Les mots qui nous ouvrent l’esprit #2 : TUPOS

Claire Monfort
Nouvelles Portes.
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9 min readAug 19, 2019

Mot grec ancien

Suite à mon 1er article sur “Les mots qui ouvrent l’esprit” (à lire ici) je souhaite partager aujourd’hui un 2ème mot que j’affectionne particulièrement. Il est lui aussi une invitation à la rencontre de l’autre, il nous fait réaliser à quel point les autres nous touchent, nous façonnent au plus profond de nous même pour y laisse leur empreinte.

___________________ Tupos _________________

________________________ * Mot grec ancien* ______________________

Tupos signifie littéralement laisser sa marque, une image. Ça peut être celle d’un sceau, d’une impression ou celle d’une empreinte dans le sable.

Cependant Tupos a une double signification, une subtilité que je lui préfère, qui reste cependant en lien avec son sens originel, Tupos représente également

__ notre image qui brille dans les yeux de l’autre quand on regarde de très près __

Cela vous arrive-t-il souvent de regarder l’autre de si près que vous pouvez vous y voir ? Si c’est rare que cela révèle-t-il de nos relations ? Regarder c’est comme respirer, on n’y pense plus : dézoomons un peu

La signification de Tupos : tout un voyage …

Notre regard, ce langage universel

J’ai appris l’importance du regard pour la 1ère fois en apnée lors d’un de mes cours de plongée sous marine qui a mal tourné.

J’avais avalé de l’eau lors d’un exercice à 3 mètres de profondeur, prise de panique j’ai voulu remonter rapidement à la surface ce qui peut être dangereux en plongée, mais dans l’incapacité de se parler et avec nos corps au ralenti, la seule façon pour mon moniteur de m’éviter de faire une bêtise a été de littéralement me choper du regard pour ne plus le lacher. C’était un braquage oculaire. Nous étions éloignés l’un de l’autre, mais avec ses yeux, c’était comme s’il était à côté de moi à me tenir la main et très vite on créa dialogue silencieux assez intense du à ma panique. Je lui disais__”Ne me lâche pas, s’il te plait ne me lâche pas” lui me répondait __“Tout va bien se passer, je suis là, respire”

Et nous sommes restés là, en apesanteur, à nous regarder fixement, à dialoguer secrètement, et ce qui nous entourait finit petit à petit par disparaitre, plus de son, plus de mouvement, sauf celui de nos cheveux en flottaison***moment suspendu.

Son regard était mon ancrage celui qui m’a ramené petit à petit vers mon calme intérieur pour enfin pouvoir continuer les exercices. Ce moment m’a marqué plusieurs jours durant.

Je venais de découvrir la puissance du regard et par la même occasion une nouvelle porte de discussion.

En voyageant pendant 1 an à l’étranger, j’ai appris par mes expériences qu’il existe 3 grands langages universels

__le sourire __le toucher__ et __le regard.

Malaisie __ @claire_voyage

Notre regard, ce lien à notre humanité commune

Cette fois-ci, c’est en Namibie que j’ai compris que notre regard portait notre unité commune.

C’était malheureusement lors d’une scène désolante de tourisme dans un petit village Himbas. Seuls avec notre guide, l’ambiance était calme lorsqu’un car de touristes débarqua en plein milieu de la place du village. Le bus semblait géant à côté des habitations en terre cuite, une vingtaine de touristes asiatiques descendit habillés comme des cosmonautes afin qu’aucun bout de peau ne soit visible du soleil. Téléobjectif dans une main, liasse de billets dans l’autre. Ils jetaient leur argent aux pieds des Himbas s’offrant ainsi la possibilité de disposer d’eux pour des clichés photographiques. L’un deux attrapa par le poignet la femme avec qui je parlais, coupant par la même occasion brusquement notre conversation, pour lui imposer son selfie. Une insulte à la pudeur. C’est alors que j’ai alors croisé le regard d’une femme Himbas qui était un peu plus loin.

On s’est regardées,

on s’est comprises.

En quelques secondes j’ai partagé sa peine, sa fatigue, nous nous comprenions et ensemble nous souffrions. Ça m’a touché en plein coeur, tout s’est dit dans cet instant silencieux, et nous, si différentes, ne parlant pas la même langue, dans la peine et la compassion nous nous étions retrouvées dans notre humanité commune.

Il y a des regards qui sont des langages, il y a des regards en disent long, il y a des regards qui nous relient.

C’était triste, c’était beau et c’était elle :

Namibie __ @claire_voyage

Notre regard, une réelle connexion à l’autre

On dit de Barack Obama et du Dalaï-lama qu’ils nous donnent la sensation d‘être la personne la plus importante lorsqu’on leur parle. Ils sont en présence, ils nous écoutent, ils nous regardent.

Regarder l’autre dans les yeux, c’est s’intéresser à lui, l’écouter, l’observer, c’est essayer de le comprendre et d’accompagner sa pensée. C’est certes la promesse d’une meilleure conversation, mais surtout d’une réelle expérience de contact humain

Je pense que l’un de nos problèmes relationnels vient souvent du manque de qualité de nos relations, d’un réel échange en présence. On écoute mais on entend pas, on regard mais on fait pas attention. On peut être physiquement présent, mais psychologiquement absent ce qui donne ce sentiment paradoxal d’être entouré et de se sentir seul.

C’est pour cette raison que des mouvements comme les Eyes Contact s’organisent un peu partout pour recréer du lien —aller au devant de l’inconnu, se connecter avec profondeur à l’autre

C’est certes très hippie mais je fais partie de ceux qui pensent que les hippies ont, en partie, raison !

Se regarder dans les yeux un acte de vulnérabilité et de courage

Pour écrire cet article j’ai demandé à certaines personnes s’ils étaient d’accord de faire un Eyes contact avec moi. Elles en étaient pour la plupart incapables lorsque ma demande était improvisée. Pourtant de prime abord, ça semble facile il suffit de s’arrêter et de se regarder dans les yeux; cela et ne nécessite aucun matériel au préalable, aucune organisation. Mais pour pouvoir faire l’expérience elles devaient se préparer psychologiquement. Pourquoi ?

Se regarder dans les yeux c’est faire tomber le masque, les yeux ont quelque chose qui ne trahit pas, ils pourraient presque suffire. Ils sont une fenêtre sur nos pensées et notre coeur qui nous montrent tel que nous sommes; c’est donc être au plus proche de sa vulnérabilité.

Regarder l’autre dans les yeux demande donc une forme de courage, mais aussi de bienveillance et de générosité. Quand on plonge son regard dans celui de l’autre, ça n’est pas simplement recevoir, c’est aussi offrir. C’est un échange et on doit aussi donner, le mettre en confiance, l’aimer. Se regarder dans les yeux ouvre une porte en grand, on est plus attentif, plus en lien et plus touchée par l’autre.

Puis vient le moment ou dans les yeux de l’autre, on comprend qu’on n’est pas si différent de lui, et qu’au final, à bien y regarder de plus près c’est nous que nous retrouvons. *Tupos

Notre regard, celui que l’on pose sur l’autre

J’aimerais parler de 2 expériences que j’aime bien

La 1ere est une expérience scientifique qui montre que le regard que l’on porte sur une personne conditionne en partie son comportement. On appelle ça “L’effet pygmalion”. Par exemple si un professeur est convaincu que ses élèves sont capables de réussir, ils auront de meilleurs résultats. Si un parent dit de son fils qu’il est maladroit, celui-ci aura tendance à l’être. Si on est persuadé d’être mauvais en cuisine, on a plus de risques de rater ses recettes, etc. Le comportement d’une personne est en partie influencé par le regard que pose son entourage sur elle ou la façon dont elle-même se voit.

La 2e est une expérience de mécanique quantique qui montre l’influence de l’observateur sur un résultat

À l’échelle subatomique, l’observation semble déterminer le comportement des éléments. -avec l’observation- les particules se comportent comme des particules -sans- elles sont des ondes. Pour cette raison, il y a 2 lois de l’évolution des systèmes physiques : une quand on l’observe et une autre quand on ne regarde pas — en réalité quand on y pense c’est un peu fou.

Qu’est ce que cela révèle t-il ?

Notre regard est créateur

On façonne notre monde par le regard qu’on y pose. Notre regard est créateur il est de la magie qui peut faire pousser des ailes comme être destructeur. En prendre simplement conscience me semble essentiel. Personnellement je veille le plus possible à être du côté des magiciens blancs et avoir un regard bienveillant sur les autres et envers moi-même. Que ça soit à titre de professeur pour mes élèves, mais aussi d’amie ou en tant que simple inconnue. J’aime révéler la beauté là où les autres ne la voit pas toujours comme les connaissances pointues d’un vendeur à la Biocop. J’ai senti que ça lui avait fait du bien que je luis dise, il m’a confié par la suite se sentir invisible et aux yeux de ses clients et de son patron.

C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs appartenances, et c’est aussi notre regard qui peut les libérer. A nous d’y veiller et de choisir notre position.

Non à l’indifférence !

C’est fou comme tout le monde se fout de l’indifférence !

C’est comme si ça ne posait de problème à personne d’autre qu’à moi! C’est ce que j’appelle une petite banalité du mal.

Si notre regard est créateur, son absence est destructeur. Sa définition de dans le Larousse pourrait être: “même pas t’existes”. L’indifférence est une arme silencieuse et sournoise qui révèle beaucoup de lâcheté. Elle est pire que la haine, elle tue à petit feu. On préfère une absence à une indifférence. Pour avoir grandi à Rennes, ville connue pour ses punks à chiens qui font la manche, ils m’ont appris que l’absence de regard est plus douloureuse que l’absence de pièces.

Je dis non à ces gares bondées ou on passe devant des SDF sans un regard ou un sourire, je dis non au “ghosting” et tous ces nouveaux mots devenues tristement tendances. L’indifférence est une paralysie de l’âme et le commencement d’un échec. S’indigner de l’indifférence c’est faire preuve de respect, de responsabilité et compassion envers les autres. Affirmer que l’autre existe, sans pour autant demander de l’aimer, est un préalable aux droits des hommes.

Regarde-moi dans les yeux si tu oses…

Semble nous murmurer Tupos.

À travers ce mot c’est un voyage qui s’ouvre sur les autres et sur nous même. Tupos nous fait réaliser à quel point les autres nous touches, nous façonne. L’autre est le prolongement de nous même, il est notre miroir et ce mot porte en lui, notre unité.

Alors, l’amour rend-il aveugle comme le dit l’adage?

Je ne sais pas, mais je sais que notre regard est une ligne directe vers le coeur, celui qui fait tomber les masques, et qui dans un murmure universel nous dit

“Je te vois

Je suis toi,

tu es moi,

merci,

viens comme tu es,

et

je t’aime.”

Pause musicale

Musique grec des années 50 — “Ti ‘ne Afto Pou To Lene Agapi

__Traduction : ”Quelle est cette chose qu’on appelle l’amour?”

Extrait musical de la playlist du disque d’or de la sonde Voyager 1 lancée par la NASA. Sa mission : explorer les confins de notre système solaire et porter le message de notre humanité.

__Musique du genre humain pour une rencontre d’un genre nouveau

Et toi ? Quelle trace voudrais-tu laisser en l’autre ?

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