le conjurer.
C’est comme si l’horizon d’un monde où l’impôt est consentit la faisait douter au point d’en retourner sa veste.

J’invite les lecteurs à acheter le livre de Nastasia.
Financer le débat qu’il y a autour de Bitcoin ne peut être que positif dans l’absolu, pour garder de l’espoir pour nos libertés.
Un succès commercial pour ce livre signifie la poursuite des recherches de Nastasia dans le domaine.

Et bien sûr, comme d’habitude, je vous recommande fortement la lecture des trois textes :
- Le manifeste crypto-anarchiste, écrit par Tim May en 1992
- Le manifeste d’un Cypherpunk, écrit par Eric Hugues en 1993
- La déclaration d’indépendance du Cyberespace, écrite par John Barlow en 1996.
Ils vous éclaireront bien plus sur la réalité de ce qu’est un Cypherpunk et ses opinons.

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