La course au large à la voile est-elle éco responsable ?

William AB
7 min readNov 17, 2016

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En tant que sport mécanique, la course au large à la voile est l’un des rares sport dont le support n’est pas hérité de la révolution industrielle. Depuis l’antiquité l’homme tente de parcourir les océans. Tantôt sous le roi Minos à Knossos avec la première flotte maritime pour dominer la mer Égée, plus de trois mille ans plus tard Christophe Colomb découvrait l’Amérique avec sa flotte de trois caravelles et peu de temps plus tard, Magellan effectuait sa circum navigation.

Magellan

Aujourd’hui, les mers sont remplies de bateaux aux diverses finalités : commerce, plaisance, guerre et course au large. La mer véhicule l’image d’un endroit hostile, vaste, imprévisible qui fascine autant qu’il effraie. La course au large à la voile fut initialement plus aventure que compétition(1). C’est aujourd’hui de la régate planétaire sur des voiliers à la pointe d’une technologie de plus en plus proche de l’aéronautique que de la marine. Le milieu marin semble propice à l’écologie. Il est fragile, témoin privilégié de la pollution, abrite un écosystème toujours largement méconnu et les fluctuations de son équilibre peuvent impacter durablement l’humanité. La mer fait partie de ce que l’on catégorise comme un «bien public mondial». Le droit des états envers la mer est régit par le droit international. Les eaux internationales ne sont sous la juridiction d’aucun état. Un soucis durable ou écologique habite-t-il les acteurs de la course au large ? Le voilier à l’image éco- responsable d’une machine douce, silencieuse propulsée par le vent grâce à ses voiles réglées par la seule force des bras. Est-il si respectueux de l’environnement ?

Deux logiques semblent s’affronter : la compétition qui implique une idéologie du progrès quoi qu’il en coûte pour établir de nouveaux records et obtenir de plus grandes performances ; ou le soucis écologique de la protection de l’environnement. Laquelle de ces logiques semble prendre le dessus ?

Volvo Ocean Race 2014–15. Cap de Bon espérance.

Une conscience environnementale héritée

Tout d’abord, le milieu qui accueille la course au large, la mer, n’est pas neutre. Elle est traversée par les mythes, les récits historiques. La culture marine est plus ou moins forte pour des raisons historiques dans des zones géographiques. Par exemple, la ville de Rochefort en Charente-Maritime est fortement influencée par sa culture marine héritée de l’Arsenal de Rochefort avec la frégate L’Hermione datant de la fin du XVIIIème siècle. Dans la course au large, les acteurs sont fortement concentrés géographiquement. La Bretagne Sud est très active et concentre une grande partie des infrastructure, y compris à l’échelle internationale : navigateurs, chantiers, centres de formation, ports où sont amarrés les voiliers de course et leurs équipes. On peut donc postuler que ces acteurs sont héritiers d’une certaine culture marine et sensibilisé à l’environnement.

Les acteurs de la course au large sont porteurs et héritiers d’une histoire nautique traversée par les naufrages et divers drames. Les histoires d’aventure nautique individuelles se racontent sur les pontons. On y décèle une omniprésence de l’idée de danger. Cette conscience du danger est par ailleurs parfaitement contrôlée et non recherchée par les navigateurs. Il existe des réglementations strictes, fixées par la fédération de voile (FFV) et les organisateurs de course pour parer ces dangers. Cela implique un respect de l’environnement théorique en tant qu’élément plus puissant que soi. En présence de conditions météorologiques difficiles, l’expression « courber le dos » est souvent utilisée par les marins. Elle évoque le fait que les navigateurs redoublent d’attention, se focalisent moins sur la compétition, se protègent et évitent la casse jusqu’à que les conditions deviennent plus clémentes pour reprendre de plus belle.

En navigation

Quelle place a le soucis de l’environnement dans le quotidien de la navigation en solitaire et en course ? Cette conscience héritée de l’environnement amène une attention particulière aux déchets. La mer n’est pas considérée comme une poubelle, seul les éléments biodégradables sont jetés à l’eau. Les déchets qui ne le sont pas, sont gardés dans une partie très à l’avant du bateau jusqu’au retour sur terre où ils seront débarrassés. Les navigateurs sont les premiers témoins du changement climatique visible en mer comme la dérive anormale des glaces, le déplacement anormal des anticyclones et des nombreux déchets flottants « OFNI » (objet flottant non identifié). Ils en sont parfois les victimes lorsque ces déchets sont de grosse taille comme des conteneurs tombés d’un navire marchand.

La propulsion d’un voilier, est la présence de voiles sur un ou plusieurs mats installés de façon optimisée par le marin pour aller le plus vite possible en fonction des conditions météorologiques. Ces voiles sont réglées à la seule force des bras et constituent la seule propulsion du bateau. Cela est à priori parfaitement non polluant. Cependant, un voilier de course n’est pas uniquement équipé de ses voiles. Il possède de nombreuses installations électroniques énergivores en électricité. Par exemple le dessalinisateur qui rend potable l’eau de mer, l’ordinateur de bord avec les cartes, les équipements de communication etc. Où trouver cette électricité ? Avec un moteur classique à explosion et l’ensemble de ce qui est nécessaire à le faire fonctionner : essence, huile etc. Ce moteur est utilisé comme générateur électrique. Les solutions alternatives pour produire de l’électricité en course existent (panneaux solaires, hydro-générateurs, éoliennes etc.) mais sont des possibilités peu explorées car la présence du moteur est une facilité et une sécurité rendue obligatoire par les réglementations. Changer de moyen de production de l’électricité n’est pas fondamental dans l’obtention de performances nautiques supérieures.

Parcours du Vendée Globe.

Pourquoi les parcours de course au large sont-ils si souvent identiques ? Pourquoi les circum navigations se font pratiquement toujours dans le même sens ? Les systèmes météorologiques sont utilisés avec soi et non pas contre soi. Il est rare qu’une course se déroule « contre » la mer et la météo, le plus souvent elle se fait avec. Tout d’abord pour des raisons de rapidité : il est plus rapide d’aller du cap de Bon Espérance au Cap Horn que l’inverse car les systèmes météorologiques vont dans ces zones de l’ouest à l’est en tournant dans le même sens. Seules leurs positions et caractéristiques spécifiques varient. Peut être est-ce un héritage de la culture marine et de ses mythes mais on affronte pas frontalement l’environnement. On s’aide de lui.

Il ne s’agit pas d’un combat de l’homme contre les éléments mais un combat de l’homme contre l’homme avec l’aide de l’environnement qui parfois lui joue des tours.

Et la construction navale ?

La construction navale s’inscrit-elle dans une démarche éco-responsable ? Le problème est identique à celui de la fabrication d’éoliennes terrestres. Ce sont des objets qui peuvent s’inscrire dans le développement durable mais dont la fabrication a une empreinte écologique très importante. Les matériaux utilisés pour les voiliers sont le carbone, la résine époxy, la fibre de verre, le métal, le plastique, peinture antifouling(2) nocif et même les cordages sont en fibres synthétiques. Aucun de ces matériaux ne sont biodégradables, ils sont très difficiles à recycler.

Construction du dernier Gitana pour le Vendée Globe 2016–17

Beaucoup d’énergies fossiles sont nécessaire à la construction d’un bateau (alliages, transport terrestre entre les différents lieux de construction etc.) En tant que véhicules qui misent sur la technologie pour aboutir à une performance sportive, l’obsolescence est forte. Tous les quatre ans, un nombre conséquent de voiliers de course sont construits ou transformés ce qui accroit l’empreinte énergétique. Sans compter les équipements nautiques en carbone qui se cassent et viennent recouvrir les fonds marins régulièrement quand ils ne peuvent être récupérés(3).

En outre, même si ce sont des bateaux qui fonctionnent théoriquement sans autres énergies que le vent, ils sont énergivores à d’autres niveaux. Nous pouvons ainsi affirmer qu’un soucis environnemental est présent et plus actif que dans d’autres sports mécaniques mais que la logique de progrès technologique prend régulièrement le dessus sur l’écologie.

Nous pouvons distinguer le développement durable de l’écologie et considérer que la course au large possède un soucis écologique sans s’inscrire nécessairement dans le développement durable. En effet, il est peu question de l’avenir de l’humanité et des questions sociales dans cette perspective écologique mais d’une volonté de préserver la mer dans son état le plus naturel possible pour pouvoir jouer éternellement dessus. Le soucis de l’autre comme raison de la protection de l’environnement est peu présente dans les discours de marins. La dynamique sportive semble actuellement l’emporter. La question de l’écologie est peu présente dans les réglementations. Il existe un certain nombre d’initiatives individuelles(4) à la fois pour se passer d’un moteur comme générateur électricité et de tentatives de prévention à l’égard des mers.

(1) : Le Golden Globe Challenge, organisé par le journal britannique The Sunday Times est la première course autour du monde en solitaire par les trois caps (Bon espérance, Leewin, Horn) sans escale. Bernard Moitessier y participera et hanté par l’idée de revenir en Europe, décidera après le passage du cap horn d’abandonner la course et refaire un tour de l’antarctique. Il relatera cette aventure dans un livre. MOITESSIER, Bernard, La longue route, 1971.

(2) : Peinture anti-salissure qui recouvre la partie immergée de la coque du bateau contenant des biocides empêchant la fixation d’organismes aquatiques qui aboutirait à une perte de performance.

(3) : Échouement d’une équipe de la Volvo Océan Race 2014–15. Abandon pendant plusieurs mois du voilier sur place. https://www.youtube.com/watch?v=1gmnWEZCEiw

(4) : Comme Conrad Colman et son projet « 100% natural energy » dans le Vendée Globe 2016–17.

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