Rencontre avec Jean-François Maruszyczak, directeur général d’Emmaüs

Le mouvement Emmaüs accueille 20 000 personnes par an en situation de pauvreté et d’exclusion. Il leur permet de redevenir acteurs de leur vie, à travers le recyclage d’objets. La survenue du Covid-19 a contraint l’association à suspendre ses principales activités et à lancer d’urgence un appel aux dons. Explications de Jean-François Maruszyczak, son directeur général.

Bonjour Jean-François, Emmaüs est un acteur clé de l’économie sociale et solidaire, pouvez-vous nous rappeler ses impacts positifs ?

La singularité d’Emmaüs est liée à ce que l’abbé Pierre nous a légué. Il y a 70 ans, nous collections des déchets pour en extraire des matières premières que l’on revendait. Par le fruit de leur travail, les compagnons assuraient leur subsistance, se remettaient debout, hors de tout assistanat. C’est toujours notre philosophie. Emmaüs est précurseur de l’économie circulaire : les personnes en difficultés se réinsèrent d’elles-mêmes, en valorisant des objets qui seront à nouveau utilisés, au lieu de finir à la déchetterie. C’est une autre voie que celle de la société de la consommation.

Emmaüs innove-t-il ?

Notre mouvement s’adapte toujours, c’est le miracle permanent. Par exemple, pour combler le fossé numérique, notre structure Emmaüs Connect organise avec les Ateliers du bocage, membre de notre mouvement, des collectes d’ordinateurs. Ces équipements, une fois réparés, sont remis à des familles, que nous formons à leur utilisation. Cela facilite l’accès au droit, à l’éducation et à la santé, qui repose de plus en plus sur le numérique. Autre exemple : nous avons créé une auto-école solidaire en Charente. A coût réduit, des personnes peuvent passer le permis de conduire, ce qui est indispensable lorsqu’il n’y a pas de transports en commun.

Les formes d’exclusions évoluent-elles ?

Oui. Depuis une dizaine d’années, il y a les personnes migrantes, que nous aidons à régulariser leur situation pour qu’ils puissent travailler. Il existe aussi un public de très jeunes gens, dont les parents n’ont parfois jamais travaillé. Nous accueillons de plus en plus de personnes souffrant de troubles psychiatriques, qui n’ont plus de place en structures spécialisées.

Pourquoi un appel à dons financiers, le premier depuis la création du mouvement ?

Le Covid-19, avec le confinement, nous a contraints à suspendre totalement nos activités de récupération et revente d’objets. Or celles-ci génèrent chaque mois environ 20 millions d’euros, qui servent à couvrir, entre autres, les frais de nourriture et d’hébergement des personnes que nous accueillons. Au début du confinement, nous avions constitué un fonds solidaire interne d’un million d’euros. Mais la crise durant, pour éviter que des gens retournent à nouveau à la rue, nous avons dû lancer cet appel.

Qui donne ?

Des particuliers et des entreprises : des artisans, des TPE, des PME et de grandes entreprises, comme BNP Paribas qui nous a donné 140 000 euros. Nous enregistrons déjà 43 000 donateurs. Sincèrement, MERCI !

Qu’observez-vous à travers ces dons ?

Nous constatons qu’Emmaüs fait partie du patrimoine de la France. Le public donne car il a pris conscience du risque que le service que l’on rend pourrait disparaître. Or c’est le dernier maillon de la chaîne de solidarité pour des personnes en grande précarité.

À quoi sont affectés les dons ?

A des besoins immédiats, mais aussi futurs. Aujourd’hui, nous devons répondre aux besoins en trésorerie de nos groupes*. Après nous être assurés chaque mois qu’ils ont préalablement mis en place les dispositifs publics auxquels ils ont droit (chômage partiel, report de charges…), nous les aidons financièrement au fur et à mesure. Les dons nous permettront par la suite de faire face aux frais à venir comme les charges sociales, les emprunts bancaires… Nous employons ces dons de manière responsable, en bons gestionnaires.

En raison du confinement, vos groupes ont cessé leurs activités de ramassage, production et vente. D’autres activités sont-elles maintenues ?

Quelques-unes, oui. Nous poursuivons les maraudes pour soutenir les personnes vivant dans la rue. Avec la crise sanitaire, leurs conditions de vie, déjà difficiles, se détériorent encore. Nous conservons aussi notre activité maraîchère dans deux structures, avec des personnes « sous main de justice », en fin de peine. Après récolte, les fruits et légumes bio sont distribués dans des paniers.

De quels équipements de protection auriez-vous besoin ?

Dès que cela sera possible, il faut que les gens reviennent dans nos boutiques. Nos équipes auront besoin de masques, de gants, de gel hydro-alcoolique. Pour en acquérir, nous sommes en relation avec des entreprises locales et avec un groupement d’achat solidaire, le Cèdre. Mais tout don en nature serait très apprécié.

Comment préparez-vous le déconfinement ?

Nous établissons des protocoles de sécurité pour recevoir les objets, mais aussi les vendre au public.

Vous participez à des réunions interministérielles de lutte contre le Covid-19. Qu’avez-vous obtenu pour les plus démunis des Français ?

Nous faisons partie du collectif Alerte, qui a adressé une lettre ouverte au Premier ministre, début avril, pour que ces personnes ne soient pas oubliées des pouvoirs publics. Le Gouvernement va verser une aide exceptionnelle de solidarité de 150 euros pour les familles les plus modestes [plus 100 euros par enfant à charge., selon le décret n° 2020–519 du 5 mai 2020]. Cette initiative est bienvenue mais insuffisante. Nous demandions 250 euros par mois renouvelables, ainsi que de nombreuses autres mesures.

Que l’on soit un citoyen ou une entreprise, comment aider Emmaüs ?

En parlant de notre appel à don financier à ses proches, à ses collègues, etc. En outre, une entreprise peut nous faire don de matériel ou de marchandises ou encore de RTT et congés payés. Elle peut aussi mettre à disposition d’Emmaüs des salariés via le mécénat de compétences.

*La fédération Emmaüs France fédère 289 groupes répartis en communautés, structures action sociale et logement, SOS Familles Emmaüs, comités d’amis et structures d’insertion.

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