Tue la Procrastination — Ou C'est Elle qui Te Tuera

Comprends les racines profondes de ta procrastination et découvre une nouvelle approche de l’autodiscipline qui fonctionne réellement.

Yann Costa
9 min readApr 23, 2020

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“Le Temps” by Nathan Dumlao on Unsplash

Quelle époque merveilleuse, cette crise du COVID-19, pour écrire un article au sujet de la plus grave maladie du 21ème siècle : la procrastination. Tandis que les dégâts du nouveau coronavirus sont très visibles et médiatisés, la procrastination, elle, détruit discrètement des vies à l’échelle planétaire et ce, depuis des années. D’ailleurs, c’est peut-être même elle qui nous a tous mis dans cette situation. Nombreux sont les épidémiologistes et autres experts qui nous mettaient en garde depuis des années contre une éventuelle pandémie. Mais en tant que société, nous avons décidé de procrastiner notre préparation. L’épidémie de procrastination ne tue peut-être pas littéralement, mais elle produit des morts-vivants. Et son taux de reproduction de base est bien plus élevé que celui du méchant virus.

En effet, la procrastination est d’autant plus dangereuse du fait qu’on la considère comme inoffensive, voire sympathique. On prend plaisir à rire des exploits qu’elle nous a amenés à accomplir : “Mec, j’ai rien foutu pour l’exam de demain et toi? Mais tranquille, au talent haha! On va boire une bière?”. Et puis c’est vrai quoi : à court-terme, la procrastination n’est pas un problème. Elle est même plutôt cool. Mais à long-terme, si tu la laisses faire, elle absorbera tous tes rêves, tes projets, voire ta vie. Tout ça, avant même qu’ils n’aient pu naître. C’est un peu dark tu me diras, mais c’est la vérité. Il n’y aucun problème à repousser ton ménage, ton rendez-vous chez le coiffeur ou une séance de sport. Mais que se passe-t-il quand tu repousses tes rêves, les relations qui te sont chères et ta santé ? Quand il sera trop tard, comment te sentiras-tu ?

Tim Urban nous raconte sa procrastination avec beaucoup d’humour dans l’un des TED Talks les plus regardés. Coïncidence ?

Biologiquement, la procrastination est un outil très puissant. Elle nous permet de prioriser nos tâches. En nous incitant à faire d’abord les choses qui nous procurent du plaisir tout en minimisant la souffrance, elle permettait à nos ancêtres de se nourrir et se reproduire de manière très efficace. Quelque part, la procrastination fait partie de notre instinct de survie. Le problème, c’est que la société a bien évolué et heureusement, Homo Sapiens ne passe plus son temps à chasser et à se reproduire. Avec le temps, nous n’avons pas hérité d’un ami qui garantit notre survie, mais d’un ennemi capable de nous anéantir.

Même si tu en es conscient, il y a une raison très simple pour laquelle tu continues de procrastiner : la peur.

Ironiquement, cet article est le produit même de ma procrastination. J’adore écrire et je me suis dit que cette période de confinement était une belle opportunité pour rédiger un nouvel article. Mais pour une raison que j’ignorais, après 4 semaines enfermé chez moi, je n’avais toujours pas écrit la moindre ligne. Pleins de choses à dire, mais impossible de l’écrire. Puis, j’ai compris pourquoi : j’avais tout simplement peur de me retrouver devant mon écran et ne pas savoir quoi écrire. J’avais peur de ne pas réussir à formuler un article intéressant. Peur de ne pas réussir à toucher les gens qui le lisent. En gros, passer du temps à écrire pour rien. La complexité de la tâche me menait à l’éviter sans cesse en restant dans ma zone de confort. Se lancer, au risque d’être nul, demande beaucoup d’humilité. Regarder Friends en mangeant des M&M’s est beaucoup plus plaisant et bien moins engageant, n’est-ce pas ? Le pire avec la procrastination, c’est qu’elle nous rend tout aussi incapables d’apprécier les moments de détente que les moments de travail. La même FOMO (“Fear Of Missing Out”, peur de rater quelque chose) qui t’empêche de te concentrer sur une tâche en particulier — parce que bordel, il y a tellement de choses cool sur Instagram et Netflix en ce moment — t’empêche aussi de regarder Friends en mangeant tes M&M’s tranquillement — parce que bordel, j’ai encore ce foutu travail de groupe à terminer pour demain ! Ce cercle vicieux devient un moteur d’anxiété qui te déconnecte constamment du moment présent. Tu vois, le problème, c’est que tu n’es ni en train de travailler ni en train de te reposer. Tu te retrouves coincé entre les deux, dans le néant de la procrastination. Sans parler du flux continu d’informations anxiogènes liées à la pandémie : “Hey t’as vu le nombre de nouveaux cas hier ? C’est de la folie, on va tous mourir ! Tu savais que tu peux attraper le virus en dormant sur le ventre ?! C’est le pote médecin de la cousine de la tante de ma grand-mère qui l’a dit. Pffff, de toutes façons, c’est les Chinois qui ont créé ce truc dans un labo !”

“Le perfectionnisme est le pire ennemi de l’action”. — Moi

Du coup, je me suis dit que j’allais désactiver mes réseaux sociaux pendant quelques temps. Ainsi, j’aurais du temps pour me concentrer sur moi-même, lire quelques bouquins, apprendre la guitare, bouger un peu, et éventuellement trouver l’inspiration pour mon article. Logique, non ? Et bah non. En fait, me déconnecter des réseaux sociaux pendant le confinement était une bonne expérience, mais pas pour les raisons que j’avais imaginées. Elle m’a simplement montré à quel point le nombre de distractions instantanément disponibles dans l’ère du digital est incalculable. Supprimer les sources de distraction ne suffit plus, puisqu’il y en aura toujours une nouvelle. Il faut résoudre le problème de fond, une fois pour toutes. La procrastination n’est autre que le résultat d’un syndrome propre à notre génération : l’incapacité à maintenir notre attention sur une tâche de manière prolongée. De la même façon que l’apparition des fast-foods combinée à l’émergence de métiers “sédentaires” a entraîné une vague d’obésité dans les années 1950–60, l’apparition d‘internet combinée aux smartphones a entraîné une vague d’inattention dans les années 2010–20. Chaque jour, nous consommons l’équivalent de fast-foods de l’information, par tonnes et sans modération. Le fameux scrolling de nos applications mobiles nous pousse à consommer l’information de plus en plus rapidement, ce qui force les médias à produire toujours plus d’information-choc insignifiante. Ce type d’information fait de nous des accros aux sensations fortes (dopamine) et nous rend incapables de contrôler notre attention de manière prolongée. Et sachant que tu n’as qu’un cerveau, ce comportement se répète dans tous les aspects de ta vie. Ainsi, la technologie a fait de nous des procrastinateurs professionnels, toujours à la recherche de satisfaction immédiate.

Toi actuellement, en lisant cet article.

“Vous n’avez qu’un seul cerveau. Reconnaissez que ces outils sur lesquels vous passez des heures par jour redéfinissent votre psychologie de telle sorte que vous devez ensuite comprendre comment être productif. Si vous ne changez cette habitude, vous continuerez d’avoir les mêmes comportements dans tous les aspects de votre vie.” — Chamath Palihapitiya

Comme le fitness et les régimes alimentaires dans les années 1960, la méditation et la pleine conscience deviennent toujours plus à la mode. Et c’est très bien ainsi. Face au danger des fast-foods, nous avons appris à prendre soin de notre corps, manger sainement et pratiquer de l’exercice. Le défi d’aujourd’hui est d’apprendre à prendre soin de notre esprit face à la technologie. Dans un monde d’informations et d’opportunités infinies, il s’agit d’identifier ce qui compte réellement au milieu de tout ce bruit.

Il est essentiel de comprendre que le bonheur au 21e siècle, ce n’est pas avoir plus, mais vouloir moins.

J’irais même jusqu’à dire que l’autodiscipline est la compétence la plus importante de nos jours. Et je te vois venir. Rien qu’en lisant le mot “autodiscipline”, tu as tremblé à l’idée de toutes sortes d’associations négatives qui envahissent ton imagination. En effet, la plupart d’entre nous associent la discipline à une expérience négative. Elle est souvent synonyme de souffrance ou de privation. Ceci s’explique par le fait que la discipline a longtemps été associée à la force de volonté. Une supposée capacité à renoncer à nos propres envies et émotions, nous poussant même à en avoir honte. La discipline nous entraînerait à nous sentir mal vis-à-vis des choses qui nous font nous sentir bien. Une personne disciplinée serait donc celle qui a suffisamment de volonté pour ignorer ses propres émotions et agir rationnellement, selon les règles de la vertu. Mais ultérieurement, nos émotions nous rattrapent et cette tension devient insupportable, nous conduisant à deux types de comportements :

  1. L’accumulation de honte nous pousse dans des pulsions extrêmes : je parle ici de prêtres pédophiles, de couples mariés faisant preuve d’infidélité maladive ou encore de mannequins atteints de troubles alimentaires tels que la boulimie ou l’anorexie.
  2. Nous sommes conduits à échapper constamment notre réalité à travers des distractions telles que l’alcool, la drogue, et toutes sortes de divertissements comme Netflix et les réseaux sociaux (et ouais, encore un cercle vicieux).

“L’autodiscipline fondée sur l’abnégation n’est pas durable. Elle ne fait qu’engendrer des dysfonctionnements plus importants et aboutit finalement à l’autodestruction.” — Mark Manson

Dans son article, Mark nous propose de voir la discipline sous un tout nouveau spectre : l’acceptation de soi. De cette façon, il devient possible d’avoir une approche de la discipline qui consiste à travailler non pas contre, mais avec nos émotions. Cette méthode consiste à découpler nos échecs personnels d’échecs moraux. Ce n’est pas parce que tu as à nouveau mangé un paquet d’M&Ms entier en moins de deux minutes, ou que tu as repoussé ton projet de groupe au lendemain pour la cinquième fois d’affilée, que tu es quelqu’un de mauvais. La gourmandise et la paresse sont des choses qui arrivent à tout le monde. Mais il y a un espèce de confort dans le fait de se juger, car ça te déresponsabilise de tes propres actions. Tu es une horrible personne qui cède à ses pulsions donc pourquoi essayer de changer ? Tu ne peux pas changer de toutes façons, donc bouffe juste ce paquet de M&M’s. Procrastine encore un jour car au final, tu es comme ça et tu ne peux rien y faire.

A partir du moment où tu acceptes que tes mauvaises actions ne te définissent pas, mais qu’elles sont simplement une expérience parmi d’autres, alors tu es libéré. Soudainement, tu deviens responsable de tes actions et tu peux les remplacer par des actions qui te font te sentir bien. La réalité est que tu n’aimes pas t’envoyer des paquets de M&M’s par dizaines. Tu n’aimes pas non plus repousser ton travail au lendemain sans cesse. Tu ne te sens pas bien quand tu le fais, et tu le sais. Tu le fais pour fuir quelque chose. Pour ce qui est de la procrastination, tu le fais pour fuir ta peur de l’échec. Comme moi quand je procrastinais mon article par peur d’écrire n’importe quoi. D’ailleurs, tu te dis peut-être que j’écris vraiment n’importe quoi. Que toi, si tu procrastines, c’est juste parce que ça te fait royalement chier de faire ce que tu dois faire. Dans ce cas, réfléchis bien, car tu es peut-être en train de procrastiner ta vie. Si tu ne trouves aucun sens à ton travail sur le long-terme, c’est peut-être parce que tu t’es enfermé dans une vie qui te déplaît, par peur d‘échouer celle qui te rendrait heureux(se). La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est sûrement pas trop tard.

Une fois que tu prends conscience de ça, tu n’as plus aucune raison de te torturer. Au contraire, tu apprécies ta personne et tu veux prendre soin de toi. Toutes ces choses qui te paraissaient irrésistibles n’ont plus aucun pouvoir sur toi. Elles deviennent insignifiantes car maintenant, faire ce qui est bon pour toi te fait te sentir bien. Tu te lèves tôt pour l’agréable sensation d’avoir la journée devant toi. Tu commences à écrire cet article car l’exercice te fait du bien. Tu manges sainement parce que tu aimes prendre soin de ton corps. Tu fais ta séance de sport car elle te fait du bien. Tu finis ce travail de groupe car il t’apporte l’incroyable sentiment du bon travail accompli. Soudain, tu te retrouves à être discipliné sans effort, et sans avoir à renoncer à tes émotions. Au contraire, tu vis à travers elles car tu réalises que tu procrastinais des choses qui en réalité te font du bien. De l’extérieur, les gens ont l’impression que tu as une force de volonté inépuisable. Que tu investis une quantité monumentale d’efforts pour accomplir tout ce que tu fais. Mais pour toi, c’est juste naturel. C’est ce qu’on appelle la discipline douce.

“La motivation est la plus grosse connerie que les Américains ont inventée. Moi, je crois en la discipline. Quand on est discipliné, alors on peut devenir motivé.” — Mike Horn

Alors qu’au début de cet article, je te disais que la procrastination était capable d‘engloutir tes rêves, tes projets, voire ta vie… Et bien, imagine juste ce qu’une discipline naturelle est capable d’accomplir pour toi.

Dès aujourd’hui, choisis ton camp.

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Yann Costa

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