Le PIB, ce mauvais indicateur

Abbas Abouchene
7 min readOct 27, 2020

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Source : Bourse News

Aujourd’hui, pour mesurer la richesse d’un pays, les analystes se contentent seulement du Produit Intérieur Brut (PIB) ; alors que cet indicateur présente de nombreuses limites. C’est un mauvais indicateur. Tous les économistes l’admettent. Alors, pourquoi l’utilisation du PIB est-elle encore très répandue ? Quelles sont réellement les limites de cet indicateur ? A quel point sa mesure est désastreuse pour les pays en développement ? Quelles sont les alternatives qui existent ? Analysons!

Les limites du PIB

“Le PIB n’est pas une bonne mesure. Le PIB ne prend pas en compte les inégalités, le manque de résilience, le manque de durabilité.” Stiglitz, 2020

Alors que toutes les économies du monde, frappées par la crise de la COVID-19, se lancent dans une course de relance (croissance) économique sans précédent, les défenseurs de l’environnement sonnent le tocsin sur la protection de celui-ci. C’est dans cette perspective que l’économiste américain Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, affirmait récemment dans un entretien à l’AFP que “Le PIB n’est pas une bonne mesure. Le PIB ne prend pas en compte les inégalités, le manque de résilience, le manque de durabilité”. La voix de Stiglitz n’est pas la seule, et elle n’est pas des moindres non plus. Ce que souligne cet ancien chef économiste à la Banque mondiale n’est que la partie immergée de l’iceberg.

Le P.I.B. par habitant est la somme de la valeur ajoutée d’un pays par rapport à sa population, pendant une période donnée. C’est ainsi que nous martelaient nos enseignants pour définir cet indicateur. Mais la définition même de cet indicateur dégage ses limites. Relisez. En effet, l’indicateur ne tient pas compte du niveau des inégalités. Pour cela, illustrons un exemple avec l’indice de Gini. Un pays ayant un indice de Gini proche de 1 — inégalité très élevée — pourrait être mieux classé qu’un pays où le même indice est proche de 0 — inégalité faible. En français facile : prenons l’exemple d’un pays A où il y a une poignée de riches mais un grand nombre de pauvres (pays inégalitaire) ; et un pays B où il n’y a pas une grande disproportionnalité entre riches et pauvres (faible inégalité). Si les riches du pays A sont bien plus riches que ceux du pays B, A serait mieux classé alors que B est “riche et égalitaire”.

  • Le PIB ne prend pas en compte la variation du taux de change. Il est toujours mesuré en dollars. Des pays ayant de monnaies différentes, un pouvoir d’achat différent, se contenteront du dollar comme comparateur. D’où la nécessité de s’exprimer en terme de Parité de pouvoir d’achat (PPA). Nous y reviendrons plus loin.

Les pays en développement : premières victimes du PIB ?

De prime abord, les limites citées ci-haut affectent aussi bien les pays avancés que les pays en développement (PED). Mais pour les PED, cet indicateur de comparaison sévit plus encore. Décrivons :

  • Le PIB n’inclut pas dans ses calculs l’économie dite souterraine : Le secteur informel, c’est-à-dire tout ce qui échappe au regard de la comptabilité nationale, n’est pas pris en compte dans les calculs du PIB. Et c’est là où le bât blesse : ce secteur représente une part très importante dans les PED, environ 80% de l’activité économique. Désastreux, n’est-ce pas !
  • Le PIB néglige le bénévolat, le travail non rémunéré, le travail que l’on fait pour soi-même, le service rendu, etc. pour ne citer que ceux-là ! Le bénévolat est une activité importante dans toutes les économies du monde et en particulier dans les pays les moins avancés. Dans ces pays, beaucoup de personnes prennent en charge plusieurs familles ; les services rendus “sans retour” sont légions.
  • La sous-estimation du taux de change entre les pays, est encore plus dévastatrice pour les pays en voie de développement. Journalistes, hommes politiques, et certains économistes, étiquettent souvent, lamentablement, les PED par ce genre de langage “Dans ces pays, une personne vit avec moins de 2$ par jour”. Alors que 2 dollars par jour, dans un pays comme le Tchad ou la Guinée, a bien plus de valeurs que dans des pays comme les USA ou la France. Ceci ne veut pas dire que 2$ par jour est suffisant dans les PED, mais est mieux que sa représentation caricaturale.

Les limites du Produit intérieur brut sont nombreuses. Sans être prolixes, nous allons nous contenter justes d’en citer d’autres : le PIB ne tient pas compte des dégâts causés à l’environnement, des effets d’une catastrophe naturelle, des conflits, du bien-être et de l’harmonie des peuples ou encore de la qualité de vie.

Quelles alternatives au PIB ?

Tous les économistes sont conscients des importantes limites du PIB ; et grand nombre d’entre eux se contente de l’utiliser sous prétexte qu’il n’y aurait pas mieux.

  • L’économiste Indien Amartya Sen, par ailleurs prix Nobel d’économie 1998, est célèbre pour ses travaux sur l’Indice du Développement Humain (IDH). Utilisé depuis 1990 par le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), cet indicateur combine le PIB par habitant (mesurant le niveau de vie), l’espérance de vie à la naissance (tenant compte de la santé/la longévité) et le niveau d’éducation. Il s’agit d’un indice composite, sans dimension, compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent).
  • En 1989, les économistes John Cobb et Herman Daly pensent l’Indice de Bien-être Durable (IBED) pour tenir compte de plusieurs paramètres, notamment la dégradation de l’environnement.
  • L’Organisation de Coopération et Développement Economique (OCDE) a créé en 2011 le Better Life Index (BLI), ou l’Indicateur du vivre mieux. Cet indicateur “permet aux individus de comparer les pays selon leur propres préférences au moyen de 11 thèmes considérés comme essentiels au bien-être”.
  • Le Social Progress Index est un indice synthétique créé dans le but de montrer le développement humain d’un pays. Il est basé sur trois axes incluant 52 indicateurs : 1)Les besoins de base (Basic Human Needs), basés sur l’alimentation, la santé, l’assainissement, le logement, l’accès à l’électricité, la sécurité, etc. 2) Les fondations au bien-être (Foundations of Well-being), basées sur l’alphabétisation, l’éducation, l’accès aux médias, l’espérance de vie, le taux de suicide, l’obésité ou encore la pollution et l’environnement. 3) Les opportunités (Opportunity), basées sur les droits politiques, de propriété, la corruption, la tolérance sociale, l’accès à l’éducation supérieure, etc.
  • L’indice du Bonheur National Brut est un indicateur unique développé à partir de 33 indicateurs classés dans neuf domaines : le bien-être psychologique, la santé, l’éducation, l’utilisation du temps, la diversité et la résilience culturelles, la bonne gouvernance, la vitalité communautaire, la diversité et la résilience écologiques et le niveau de vie.
  • L’épargne nette ajustée est un indicateur de soutenabilité mis au point par la Banque mondiale pour exprimer la variation du capital économique, humain et naturel d’un pays à l’issue d’un cycle de production. A partir de la mesure standard de l’épargne nationale brute, il procède à quatre types d’ajustements : déduction de la consommation de capital fixe, ajout des investissements en capital humain (assimilés aux dépenses d’éducation), déduction de la baisse des stocks de ressources naturelles consommées (énergie, minerais, forêts) et des dommages causés par la pollution (dont les émissions de CO2).
  • La mise en place d’un indicateur spécifique à chaque économie est également fondamentale. L’initiative « Mesures du progrès de l’Australie » est un exemple illustratif. Portée par le Bureau Australien des Statistiques pour répondre à la question de l’amélioration de la vie en Australie, cette initiative ne constitue pas un indicateur mais un set de 26 indicateurs sur la société, l’économie, l’environnement et la gouvernance.
  • En 2015 la New Economic Foundation avait proposé cinq indicateurs qui pourraient remplacer le PIB : 1) Emplois de qualité : indicateur qui se traduit par la part de la population ayant un emploi stable et rémunéré au moins à hauteur du minimum vital. 2) Bien-être : indicateur subjectif sur l’appréciation de la qualité de vie (présent dans la plupart des enquêtes socioéconomiques), évalué sur une échelle de 0 à 10. 3) Environnement : indicateur sur les émissions de CO2, devant être inférieurs de 2% à la limite établie pour éviter les effets négatifs du changement climatique. 4) Equité : indicateur se basant sur le ratio entre la moyenne des revenus après taxes des 10% des ménages les plus riches et les 10% les moins riches. 5) Santé : indicateur basé sur la part des « décès évités » à travers des soins de santé de qualité et des services de santé publique (permettre de capter la qualité des interventions de santé à travers la prévention également et non pas seulement le traitement).

En dépit de ces quelques indicateurs, nous devons aller plus loin. Trouver un modèle qui inclut les conditions de vie des individus, mesurant réellement les performances économiques et répondant à l’intérêt collectif. Par exemple, sur la complexité du taux de change : s’intéresser davantage à la Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) des populations. La PPA, dépendant du coût de vie des habitants d’un pays, permet de comparer réellement le pouvoir d’achat de différents pays. Chose que le taux de change nominal, seul, ne saurait décrire.

Une chose évidente: la science économique continue dans sa quête d’expliquer et de trouver des solutions aux problèmes de la société. D’où l’apparition de plusieurs branches, notamment l’économie de l’environnement, l’économie du bonheur, du bien-être, l’économie de la santé…

Enfin, le PIB, malgré ses nombreuses limites, l’on doit l’admettre, permet aux décideurs d’analyser leurs politiques et projets de société.

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