Rencontre avec Gaël Musquet, fondateur de l’association Hackers Against Natural Disasters (HAND)

Prévoir des crises qui ne viennent pas… Le concept a de quoi étonner et pourtant, il est primordial. Incendies, tsunamis, tremblements de terre, les populations sont souvent mal informées de la marche à suivre quand des catastrophes naturelles surviennent. C’est là qu’intervient Gaël Musquet avec son association Hackers Against Natural Disasters (HAND).

Septembre 1989, Hugo frappe la Guadeloupe, c’est l’un des plus violents cyclones tropicaux que l’on ait connus. Gaël Musquet est alors âgé de 9 ans, et habite l’île. Il s’est réfugié avec ses cousins dans une salle de bain, sans fenêtre. La maison familiale n’a pas tenu face à la force du vent. Tout est à reconstruire. « Ce fut l’épisode le plus marquant de toute ma vie », explique-t-il. Son parcours en témoigne. Passionné par les ouragans et les tornades depuis, il décide de venir en métropole pour des études d’ingénierie et de météorologie.

« Je me suis rapidement aperçu que beaucoup de pays,n’avaient pas les outils pour agir en cas de catastrophes naturelles. J’en ai eu malheureusement la confirmation avec le séisme de 2010 en Haïti . » À l’époque, les secours n’ont pas pu rejoindre certaines zones, ne sachant pas comment y accéder à cause des routes et des ponts effondrés. Faute de moyens techniques mis en place en amont pour aider les autorités compétentes, ces dernières n’avaient également aucun moyen de contact avec les populations. « Je me suis dit qu’il fallait agir, qu’avec les avancées technologiques il devait être possible de mieux réagir face à ce genre de situation », retrace Gaël Musquet. Hasard du destin : il est, à ses heures perdues, également féru de nouvelles technologies. Il cofonde OpenStreetMap France (OSM), un projet mondial de cartographie open source et collaboratif, pour apporter des solutions en cas de catastrophes. Avec plusieurs centaines de bénévoles (des cartographes, des blogueurs, des journalistes), il cartographie des zones touchées par le tremblement de terre d’Haïti ou par l’épidémie du virus Ebola en 2014 en Guinée, à l’aide d’images satellites, afin de faciliter l’accès des secours.

La méthode utilisée est simple : analyser les photos aériennes provenant de satellites ou de drones survolant la zone puis rendre ces informations publiques. Téléchargeables par tous et ce, en pleine crise. Des personnes s’affairent également à redéployer l’internet et l’accès aux technologies, c’est ce que l’on appelle des “hacktivistes”. “Il ne faut pas se méprendre, “hacker” c’est avant tout partager une information. C’est ce que font les bénévoles. Rien à voir avec du piratage de données”, précise Gaël Musquet. Problème ? Si la méthode sert, elle s’avère frustrante…. “On arrivait après la bataille, or on sait que des catastrophes naturelles arrivent, il faut donc anticiper sur le processus pour mettre les populations le plus rapidement en sécurité”, explique le météorologue. En 2013, il décide de fonder Hackers Against Natural Disasters (HAND). Le but ? Appliquer ce qui a été développé avec OpenStreetMap mais avant que la catastrophe ne survienne. La première communauté de l’association apparaît en Guadeloupe.

Depuis, HAND a permis de cartographier 5 000 hectares de territoire en indiquant les zones de refuge lors de catastrophes, d’installer 34 km de réseau Wifi pour connecter les îles isolées en cas d’urgence et plusieurs douzaines de capteurs sismiques connectés aux réseaux sociaux pour prévenir les populations d’un risque imminent. HAND est en mesure de toucher plus de 10 000 citoyens. Aujourd’hui, dix projets rassemblent une soixantaine d’“hacktivistes” sur cinq territoires à risque (notamment en Martinique, à La Réunion, mais aussi dans le sud de la France et en Nouvelle-Calédonie). « Tout le monde a un rôle à jouer, le but de l’association est de mettre en relation le savoir des citoyens avec celui des institutions pour pouvoir anticiper et agir le mieux possible le jour J. » La démarche n’est donc pas uniquement technologique, elle est aussi humaine. Car HAND, c’est avant tout la mobilisation d’un réseau de bénévoles qui acceptent de mettre leurs connaissances aux services des autres. Ce qui passe notamment par la sensibilisation des enfants, pour cela, des bénévoles prennent le temps d’intervenir dans les écoles.

“À vouloir prendre autant de précautions, on pourrait penser que je suis un survivaliste, pas du tout”, tient à préciser Gaël Musquet en plaisantant. “Le danger est bel et bien là, et avec le réchauffement climatique cela ne va pas s’arranger et la France va être de plus en plus touchée”. Si, pour certains, la hausse des températures reste une perspective encore lointaine, lui n’a aucun doute. On en constate déjà partout les effets, notamment avec la recrudescence des épisodes météorologiques hors normes : « Il y a toujours eu des sécheresses ou des feux de forêt, des cyclones ou des inondations, mais aujourd’hui ces événements sont devenus plus fréquents et plus intenses. »

En mai, le rapport du Sénat sur « l’adaptation de la France au réchauffement climatique » notait une « aggravation des événements de submersion côtière, la forte hausse du risque d’incendies de forêts et la survenue de vagues de chaleur plus fréquentes, plus longues et plus sévères ». Des épisodes qui mettent en évidence les fragilités de notre société technologique. Comment alerter au plus vite les secours et organiser l’attente quand il n’y a plus ni électricité ni réseau, indispensable sésame des communications modernes ? C’est là que le travail de Gaël Musquet trouve son sens. En 2018, ce dernier a d’ailleurs été fait chevalier de l’ordre du mérite pour ses travaux. Hors de question, pour ce passionné d’arrêter : « Je suis libre de faire ce qui me plaît en aidant les gens, alors même si ce n’est pas tous les jours facile pour trouver des financements, je ne suis pas prêt d’arrêter. »

Pour la suite, les projets ne manquent pas. Gaël Musquet travaille déjà avec la mairie de Paris pour les Jeux Olympiques de 2024. « Nous n’avons que cinq ans pour trouver la meilleure solution pour prendre soin de la population présente en masse lors de cet événement. » La tâche est rude mais plus que stimulante pour cet homme de défi. Il continuera son travail déjà entrepris avec HAND notamment avec des exercices de simulation de tsunamis réalisés avec l’UNESCO en mars et septembre 2020.

Propos recueillis par Coraline Brouez

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