Rencontre avec Charlotte Sineau et Denis Castin

Alors que l’association Toit à Moi achète des appartements pour y loger des sans-abri, l’entreprise River Home est une marque de décoration engagée. La rencontre de Denis Castin, cofondateur de l’association et Charlotte Sineau, fondatrice de River Home, a donné naissance au collectif “Bien chez moi”. Créé pendant le confinement, le collectif mobilise plus de 60 entreprises dont l’objectif est de rénover des appartements pour y accueillir les plus démunis. Portrait croisé de Charlotte et Denis.

De l’indignation au passage à l’action

“La cause des sans-abri m’a toujours beaucoup touchée”, raconte Charlotte Sineau. Lorsque je vais au travail, je passe tous les matins devant un porche où plusieurs personnes sont là, ça m’est arrivé d’être émue jusqu’aux larmes en les voyant et j’ai donc commencé à regarder les associations car je ne savais pas comment les aider”. Basée à Nantes, Charlotte Sineau découvre une association voisine, Toit à Moi, cofondée par Denis Castin en 2007 à la suite d’un même déclic survenu dans la rue et qu’il qualifie d’emblée “d’indignation” : “Depuis que je suis enfant, j’ai du mal à côtoyer la misère et je ne m’y suis jamais habitué comme d’autres pourraient le faire. En 2007, pour des raisons que je ne maîtrise pas, j’ai décidé de passer à l’action. Mon instant décisif : lorsque j’ai donné une pièce à quelqu’un dans la rue et je me suis dit que si on était plusieurs à la donner, cette personne pourrait très bien ne plus être dans la rue. J’ai eu l’envie de voir si c’était possible”. À l’époque conseiller en création d’entreprise, Denis Castin a conscience que son projet est faisable, il en parle autour de lui. Gwenaël Morvan, un collègue de travail, rejoint l’aventure et devient le cofondateur de Toit à Moi. “On a tenté de créer une véritable utopie”, résume Denis Castin.

Dix ans plus tard, l’association possède une trentaine d’appartements répartis dans six villes de France et a logé comme accompagné une soixantaine de personnes, adultes et enfants. Soutenue par des mécènes et des bénévoles, elle continue encore aujourd’hui de rassembler celles et ceux qui ne se sont pas habitués à la misère des sans-abri et qui veulent agir pour les aider à sortir de la rue. Parmi ces personnes, il y a donc Charlotte Sineau, qui a pris contact avec Denis Castin l’hiver dernier.

Tombée dans la décoration dans son enfance grâce à une mère passionnée et un oncle adepte des brocantes et vide-greniers, Charlotte Sineau a de son côté “toujours aimé aider les autres”. Après avoir passé plusieurs années en tant que chef de produit dans une grande marque de déco, elle a décidé de quitter le salariat pour monter son entreprise, avec ses valeurs. “Au début, je me disais qu’une partie du bénéfice de River Home pourrait être reversée à l’association. Mais avant de donner, il fallait que j’arrive à créer cette entreprise et générer des bénéfices à la hauteur d’un montant conséquent pour l’association”.

Avoir un toit, le début d’autre chose

Les mois passent, puis le confinement arrive. Charlotte Sineau et Denis Castin finissent par reprendre contact et “de fil en aiguille, je lui ai parlé de ce qu’on faisait : du coaching décoration”, raconte l’entrepreneure qui comprend alors de quelle manière elle peut contribuer à la cause des sans-abri en passant par l’association Toit à Moi : “ Aider à décorer les appartements parce que même s’ils sont meublés et que l’association essaie d’en faire des cocons pour ses habitants, elle fait avec les moyens du bord”. Denis Castin confirme : “On a des appartements corrects mais certains manquent cruellement de charme”. Bien chez moi concilie alors les deux aspirations de Charlotte Sineau : sa passion pour la décoration et sa participation à une mission qui apporte du sens. “Même si on apporte du sens avec des produits responsables et made in France dans notre marque, le projet du collectif est une étape supplémentaire car il s’agit d’aider celles et ceux qui sont dans le besoin et qui n’ont pas forcément les moyens de se permettre de décorer leur intérieur”, détaille l’entrepreneuse pour expliquer son engagement. “Avoir un toit est le début d’autre chose, ça permet de rebondir ”, ajoute-t-elle.

Très vite, l’idée du collectif se dessine. “On s’est dit qu’il fallait être plusieurs et avoir des compétences complémentaires pour rendre le projet pérenne.” Charlotte Sineau envoie alors dans la foulée plus de 200 mails “à droite et à gauche” et les réponses favorables pleuvent. “Beaucoup d’entreprises m’ont répondu que pendant le confinement, elles avaient réfléchi à comment aider et ma proposition tombait à pic”. Résultats ? Une soixantaine d’entreprises grandes comme petites ont accepté de donner du temps, de l’argent ou des produits pour la rénovation de l’appartement de Michel, logé par Toit à Moi à Nantes. “L’idée n’est pas pour les entreprises de se débarrasser d’une étagère ou d’une peinture démodée. Pour elles, il s’agit plutôt de participer à un vrai projet !”, s’enthousiasme le co-fondateur de Toit à Moi, ravi de voir son association comme “un laboratoire d’idées sociales”.

Un lieu pour se ressourcer


Le premier appartement à rénover n’a pas été choisi au hasard, souligne Denis Castin. “La personne qui vit dedans était dans un autre appartement avant. Ce sont des choses qui arrivent au sein de l’association. Quand on lui a proposé celui-ci, il le trouvait mieux, me parlait de design et c’est pour cela qu’on a naturellement pensé à lui parce que son appartement avait besoin d’une rénovation et qu’on le sentait réceptif au mieux-être que ce projet allait lui procurer”. À celles et ceux qui estimeraient que la déco et l’agencement d’un appartement sont le dernier des soucis des personnes sans-abri, Charlotte Sineau répond : “Lorsqu’on traverse une période un peu tumultueuse, je pense qu’il est important d’avoir un lieu pour se ressourcer : un toit, un endroit pour avoir du calme, dormir, se sentir en sécurité et se reposer. Le côté bien-être est tout aussi important. Les couleurs, le placement des objets, la présence de végétaux… Il y a une multitude de choses qui permet le bien-être chez soi mais cela passe aussi par ce qui apaise la personne, et c’est ce qu’il faut essayer de comprendre”.

Denis Castin confie de son côté que l’association fait beaucoup appel à la récup’ pour meubler ses appartements. “À titre personnel, c’est ce que je préfère mais les personnes en galère ont envie d’autres choses. Elles ont connu ça et elles veulent passer le cap du meuble récup’ avec du neuf qui peut venir, ou pas, d’une chaîne suédoise par exemple”.

Une volonté pragmatique

D’où l’importance du collectif, porté par ce duo engagé. “Un projet fonctionne toujours quand son équipe est soudée, que plusieurs personnes se regroupent pour un même objectif. Je pense que c’est important de le souligner car seul, on ne va pas très loin !”, s’exclame Charlotte Sineau, qui ajoute la nécessité de “mettre en lumière” Toit à Moi. “C’est le début d’une grande aventure et on souhaite que l’association explose pour qu’elle soit propriétaire de plus en plus d’appartements parce qu’il y a encore trop de personnes dans la rue”.

Même son de cloche chez Denis Castin, qui est à la recherche de nouveaux mécènes pour “se développer dans d’autres villes”. Avec lui, on est toujours dans le concret. “En 2006, quand je me rapprochais d’associations pour faire du bénévolat, honnêtement, je trouvais que les gens parlaient trop. Je porte un engagement très pragmatique. Oui, il faut nous aider, c’est très simple : celles et ceux qui le veulent peuvent télécharger notre RIB sur notre site ! Et la grande force de Toit à Moi c’est qu’elle réunit des personnes très différentes : des dirigeants d’entreprise comme des citoyens plus lambda. C’est assez rare, je trouve. En tout cas dans ma vie professionnelle, je trouvais qu’on était souvent dans des milieux fermés. Aujourd’hui, Toit à Moi est ouvert, tout le monde n’a pas forcément les mêmes opinions, habitudes et niveaux de vie mais on se rassemble pour être efficaces sur cette cause des sans-abri”. Pas besoin de super pouvoirs pour arriver à cela. “Juste la volonté très pragmatique de vouloir aider”, conclut Denis Castin.

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