Carlos Arbeláez : « Le café peut être un agent de lien social »

Pour Carlos Arbeláez, réfugié politique colombien, le café de qualité fait tomber les barrières : il sert de lien entre les petits cultivateurs, les réfugiés qui le torréfient et les clients qui le dégustent. L’entrepreneur de 33 ans raconte comment sa marque Populaire est sortie de terre en un temps record.

Bonjour Carlos ! Qu’est-ce qui fait de toi un entrepreneur social ?

Le café, après l’eau, est la boisson la plus bue au monde, avec 2,3 millions de tasses par minute. Les petits producteurs ou exploitants vivent dans des pays qui ont connu des conflits armés, de la violence : Colombie, Viêt Nam, Rwanda… Or, ils sont mal payés, poussés par les grands importateurs, qui privilégient la quantité au lieu de la qualité, à vendre leur café à bas prix voire à perte. Ces paysans n’ont souvent pas d’autre choix que de quitter leurs terres, leur région et parfois leur pays. C’est là qu’intervient Populaire, estimant que le café peut être un agent de lien social. Ainsi, parmi nos actions, nous allons ouvrir une école de torréfacteurs et baristas pour des personnes réfugiées quel que soit leur pays. Nous souhaitons avoir aussi un impact sur la consommation, en expliquant au consommateur d’où vient notre café, et comment il est préparé et vendu au prix juste. Mais le plus important pour nous est de raconter les histoires derrière chaque tasse de café. La mémoire est fondamentale pour que l’histoire, comme celle de la Colombie, ne se répète. Le lien entre la terre (les producteurs) et la tasse mérite d’être ainsi créé. Ce qui est remarquable, aussi, est que le café peut être synonyme de paix et de résilience. En Colombie, dans certains villages, d’ex-membres des FARC-EP le cultivent aux côtés de victimes du conflit armé.

En quoi ton café est-il « paysan et solidaire » ?

Nous voulons donner au mot « paysan » toute son importance. Les paysans nourrissent la planète, il faut les rendre fiers de ce qu’ils font.

Pourquoi ne pas employer le mot « agriculteur » ?

Avec « paysan », nous sommes davantage en accord avec une culture issue de petites fermes, pour des besoins basiques, avec des techniques anciennes. Les paysans colombiens, avec lesquels nous travaillons, cueillent les grains à la main et les transportent souvent sur des mules. Dans les grandes exploitations agricoles, comme au Brésil et au Viêt Nam, les grains sont ramassés avec des machines.

D’où vient ton café et où est-il torréfié ?

Il est cultivé en Colombie par de petits exploitants, dans les départements de Huila et Antioquia. Nous l’importons par mer jusqu’en Hollande, puis le recevons à Paris où nous le torréfions avec les machines d’un atelier collaboratif, The Beans On Fire. Dans cet atelier, j’ai découvert que le monde de l’entreprise peut être fait de partage. Entre entrepreneurs, nous nous donnons des contacts et des conseils. Nous sommes plus partenaires que concurrents.

Populaire détient-il un label ? Café équitable ? Label bio ?

Non, pas pour le moment. Nous préférerions la mention « Nature et Progrès » et la certification « Demeter », que nous estimons plus poussées. Car nous ne nous intéressons pas seulement au produit, mais aussi à l’impact social de structure, au producteur. Nous n’avons pas de label bio, mais en Colombie, nos cafés sont produits dans des fermes paysannes, souvent mélangés avec d’autres plantes comme les avocats et les bananiers. Beaucoup de paysans en Colombie font de la permaculture sans savoir que ces techniques sont l’avenir du café et du maraîchage. La permaculture est l’avenir du café. En raison des conflits armées, la terre a été inexploitée une quinzaine d’années dans certaines régions. Elle est donc vierge de culture industrielle et de pesticides. J’ajoute que notre sachet est 100 % compostable, valve de protection de l’arôme incluse. Il est sobre, sans étiquette, avec juste un tampon.

Comment est née ton entreprise ?

Par une précieuse rencontre avec deux personnes l’an passé, dans le coffee shop parisien où nous travaillions. Nous avons eu l’idée d’unir nos compétences complémentaires : Fabian est historien et torréfacteur, Saul est graphiste et issu d’une famille de cultivateurs de café en Colombie ; moi-même, j’ai une expérience dans le management avec des personnes réfugiées. En un mois, nous avons sorti notre produit !

Quand avez-vous lancé la marque ?

En novembre 2019, en vendant notre première production aux Cuistots Migrateurs, un traiteur qui emploie des chefs réfugiés.

D’où viens-tu ? Qu’as-tu fait avant Populaire ?

Réfugié politique colombien, j’ai une formation de juriste. J’ai repris des études de droit en France et obtenu un master en sécurité internationale à Science Po. Intéressé par le sujet de l’immigration, j’ai créé l’association Espero, qui insère des réfugiés à travers la permaculture, le maraîchage et l’apiculture urbaine. Mon souhait est de faire rencontrer les nouveaux arrivants avec leur société d’accueil. L’intégration est possible, grâce à des rencontres, par exemple autour d’un bon café ;)

Qui t’a accompagné dans ton projet ?

L’incubateur pour entrepreneurs réfugiés, géré par La Ruche, à Montreuil. Alors que nous croyions tout connaître, nous y avons suivi des formations essentielles, notamment sur l’étude de marché, le budget prévisionnel et les amortissements. Nous apprenons auprès d’acteurs impliqués et variés : des citoyens (bénévoles expérimentés), une association (La Ruche), des institutionnels (BNP Paribas et la fondation Generali), une administration (la mairie de Montreuil) et le Réseau des Entreprises de Montreuil.

Comment est distribué le café Populaire? Qu’a changé la crise du Covid-19 pour ton entreprise ?

Avant le confinement, nous vendions notre café aux professionnels, comme les traiteurs, les coffee shops, les épiceries et restaurateurs. Nous étions aussi en pourparlers pour approvisionner la cafétéria d’un établissement d’enseignement supérieur. Nous vendions aussi notre café directement aux consommateurs. Avec la crise, la prospection auprès de nos clients entreprises et restaurateurs s’est arrêtée. Presque 90% de nos commandes ont été annulées. Seules restaient les commandes privées, des amis. Cela a été très dur les premières semaines, nous ne nous attendions bien évidemment pas à cela. Nous nous sommes tournés vers d’autres entrepreneurs mais aussi vers l’incubateur de Montreuil, La Ruche, et notre mentor. Cela nous a appris plusieurs choses. La première : qu’il nous fallait diversifier les profils de nos clients. Nous avons amélioré notre site web (www.populairecafe.com), fait beaucoup de communication sur les réseaux sociaux à destination des particuliers, afin de procéder à prix doux, au déstockage de nos produits non vendus. Aujourd’hui, cela marche plutôt bien, les gens passent commande en ligne, et nous les livrons, avec mes 2 associés, à vélo. La livraison est gratuite à Paris et Montreuil, payante dans d’autres villes de proche banlieue parisienne.

La crise nous a aussi appris à être patients. Nous avons souhaité prendre du recul, des conseils, et réfléchir à ce qui convenait au final le mieux au projet : un café accessible à tous, de qualité, désormais livré à domicile. Définitivement, nous voulons nous inscrire dans une logique de circuit court, avec une torréfaction locale et le réinvestissement d’une partie de nos fonds dans de la formation.

Quels sont tes projets?

Nous souhaitons continuer à développer notre marque auprès des consommateurs particuliers, mais aussi des entreprises lorsque le contexte le permettra à nouveau. En avril à Paris, nous voulions ouvrir notre école de baristas, avec une première promotion de cinq réfugiés. Le projet est toujours d’actualité, mais reporté au mois de septembre. Les apprenants sont déjà identifiés, j’espère qu’ils sont toujours motivés ! (rires) Par ce biais, nous souhaitons faire monter en compétences des personnes réfugiées, et participer à leur inclusion. En 2021, nous prévoyons de créer un lieu de vie regroupant un atelier de torréfaction, avec notre école de baristas, et un coffee shop où nous sensibiliseront les consommateurs par des conférences, des expositions et des rencontres avec nos producteurs.

Pour plus de portraits d’entrepreneurs à impact, de vidéos et de conseils pour faire grandir votre entreprise sociale, rendez-vous sur www.linkedin.com/showcase/act-for-impact-by-bnp-paribas !

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