Tous ces défis sportifs. Pourquoi ?

Yannig Roth
10 min readJun 27, 2016

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« Tu m’impressionnes. Ça n’a aucun sens pour moi, mais tu m’impressionnes » m’a dit Jean-Marc samedi dernier. Je venais de nager 2km dans le Canal de Nantes à Brest et je m’apprêtais à repartir dans l’autre sens pour finir les 4km de natation que je m’étais fixés comme entraînement du jour. C’était une blague de sa part, mais cette blague m’a fait réfléchir.

Entraînement en eaux libres, dans le canal de Nantes à Brest (2016)

Pendant le retour, je me suis demandé quel sens ça avait pour moi de faire du sport, de consentir à tant d’efforts, de m’entraîner autant dans l’objectif de boucler mon 2ème IronMan alors même que j’ai une vie personnelle et professionnelle bien remplie.

« Ça n’a aucun sens pour moi. »

Pourquoi cela en a-t-il autant pour moi et aussi peu — aucun — pour lui ?

Jean-Marc, boulanger dans le village où j’ai grandi, lui aussi a une vie bien remplie. Il se lève tôt pour faire du pain et des pâtisseries bio, il arpente les marchés de la région pour vendre sa production, il rénove sa maison, il a une famille et beaucoup d’amis dans le village.

Samedi, il était avec ses deux jeunes enfants, avec qui il pique-niquait et jouait au bord du canal. Quel ne fut pas leur étonnement quand ils ont vu un nageur en Néoprène sortir de l’eau et repartir dans l’autre sens, juste pour le plaisir ?

Pourquoi fais-je ça ? Quel sens est-ce que ça a de m’entraîner, de m’entretenir, de me fixer des défis qui constituent à la fois une contrainte et un plaisir ?

Je ne sais pas trop.

Avant, la performance ; aujourd’hui, le défi.

Ce qui est sûr, c’est que je ne le fais pas pour les mêmes raisons que lorsque j’étais plus jeune, dans mes années étudiantes.

Je me rappelle que j’avais une énergie, une volonté, une envie de faire du sport sans même avoir à me fixer des défis ou à me préparer pour une épreuve. J’étais heureux après une grande sortie à vélo, parce que je m’étais dépensé et j’avais coché une case nécessaire de mon plan d’entraînement.

Je n’avais pas trop de mal à me lever le matin, car il n’y avait pas de meilleure chose à faire que de s’entraîner — même après une soirée arrosée. J’étais motivé, volontaire, et fier de faire partie de cette classe de ceux qui font les efforts que les autres n’auraient fait pour rien au monde.

Ce qui comptait était l’entretien de la forme et la capacité à être performant quel qu’en soit le prix. J’étais prêt à accepter les nuits courtes après des soirées animées, les sorties matinales dans la nuit d’hiver, le mal de jambes la journée. J’avais fait mon entraînement, je me sentais performant, je serai prêt pour la prochaine course.

Echappé solitaire au Championat de Floride (2010)

Aujourd’hui, c’est différent. Je ne recherche plus la performance à tout prix.

J’ai mis du temps à franchir le cap, car lorsqu’on est dans cet état d’esprit, on a du mal à s’en défaire. Quand on cherche à être performant, chaque semaine est planifiée, chaque entraînement est mesuré, chaque course est chronométrée, chaque résultat est analysé. C’est grisant, mais ça peut devenir très frustrant, surtout lorsque vous cessez de vous améliorer. Ou lorsque votre motivation d’avant vous lâche peu à peu. Les réveils sont plus difficiles, les entraînements moins violents, la récupération plus longue, le corps moins tonique et plus lourd.

J’ai vécu cette phase et je pense que je la vis encore, car je n’ai de cesse de me comparer à moi-même les années précédentes. Mais je parviens aussi à me convaincre que rien ne sert de regarder le passé, idéalisé, de se comparer à des performances atteintes dans des conditions différentes, et qu’il faut trouver un plaisir personnel à sa pratique sportive.

Aujourd’hui j’essaye de prendre du plaisir dans les entraînements et les compétitions, sans penser au classement ni au chronomètre. Ce n’est pas toujours facile — surtout à l’entraînement — parce que le Blerch vous rappelle que la couette est plus confortable que l’extérieur, que le repos est plus agréable que l’effort, et que le copieux petit déjeuner serait au moins aussi savoureux sans sortie d’entraînement auparavant.

La côte bretonne, les copains, et toujours le Blerch pour nous poursuivre

Mais il faut l’apprivoiser, ce petit démon, et se dire que les endorphines vont le faire disparaître un temps. Un temps seulement, car à la prochaine sonnerie de réveil il sera là à nouveau, avec de nouveaux arguments pour vous convaincre de plonger dans les draps plutôt que dans le bassin de 50m. Parfois, il gagne.

Souvent, c’est moi qui gagne. Et quand je gagne, je me rapproche du but que je me suis fixé en me lançant mon défi à la base. Pour cette année, c’est de finir EmbrunMan 2016 en ayant pris du plaisir. La performance, j’y ai pensé il y a 3 ans pour mon premier IronMan. Cette année, je veux simplement prendre du plaisir, ne pas subir, ne pas avoir trop mal.

Eviter la douleur : force ou faiblesse ?

Et ceci fait écho à une deuxième pensée qui m’est venu pendant le trajet retour, en nageant dans le canal. Si je fais tout ça pour ne pas subir, pour prendre du plaisir le jour J, cela ne traduirait-il pas une appréhension de la douleur, un refus de la difficulté, une peur d’échouer, une volonté de tout maîtriser ?

Adoptons un point de vue quasi-anthropologique : nous sommes des animaux — sociaux, certes — mais nous ne sommes en rien supérieurs aux autres êtres vivants sur cette terre. Nous cherchons à vivre, à nous reproduire, à être en sécurité, à survivre. Malgré le confort de nos vies, notre instinct grégaire nous pousse toujours à être paré face au danger, à fuir ou à pouvoir nous défendre en cas d’agression.

Je pense souvent au fait que l’entretien du corps et des facultés physiques améliore les chances de survie si le monde devenait dangereux à nouveau. Si je sais marcher, courir, nager sur des longues distances, alors je suis prêt à affronter toutes les situations.

Si ma voiture me lâche, je peux compter sur la force de mes jambes pour marcher. Si l’ascenseur de l’immeuble est en panne, je pourrai monter les 15 étages à pied tous les jours. Si je devais aller tout en haut de cette montagne que je vois devant moi, je pourrai y monter sans prendre le téléphérique. Si un copain me propose un IronMan, j’aurai la liberté de décider.

Mais outre cette liberté d’action, cette résistance aux aléas de la vie, cette volonté d’indépendance face aux éléments sans avoir recours aux techniques contemporaines, est-ce que je m’entraîne pour le plaisir de (me) bouger ou par peur d’en être incapable si je m’arrête ?

Est-ce que j’aime la souffrance que peut amener la pratique sportive ou — au contraire — est-ce que je fais tout mon possible pour l’éviter en perfectionnant ma forme ? Tout cet entraînement n’est-il pas un vaste plan de minimisation du risque d’inconfort ? Je n’ai pas de réponse à ces questions.

Je suis convaincu que la régularité de la pratique sportive amène une force physique et mentale, mais je n’arrive pas à déterminer si la raison pour laquelle je m’y adonne a une origine « offensive » (augmentation des capacités, développement de la force) ou « défensive » (réduction des dangers, refus d’être faible).

Pour entretenir son corps, donc ?

Cela reviendrait-il à l’entretien des capacités physiques ? Evidemment, faire du sport, c’est entretenir son corps en faisant travailler ses muscles, en brûlant des calories, en faisant travailler les poumons et le coeur, en renforçant ses articulations.

Tout ça n’est pas vital, mais ça peut être très utile. Utile pour quoi ? Pour affronter le quotidien ? On a déjà abordé ce point ; aujourd’hui on peut vivre et survivre sans être sportif.

Le coureur derrière nous fait probablement du sport pour être beau. Titus — coureur de fond — et moi — cycliste — tournions notre apparence à la dérision (Pensacola, 2010).

Utile afin de faire le beau sur la plage ? Je ne suis pas sûr que ça fasse partie de mes motivations. Je ne connais pas de sportif d’endurance qui le fasse pour l’apparence physique. D’ailleurs, alors même que la pratique sportive intensive entretient le corps, elle ne le met pas toujours en valeur.

On est mince, parfois trop mince, mais dans un souci de performance et pas d’esthétique. On est bronzé, mais avec des traces de bronzage pas très élégantes. On est musclé, mais on n’a pas une silhouette en V. On a un gros coeur et des poumons performants, mais personne ne le voit. On brûle des calories, mais le faire pour la simple dépense énergétique serait une erreur.

Après, même si on ne se fixe pas des défis sportifs pour soigner son apparence, on le fait néanmoins parce qu’on a conscience de notre corps et qu’on aime le sentir fonctionner. Personnellement, quand je fais du sport, je me sens vivre.

Je ressens l’air sur ma peau et dans mes poumons, sens mes membres s’articuler, je ressens le contact avec l’élément qui me porte (une route, un sentier, un vélo, un cours d’eau…), je ressens la douleur dans les muscles, je prends conscience de leur récupération après l’effort. Si je vis quand je suis en mouvement, est-ce que je meurs quand je cesse ? Evidemment, non.

Mais je vis moins. Ma dizaine d’années de pratique sportive m’ont fait réaliser que le sport n’est qu’un prétexte à vivre des sensations pour me sentir bien. L’entretien du corps est un effet secondaire, fortement lié aux sensations ressenties, mais fondamentalement ça n’est pas la raison pour laquelle je fais tout ça, Jean-Marc.

Prendre du plaisir, tout simplement

Le sport manque rapidement au sportif. Cette sensation de liberté : une aisance en début de jogging, des premiers coups de pédale, la première longueur nagée à cadence élevée avant que le souffle ne limite l’effort à un rythme plus raisonnable. Quand on est amateur, on a la chance de faire du sport pour le plaisir des sensations, et en s’arrêtant dès qu’on en a envie.

Ce jour-là, les sensations n’étaient pas bonnes, mais les paysages magnifiques

Et quand on n’est pas dans un bon jour, si on a la chance d’être dans un bel endroit, on peut juste s’arrêter pour marcher un peu et prendre quelques photos. On peut envoyer un SMS à sa fiancée pour partager la beauté ambiante, on peut plaisanter avec les copains, ou on peut baisser la tête et avancer en mettant ses pensées de côté.

Et le plaisir peut-être aussi très égoïste aussi. Courir/rouler/nager c’est excellent moyen de remettre de l’ordre dans sa tête, de réfléchir à des solutions, de trier l’important et l’anecdotique. Faire du sport, c’est un peu comme secouer un tamis pour laisser s’échapper la boue, garder les cailloux et — qui sait — trouver des pépites.

Il m’arrive de me dire que je ne vais pas faire du sport, je vais faire le vide et avoir des idées. C’est un peu l’heure quotidienne de réflexion. Si je n’avais pas eu 2km de natation après la question de Jean-Marc sur le sens de cette pratique sportive, je n’y aurais peut-être jamais réfléchi autant. C’est important de réfléchir.

Pour savoir si mon ressenti est juste, ou s’il est similaire à celui des champions, ou s’il y a quelque-chose auquel je n’ai pas pensé, quoi de mieux que de savoir ce qui fait courir les champions ? Ceux dont la pratique constitue le quotidien et même le métier ? Qu’est-ce qui les fait tenir?

Et Kilian Jornet, pourquoi court-il ?

Dans Courir ou Mourir, Kilian Jornet raconte sa traversée des Pyrénées d’ouest en est, il écrit au sujet de sa participation au Tahoe Rim Trail, il relate son record d’ascension et de descente du Kilimandjaro, et il aborde ses motivations à maintes reprises.

Simon Mtui et Kilian Jornet, lors du record d’ascension & descente du Kilimandjaro par ce dernier en 2010 (image Stephan Repke, via Tanzania Trail Running)

Page 190 : “A quoi cela sert-il ? A rien du tout. Mais ce que mon corps a appris à faire, et la façon dont mon esprit m’a permis de conserver ma motivation et ma concentration durant tout ce temps alors que je pensais que c’était impossible, oui, cela me sert. Et ça me permet de savoir ce que je peux supporter. […] L’important n’est pas le résultat, mais le chemin emprunté pour y parvenir.

Page 215 : “Je crois qu’il n’y a aucune raison à tout cela. Je pourrais avancer l’excuse que j’aime la poussée d’endorphines qu’apporte la fatigue, que j’ai besoin de ressentir sans cesse l’émotion de la victoire ou celle de contempler des paysages magnifiques. Je pourrais prétendre que je cours pour le bien-être que cela me procure, pour ma santé, ou dire que ça me permet d’oublier mes problèmes. […] Peut-être est-ce pour retrouver l’esprit chevaleresque disparu de nos vies quotidiennes. […] Non, je crois simplement que je cours parce que j’aime ça. Je jouis de chaque instant et la raison m’importe peu.

Moi aussi j’aime ça, c’est pour cela que je me fixe ces défis.

Par contre, je ne jouis pas de chaque instant — certains instants sont pénibles, difficiles, et il faut savoir souffler quand on a un quotidien rempli d’autres responsabilités. La raison m’importe elle aussi — sinon je n’aurais pas écrit ces lignes.

Mais j’y voir un peu plus clair maintenant. Je ne fais pas cela pour impressionner Jean-Marc, le boulanger breton, ni personne d’autre (même si c’est agréable de ressentir l’admiration des autres). Je fais ça parce que j’y prends du plaisir et que cela cultive chez moi un sens d’indépendance et de liberté, et que je me sens vivre en mouvement.

Et vous, pourquoi vous fixez-vous des défis sportifs ? Pourquoi — à l’inverse — vous ne le feriez pas ?

A vélo, entre Paris et Chartres (2016)

Allez, bonne route.

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Yannig Roth

I’m a Full-Time Marketer, Former Academic, Occasional Teacher and a Passionate Athlete.