Peter, Sultan, et le “Cirque du monde”

Clémentine à Bicyclette
Nouvelles Portes.
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7 min readFeb 3, 2017

Peter c’est un soir de pluie que je l’ai rencontrée.

Adossée contre le mur, la tête en l’air, je reprenais mon souffle, moi et mon sac de courses de 10 kilos du lundi, avant de m’attaquer à ce que j’appelle “la montée de la souffrance”.

Presque au bord de “l’attaque”, agenouillée au bas de la porte donnant à mes escaliers, car on vous l’aura surement dit, “fumer c’est pas bien… nin nin nin..!”, je tournais la tête sur la gauche, et un type titubant autant que moi, mais manifestement pas pour les mêmes raisons, veint se coller au mur face à moi!

C’est là que j’ai rencontré Peter.

La démarche tordue, penchant un peu sur la gauche, le regarde embrumé, et l’haleine parfumé au houblon il s’est arrêté, et droit, pas comme un I, mais plus comme Pise, il m’a dit :

« Bas qu’est-ce’tu fais lààà toi ! Hé bonsoir toi ! »

Peter, on dirait le fils adoptif d’un pirate avec la classe d’une femme “British” ! Il porte un béret vert à carreaux, il a une petite boucle d’oreille sur l’oreille droite avec une chaîne au bout de laquelle il y a une pierre.

Mais pas n’importe quelle pierre! : « Précieuse la pierre hein!” qu’il a l’habitude de dire !

Ce sur quoi je lui ai répondu la première fois : “Beaux caillou en effet! Précieuse vraiment…! Elle doit valoir une petite fortune dans ce cas !”

“Mais naaaan t’as pas compris p’tite! Elle est Précieuse oui,mais juste “pour moi!” … Je l’ai eu dans un cône surprise à la boulangerie! Je fais tomber toute les donzelles avec ça! Elle m’prenne pour un artist !!!” me dit-il en s’explosant de rire !

Peter ne sort jamais sans sa grosse veste noir en cuir, qui soit dit en passant à l’air de peser autant « qu’un âne mort » ! Et dans cette grosse veste en cuir se cache Sultan, le Yorkshire aux dreadlocks !

« Oui parce que tu comprends c’est chiant de lui couper tout le temps la mèche! Là au moins, ça pousse, mais ça gêne pas ! …. »

De son surnom « la bestiole », ça fait 8 ans qu’il squatte le blouson de Peter, car il a perdu sa patte gauche dans un combat de rue ! Pour le récompenser Peter lui a fait un tour de coup avec une médaille qui pendouille au bout!

“Bas c’est une sorte de vétéran finalement, pis tu vois, comme ça, chaque année ça nous fait une raison de faire la fête!”

N’essayé pas de demander à Peter où il habite, car chez lui, c’est toujours : « Là-bas pas loin à 200 mètres ». Que vous le croisiez à un endroit, ou à un autre d’ailleurs.

Un jour il me dit : « Tiens viens, assied toi à côté de moi, je t’emmène au Cirque » !

Sur un bout de trottoir, il m’à fait m’asseoir. De ma place, j’ai pu voir ce que lui, observait toute la journée. Des pas . Des pieds pressés, des bouts de vestes. Puis au bout de 10 min, il m’a dit : « Maintenant vas-y écoute, qu’est ce que ça dit? »

Et des grouillements de la foule, et des bruits de la ville, je finissais par distinguer des bouts de phrases, des bribes de conversations à la volées, des hurlements, des rires …Mais aussi des plaintes, du jugement, des moqueries…

On s’est tue quelques instants. De notre petite bulle agenouillé sur le pavé, c’était comme si je distinguais un nouveau monde. Ce qui est fou c’est qu’on en devenait presque invisible.

Il m’a dit: “ voilà, je te présente « le cirque de la vie » . Tu sais parfois quand je les regarde, j’aime bien imaginer qui ils sont , de quoi est faite leur vie, où ça va, comme ça, si pressés, sans même prendre le temps de regarder autour! »

On a discuté longuement ce jour là.

Peter c’était un ancien ingénieur, il avait travaillé 20 ans pour une entreprise qui avait fini par le licencier en lui disant qu’il ne “ rapportait pas assez” .

Un jour qu’il avait fait le point comme ça, il en a eu « Ras le béret » qu’il ma dit, et il a tout lâché . N’ayant plus d’argent pour vivre “comme les autres” il a fini par se retrouver « un peu comme ça », seul avec son chien .

« Quand j’avais ton âge, comme toi j’ai terminé mes études et je me suis dit, “non d’un chien ça va être foutrement triste, si après tout ça, je fini par faire un truc qui ne me plait pas”. Ça m’ennuyait de me dire que la où on est, pour être heureux il faut ramener de l’argent pour pouvoir avoir une vie sociale, qu’il en fallait aussi pour pouvoir se nicher dans un chez soi, partir un peu les week-ends .Tu vois, « la vie » quoi !

“Encore maintenant, des fois, je me demande comment en naissant tous aux mêmes endroits ont peu avoir plus tard des vies si différentes…Tu sais comme la phrase qui dit « t’es bien né ou mal né ». Moi j’avais toujours pensé qu’on naissait tous pareil! Tu me diras faut croire que je suis un peu naïf, j’en avais oublié les préceptes des “cultures” auxquelles ils ne faut pas toucher !”

Interrogative, je lui ai répondue : “ Mais comment ça, les cultures auxquelles ils ne faut pas toucher ? C’est à dire ?”

“Arf mais si tu sais!”.

Avec un petit rictus qui lui donnait un air malin, il fini par dire un peu sarcastique:

“La culture du moi, mais pas des autres, culture de l’égoïsme, culture du pouvoir, culture de l’argent, culture de la peur…”.

Je l’écoutait mais tout ça me foutait la frousse, comme l’impression qu’il m’énnoncait les vérités d’un monde…J’en faisait partie, je le savais, et ça commençait à me foutre le bourdon…

“Haha ne me fait pas cette tête!” me lançât-il!

“Ce que j’ai compris aussi, c’est que les cultures ça s’inventent! Du coup, vu que ça ne me convenait pas, j’en ai inventé d’autres! Oui c’est ça qui est bien avec les cultures, c’est qu’en réalité je pense qu’elles ne peuvent naître, et mourir qu’avec ton aide . En fait ce qui est bien c’est que tu peux choisir quoi…

Bon là comme ça tu pourrais pt-être pas m’croire, mais moi aussi je l’ai eu le “beau château sur la colline”, simplement, une fois que t’es tout seul dedans, parce que tu t’y es construis pleins de murailles,( bas oui, contre l’envahisseur tu comprends, culture de la peur et du pouvoir!) comme ça tout partout”, qu’il me dit, bras bien en l’air, “bas c’est bien moins folichon l’histoire…”.

“Mais je ne comprend pas, vous avez été riche ??”

“Oui! c’est juste que je ne m’en rendais pas compte… Je ne savais pas que quand je pensais que j’étais pauvre, en fait j’étais riche.

L’air un peu grave, il s’est retourné, puis à nouveau m’a regardé et m’a dit en souriant:

“Le gros château j’y est vécue pendant 20 ans, c’était là-bas, pas loin à 200 mètres… Un pt’i appart tu vois, tout tranquille avec Sultan qui courrait dedans, à l’époque ou il avait deux pattes le bougre !

Mais je trouvais ça à chier…

J’étais devenue un “extrémiste” des cultures . Oui parce que, être un peu égoïste c’est bien, il faut se préserver et se faire du bien à soi tu vois, mais ne penser qu’à sa trogne ça fait de toi quelqu’un de cassant, tout gris, ça finie par être aussi sec que du pain rassis à l’intérieure .Puis la peur de manquer, peur de ne pas y arriver, peur de ne pas être compris … Bref t’y fou tout dans un mixeur et le résultat c’est une bonne grosse mélasse bien moche, sauf que ce qui est emmerdant, c’est quand la grosse mélasse bien moche c’est toi.

Je pense pas qu’il faille arrêter de rêver tu vois, ni de s’imaginer de belles choses, seulement quand je pense à toutes celles que j’avais déjà, que je ne regardais pas, et que j’ai fini par ne plus voir, pour enfin, les mettre de côtés, je me dis que j’ai été un peu con…Les gens comme tout le reste d’ailleurs…

Bon ce qui est bien, c’est que je continue de rêver, je regarde les étoiles, je sent la pluie qui tombe , je fais la danse du soleil avec Sultan quand il fait beau, je refait le monde avec mon poto Hakim, je monte en haut sur la colline dans un spot que Sultan et moi on a trouvé. On se gave de la vue et on laisse le vent lui décoiffer sa mèche!

Et puis quand j’en ai marre, je vais dans un nouveau château, là-bas pas très loin...

Il se tue un instant, puis repris:

“J’vais pas arrêter de rêver, j’vais pas arrêter de vouloir faire mieux, mais cette fois-ci je vais essayer de voir si je peux pas partager mon chemin et voir si y’a pas quelqu’un à qui ça dit tu vois… Je veux juste plus ressembler à de la grosse mélasse …”.

Il me regardait avec bienfaisance, puis tout d’un coup se leva et lança:

“Allez viens, je t’emmène au cirque, le vrai cette fois, celui ou on va rêver de chevaux qui voles et de femmes étoiles planants dans les airs, de tableaux pleins de fleurs ou en tendant la main on pourrait les cueillir, de Sultan courant dans un châteaux, de nous en train de le regarder gambader, de toi et de la vie que tu choisiras d’avoir, et de moi devenue moins con !”

“Tiens je t’ai pas dit je t’ai pris un petit truc !”

Il me pria de fermer les yeux. Je sentie du papier toucher ma main, et en les ouvrants, j’aperçut un cône surprise venant de la boulangerie…

Émue, je lui ai sourie, puis en me rendant mon sourire il m’a dit:

“Eh, avec un peu de chance, si tu regardes bien, t’y trouveras peut être un truc précieux !”

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