Election présidentielle au Rwanda: l’enjeu de la “2e voie” pour l’Afrique francophone.

Yann Gwet
4 min readJul 13, 2017

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Le 4 Août prochain, le peuple rwandais est appelé aux urnes pour élire son prochain Président. Le chef de l’Etat sortant, Paul Kagame, sera opposé à Frank Habineza, le leader du Parti Démocratique Vert du Rwanda, et à Philippe Mpayimana, un candidat indépendant. Peu importe les qualités des adversaires du leader du Front Patriotique Rwandais (FPR), le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’auront pas tâche facile. Dans l’esprit de nombreux rwandais, le candidat du FPR est un héros. A la tête de l’armée patriotique rwandaise, il a mis un terme au génocide des Tutsis en 1994, et dès 2000, année de son accession à la tête de l’Etat rwandais, il a présidé à la plus improbable transformation économique de l’histoire récente. C’est simple : en 1994, le Rwanda était un gigantesque champ de ruines : des centaines de milliers de cadavres jonchaient le sol et faisaient le bonheur des chiens errants ; pas d’eau, pas d’électricité, pas d’essence, plus aucune école ni aucun hôpital, pas même la moindre boutique de quartier ; les plantations avaient été ravagées, les maisons pillées ; la famine sévissait dans le pays. Dans le film « Inkontanyi », paru récemment et réalisé par le français Christophe Cotteret, qui raconte l’épopée de la libération du Rwanda, celui qui était alors le Général Kagame résume ainsi la situation : « le pays sentait la mort ».

Pourtant, en l’espace de 17 ans, la proportion de rwandais vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 60% à 35%, et l’espérance de vie de 48 à 63 ans. D’après un rapport du World Economic Forum publié en Avril 2017, le Rwanda est le 9e pays le plus sûr au monde, et selon l’Indice 2016 de Perception de la corruption de l’ONG Transparency International, le 3e pays le moins corrompu d’Afrique. Ceci dit, comme l’a reconnu Paul Kagame le 4 Juillet dernier, au cours de la cérémonie officielle marquant le 23e anniversaire de la Libération du pays, le chemin est encore long: la pauvreté reste en effet une réalité pour de nombreux rwandais et la “prochaine étape de la Libération”.

Bien entendu, l’élection à venir au Rwanda est d’abord une affaire rwandaise. Mais l’Afrique francophone aurait tort de ne pas s’y intéresser. La vague des Indépendances sur le continent avait suscité un profond espoir dans le cœur des masses africaines, mais le réveil fut douloureux : des expériences politiques prometteuses, à défaut d’être parfaites, ont été brutalement interrompues dans plusieurs pays (assassinats de leaders politiques, etc.) et progressivement des régimes de type néocoloniaux leur ont été substitués. Les pouvoirs qui ont été défaits étaient socialistes, anti-impérialistes, et panafricains. Leur socialisme exprimait avant tout le souci des plus pauvres et l’ambition d’une société égalitaire (dénuée de corruption). Leur anti-impérialisme exprimait leur conviction que la souveraineté est en réalité la condition d’une véritable démocratie et le fondement d’une politique émancipatrice. Leur panafricanisme reconnaissait que l’unité de l’Afrique est une utopie nécessaire pour parachever la libération du continent.

60 années après l’amorce de cette vague d’indépendances, le bilan des régimes néocoloniaux d’Afrique francophone est sans appel: corrompus, moribonds, souvent illégitimes, dépendant de puissances étrangères pour leur sécurité et pour certains du FMI pour leurs finances, ils désespèrent et déshonorent leurs peuples. C’est à croire que cette voie est, pour nous africains francophones, la seule possible. Pourtant non. Le Président rwandais incarne bien une alternative, une « deuxième voie ». Cette alternative est une forme rénovée de ces expériences prometteuses mais souvent brèves qui ont essaimé jusqu’au milieu des années 80 en Afrique. De ses glorieux prédécesseurs (Sankara, Nkrumah, Julius Nyerere,…) il a conservé un anti-impérialisme de bon aloi et le souci de la justice sociale et d’une forme de cohésion nationale (plus de « Tutsis » ni de « Hutus » mais des rwandais). Mais il s’en distingue par un pragmatisme économique qui donne au Rwanda davantage de chances de succès économique.

Pour l’Afrique francophone, il est important que cette « deuxième voie » existe, et si possible qu’elle réussisse. Son succès montrerait que des Etats forts, légitimes, efficaces, sont possibles en Afrique francophone et que la corruption, la pauvreté et le tribalisme n’y sont en rien une fatalité. Il inspirerait forcément une partie de la prochaine génération de leaders politiques sur le continent. L’importance croissante de Paul Kagame au sein de l’Union Africaine prouve d’ores et déjà le pouvoir d’attraction de cette « deuxième voie ». Nous sommes donc peut-être à la veille de l’émergence d’un contrepoids, d’abord idéologique et ensuite politique, à la domination du paradigme néocolonial en Afrique francophone. C’est pour cette raison que l’issue de l’élection rwandaise est importante pour la partie francophone de l’Afrique. Une victoire de Paul Kagame (plus que probable) le 4 Août prochain signifierait en fait la poursuite de cette « deuxième voie ». Et donc la survivance de l’idée qu’une autre Afrique (francophone) est bel et bien possible.

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