Comment une assemblée populaire en ligne a fait changer mon avis sur la 5G ?
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Le débat de la 5G est très emblématique des problèmes auxquels nous faisons face dans notre société.
On n’écoute plus les scientifiques, on n’a plus confiance en nos institutions, on publie et on partage de fausses informations. On utilise des études scientifiques peu rigoureuses pour faire passer notre point.
Et personne n’est exempt de ces dérives. Dernièrement, 434 docteurs belges ont signé une lettre ouverte pour faire part de leurs craintes basées sur des études scientifiques sorties de leur contexte (« 5G appeal : pourquoi cette pétition sur les ondes et la santé est exagérément alarmiste », lemonde.fr). Leur conclusion? « On ne sait pas, du coup appliquons le principe de précaution ». Quand des journalistes font la lumière sur ce sujet, l’article est “réservé aux abonnés”.
Pour lutter contre cela, on a pris l’initiative d’organiser une assemblée populaire en ligne. 50 personnes nous ont rejoint pour écouter l’avis de deux experts, un issu de l’industrie (Floriane de Kerchove pour Agoria, la fédération belge de l’industrie technologique, lien vers sa présentation), et un issu du monde académique (David Bol, professeur à UCLouvain, lien vers sa présentation). Pour permettre à tout le monde de pouvoir s’exprimer et partager sa perspective, on s’est séparés en petits groupes avant de faire remonter l’information en assemblée.
Ces petits groupes sont magiques. Ils permettent à chacun de rencontrer d’autres citoyens en-dehors de leur bulle. Découvrir d’autres perspectives et essayer de comprendre les craintes que d’autres personnes ont. Car si les “fake news” sont bien fausses, les émotions qui se cachent derrière chacune d’entre elles sont bien réelles.
Ce qui suit est mon avis personnel qui prend en compte les différentes perspectives que j’ai pu entendre lors de ces assemblées. J’invite toute personne qui a participé à cette assemblée à partager aussi leurs propres conclusions.
Les inquiétudes sur la santé ne sont, à ce stade, pas fondées
Les deux experts, l’un pour et l’autre contre la 5G, étaient assez d’accord pour dire qu’il n’y avait à ce jour aucune raison de s’inquiéter sur les effets de la 5G sur notre santé. Les ondes utilisées sont des ondes « non-ionisantes » qui ne sont pas dangereuses.
Quid du principe de précaution?
Si l’on devait écouter le principe de précaution pour un sujet tel que la 5G pour lequel, il n’y a pas de consensus scientifique sur des effets négatifs sur notre santé, pourquoi n’appliquons-nous pas d’abord un tel principe de précaution sur l’urgence climatique pour lequel il y a un réel consensus ? Pourquoi, par principe de précaution, n’interdisons-nous pas la voiture en ville et la viande rouge dont les effets négatifs sur la santé ne sont plus à démontrer. Pourquoi une telle différence de traitement ?
Certains justement citent ces exemples qu’on ne peut plus répéter. L’industrie de l’automobile, du tabac, de la viande rouge, ont toutes commencées avec de bonnes intentions, mais ont fini par abuser de leur position aveuglée par leur course au profit. Qu’est-ce qui nous garantit que “cette fois, c’est différent” pour l’industrie des télécommunications ?
L’impact sur l’environnement est lui bien réel
Construire toutes ces antennes et ces nouveaux terminaux demandent d’aller puiser des matériaux rares, ce qui se fait dans des conditions loins des conditions de travail auxquelles nous sommes habitués en Europe, mais tout ceci se passe loin de nos yeux. Est-ce que nous serions d’accord de laisser nos enfants travailler dans ces mines dans de telles conditions pour pouvoir utiliser cette nouvelle technologie ? Pouvons-nous exiger de meilleures conditions de travail tout au long de la chaîne de production avant de donner le feu vert pour le déploiement d’une nouvelle technologie ?
Une question démocratique
Une question qui est souvent revenue lors de cette assemblée est la question: “qui prend les décisions de développer la 5G ?”. Il est important de savoir que le choix de développer une telle technologie se fait au sein de l’industrie. Il revient au pouvoir politique –et donc à la démocratie– de donner son accord d’utiliser certaines bandes de fréquence pour que l’industrie puisse les utiliser (et éviter les interférences avec d’autres qui aimeraient peut être l’utiliser pour d’autres applications).
Il s’agit donc d’une initiative privée: « Hey, on a développé ce nouvel avion, est-ce qu’on peut l’utiliser au-dessus de votre ville entre telle et telle altitude? Est-ce que vous pouvez réserver (autrement dit, privatiser) cette espace aérien pour être sûr qu’il n’y ait pas d’obstacle? Il ne fait pas de bruit, ne pollue pas hormis la pollution de sa production, n’utilise que des ondes non nocives, et les gens devront payer un abonnement pour pouvoir l’utiliser ».
La question qui se pose du coup au citoyen est: à quel prix sommes-nous prêts de réserver un espace public pour une industrie ? Quels sont les bénéfices et les inconvénients ? Quelles sont les alternatives ? Comment garantir que cette technologie bénéficiera non seulement à cette industrie mais aussi à la communauté ? Est-ce que ces technologies vont dans le sens de réduire notre impact sur la planète et ses écosystèmes ? Ou est-ce que ces technologies sont avant tout là pour la croissance qui profite de manière disproportionnée aux plus nantis ?
Vu que ces technologies sont issues d’entreprises privées, les gens sont en droit de douter de leurs intentions. Ils ont du coup l’impression qu’on leur “impose” une nouvelle technologie qu’ils n’ont pas demandé. Du coup, ils ressentent une “perte de contrôle”. Rien d’étonnant qu’ils se rattachent aujourd’hui à des théories du complot parfois les plus folles (lien entre le coronavirus et la 5G), ou à des pseudo études scientifiques. “Si on va nous imposer quelque chose sans nous demander notre avis, on va tout faire pour les en empêcher”.
Pour éviter une telle montée de bouclier, il faut intégrer les communautés locales au début du développement de ces nouvelles technologies. A travers la co-création, on créera des technologies qui répondront aux besoins d’un plus grand nombre de personnes et qui du coup, auront un support bien plus large dans notre société.
A propos de la surveillance
Chaque nouvelle génération est plus sécurisée que la précédente. Il est plus facile d’être surveillé sur un réseau 4G que sur un réseau 5G. Ceci étant dit, on peut s’inquiéter du fait que beaucoup de ces antennes 5G soient développées en Chine (Huawei est le leader après les Européens Ericsson et Nokia) et qu’il y ait un nombre limité de fournisseurs de service (on se rappellera que Proximus avait été “hacké” par la NSA, services secrets américains). Peut-on exiger que ces technologies soient “open source”, c’est-à-dire libre de droit (tout comme on demande à l’industrie pharmaceutique de pouvoir produire des médicaments génériques) ? Peut-on exiger que n’importe quelle startup belge puisse concurrencer Proximus et offrir une offre 5G alternative à hauteur d’une ville ou région ? (MVNO)
Le langage de l’industrie ne passe plus
“Nos voisins passent à la 5G, on doit le faire aussi sinon on aura du retard et on ne pourra pas être compétitif. On assiste à une croissance (des données) à laquelle on doit pouvoir répondre.”
Tout ceci passe très mal dans un monde qui parle de sobriété voire même de “décroissance”, d’utilisation rationnelle de l’énergie. Pourquoi faire la course vers toujours plus ? Pourquoi vouloir gagner la course vers le précipice ?
Une avancée technologique
La 5G permettra de réduire la consommation énergétique d’un facteur 10 par quantité d’information transmise. A ce titre, c’est un réel progrès pour utiliser moins de ressources. Comme quelqu’un l’a dit durant l’assemblée: une telle assemblée aurait eu un impact écologique bien plus important si tout le monde avait dû se déplacer. Dans un monde neutre en carbone, on devra tous se déplacer moins loin, moins souvent. Ceci ne sera possible que parce que nous aurons les technologies qui nous permettront de faire de la vidéoconférence et de travailler à distance.
Il est aussi important de noter qu’on arrive aujourd’hui à une saturation du réseau 4G. Si on veut continuer à permettre au plus grand nombre de pouvoir communiquer avec non seulement des textes mais aussi du son et de la vidéo, et accéder à la plus grande base de connaissance que le monde n’ait jamais connu, nous devrons augmenter sa capacité. Ou alors, il nous faudra rationner et décroître notre usage actuel.
Des buzzwords et des mirages
Voiture autonome, médecine à distance, l’internet des objets connectés, … les gens ont du mal à s’imaginer tout cela. Il est souvent revenu dans l’assemblée l’idée que “à ce jour, il n’est pas encore clair ce que cela va nous apporter”. A-t-on vraiment besoin de ces choses ? Est-ce qu’on ne devrait pas d’abord identifier tous les bénéfices avant de pouvoir prendre une décision ? Ces buzzwords font plus de tord que du bien. La réalité c’est qu’on ne sait pas imaginer quelles seront les vraies « super applications » de la 5G. Les technologies permettent de nouveaux usages auxquels on ne peut pas toujours penser de prime abord. Et c’est ok.
De manière générale, l’aspect le plus intéressant de la 5G, et des technologies en général, c’est qu’elles permettent à un plus grand nombre de pouvoir créer et partager. Il n’y a pas si longtemps, il était inimaginable pour une petite communauté d’avoir son propre média. Aujourd’hui, elle peut non seulement avoir un blog mais aussi sa propre radio (podcast), live TV, etc. Ces choses étaient avant réservées aux grands médias car le coût était exorbitant.
Quelles sont les choses qui sont aujourd’hui réservées à des grandes institutions? On peut penser à YouTube, Netflix, ou encore Zoom et… Proximus. Tous ces services sont hautement centralisés et en-dehors de nos pouvoir locaux car leur coût est encore très cher.
La 5G devrait contribuer à démocratiser ces services. Mais encore faut-il s’assurer que des startups plus locales voire des cooperatives de citoyens puissent utiliser ces technologies pour offrir des alternatives à ces services rendus aujourd’hui exlusivement par des entreprises privées.
Conclusion
A travers cette assemblée populaire, on a pu se rendre compte que le problème de la 5G n’est en fait pas vraiment lié à la 5G mais à la façon dont les technologies sont développées en général. Sont-elles développées pour l’intérêt particulier ou pour l’intérêt de tous, y compris de la planète ? Est-on entrain de construire de nouvelles autoroutes privées qui vont polluer notre air, ou sommes-nous entrain de construire une infrastructure publique ouverte à tous où la priorité est donnée aux modes de transport doux qui polluent peu ou pas ?
Pour ma part, en tant qu’ingénieur et entrepreneur dans les nouvelles technologies, j’étais de prime abord “totalement pour” la 5G. Après cette expérience, mon avis est devenu plus nuancé. La 5G, oui: donnons aux citoyens les moyens de communiquer, d’échanger, de s’organiser, de s’éduquer. Mais déployons cette technologie dans le respect de nos valeurs Européennes. Garantissons des conditions de travail correctes dans toute la chaîne de production, limitons l’impact sur l’environnement, partageons le savoir faire en open source, permettons à nos régions, villes et quartiers d’avoir leur propre réseau pour plus de liberté, de résilience et moins de surveillance. Bref, une 5G pour nous tous.
Merci à Lyllou, Jan-Tobias, Leen and Nele pour avoir organisé cette assemblée. Merci à Floriane de Kerchove et Danny Goderis d’Agoria et David Bol de UCLouvain et aux 60 citoyens pour leur participation. Personne n’a le monopole de la vérité mais chacun peut apporter une perspective différente qui aide à enrichir le débat et à prendre de meilleures décisions ensemble. J’espère pouvoir participer prochainement à d’autres assemblées sur d’autres sujets de société. Si vous comptez en organiser, dites-le moi! Et si vous cherchez quelqu’un qui peut vous aider à organiser et faciliter ce genre de rencontre, ma partenaire Leen a quitté son job pour pouvoir se consacrer à cela.