Rencontre avec Théo Scubla

La valeur réside en chacun de nous. Mais pour les personnes réfugiées récemment arrivées en France, les blocages peuvent être nombreux. C’est face à ce constat que Théo Scubla a co-fondé Wero et Each One. Ses objectifs : permettre aux réfugiés d’avoir les outils et les opportunités pour exprimer leurs valeurs et faire grandir la société française. Nous l’avons rencontré.

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Alors que certains s’acharnent à voir chez les personnes réfugiées un problème, d’autres, comme Théo Scubla, n’y voient que de la valeur. Une valeur inexploitée, certes, mais qui représente une véritable richesse pour l’ensemble de la société française. C’est avec cette vision que cet entrepreneur, la vingtaine à peine entamée, a décidé de lancer deux entreprises.

La première, Each One, co-fondée avec Eymeric Guinet, s’attache à donner aux personnes réfugiées les outils pour “réaliser leur potentiel, lever les barrières et créer des connexions avec la société avec un objectif : leur permettre de trouver rapidement leur projet professionnel”, explique Théo Scubla. Le programme, lancé en 2015, a convaincu une dizaine de grandes écoles, dont HEC Paris, ESCP Europe et Sciences Po, mais aussi des institutions et entreprises, telles que BNP Paribas, EDF, Accenture.

La seconde entreprise co-fondée par Théo Scubla avec Fanny Prigent et Maxime Baudet, a été baptisée Wero. Il s’agit d’un cabinet de recrutement lancé en 2018. Ce dernier assure la continuité de la mission portée par Each One, en tissant des liens entre personnes réfugiées et entreprises. “Sur les cinq dernières années, on a créé des conditions pour que les personnes réfugiées puissent trouver un emploi. Maintenant, il faut passer à l’étape suivante et voir plus loin en termes d’engagement” Avec ces deux entreprises, Théo Scubla a déjà permis à plus de 1200 personnes d’être accompagnées. Mais l’entrepreneur explique que Each One et Wero ont une vocation plus large encore : décloisonner la question des enjeux d’inclusion des personnes réfugiées. “C’était important de créer un format qui engageait tout le monde : les personnes réfugiées, bien sûr, mais aussi les entreprises et la société.”

Petit-fils d’immigrés italiens

Cette vision, Théo Scubla la porte dans son ADN. Né à Toulouse, l’entrepreneur est “issu d’une famille de la classe moyenne et petit-fils d’immigrés italiens”, raconte-t-il d’emblée. “Il se trouve qu’à leur contact, j’ai intériorisé assez rapidement que mes grands-parents étaient des personnes qui avaient du potentiel mais qui portaient en eux une frustration : celle de ne pas pouvoir l’exprimer”. En grandissant, Théo Scubla comprend très vite sa vocation : “celle de créer, de pouvoir façonner le réel et lui donner du sens”. Musicien formé dès l’âge de 4 ans à l’accordéon, puis à la guitare, au piano et au saxophone, Théo Scubla comprend qu’il peut utiliser ses talents pour “prendre à bras le corps des enjeux concrets de la société”. Son objectif : “ne pas seulement tenter de les résoudre mais de les transformer”.

Porté par une “forme d’idéalisme pragmatique”, le Toulousain préfère s’orienter dès la fin de son lycée vers une filière business plutôt qu’artistique. À 18 ans, il quitte le sud de la France et pose ses valises à Paris pour intégrer le prestigieux lycée Louis-le-Grand, en classe préparatoire, puis l’ESCP Europe pour un master en management. “C’est dans cette direction que je voyais le chemin le plus court pour arriver à façonner les choses et leur donner une forme qui allait dans le sens de mes convictions sociales et de mes aspirations pour la société”, explique-t-il. Pour autant, avec Théo Scubla, la musique n’est jamais très loin. “On parle trop rarement du lien entre les arts et ce qu’ils peuvent nous apporter comme capacité de création à l’entrepreneuriat. On y retrouve pourtant le même mouvement qu’il y a dans la musique. Et avec Each One, on ne fait que mettre, justement, les gens en mouvement.”

Une opportunité de création

C’est lors de sa première année, en 2015, qu’il fait une double rencontre hasardeuse mais déterminante : Omran et Rateb, deux personnes réfugiées venues de Syrie, en France depuis deux semaines. “J’ai réalisé que j’avais rencontré les équivalents contemporains de mes grands-parents”. L’histoire se répète mais celle de Théo Scubla, en tant que jeune entrepreneur, ne fait que commencer. “C’est à ce moment que les bases de notre vision ont été posées, puis ont déterminé toute la suite. On était face à une opportunité de création de valeur et non face à un problème”.

Deux jours plus tard, Théo Scubla et Eymeric Guinet créent Wintegreat, aujourd’hui renommée Each One. Quand on s’étonne de la rapidité de son passage à l’action, l’entrepreneur raconte que pour lui, “c’était une évidence”. Une question de “planètes alignées” entre ses ambitions et désirs pour la société. “C’était presque une action nécessaire. J’avais besoin de mouvement personnel, de créer, de prendre part à la vie de la société et je pense que j’étais déjà à l’écoute… Alors quand le moment s’est présenté, je n’ai pas hésité”.

Jongler entre son statut d’étudiant et d’entrepreneur a ses bons côtés. “Il y a le bénéfice d’être novice”, assure Théo Scubla, “on façonne les choses au gré du bon sens et on remet tout à plat.” Mais l’entrepreneur le souligne, c’est la force du duo qui lui a permis de réussir. “Si j’avais été seul, je pense qu’en deux ou trois mois j’aurais abandonné, je me serais senti écrasé, j’aurais fait un burn-out”, assure-t-il. “De l’extérieur, on peut penser que c’est une seule et belle réussite mais de l’intérieur, c’est un enfer, éprouvant moralement comme physiquement”, démystifie-t-il encore.

Serrer les dents pendant des mois


On raconte souvent l’entrepreneuriat social comme une belle aventure humaine mais on en oublie parfois de partager les difficultés. Si Théo Scubla loue la solidité de son équipe, facteur de réussite de son projet, il partage aussi ses difficultés, notamment financières, l’une des causes principales de l’échec d’une entreprise.

“Début 2018, on ne pouvait plus payer nos employés. On a dû prendre des risques très importants, serrer les dents pendant quelques mois. Il y a eu beaucoup de stress, des tensions et une fois que les problèmes ont été résolus, je suis parti en burn-out”. Théo Scubla prend 4 mois pour s’en remettre et souligne l’efficacité de son équipe, dont Fanny Prigent.

Une posture humble et honnête qui montre aussi le défi de créer une entreprise sociale dans un monde où les difficultés peuvent entraver la mission de départ. Au risque de voir naître des incohérences entre les messages portés et les conditions de travail en interne. “Pour moi, tout doit commencer par l’interne : dans notre posture, on commence par voir la valeur des gens. Commencer par ce choix radical c’est ensuite ce qui permet de faire décoller le reste”, estime Théo Scubla. “Quand on parle de valeur, on parle aussi de valeur économique. Il s’agit de trouver les moyens de croître durablement en tant qu’entreprise sociale.”

La suite face à la crise

La question de la croissance est plus d’actualité face à la crise économique actuelle. Pour l’entrepreneur, le constat est double : “Pendant la crise, on s’est rendu compte qu’il est impossible de réussir individuellement sans penser la réussite collective. Notre rôle est donc de faire en sorte que les choses deviennent conformes à la logique d’inclusion que l’on porte, même si la crise peut aussi favoriser un repli sur soi qui peut mettre à mal notre société”.

Avec le contexte actuel, les entreprises françaises ne sont en effet pas dans une dynamique d’embauche. “Nous sommes convaincus que même s’il y aura moins de recrutements pendant cette période, il est important de continuer de travailler avec des grands groupes pour préparer 2021 car c’est en préparant l’année prochaine que ces entreprises vont pouvoir être compétitives”, assure le cofondateur de Wero qui plaide encore et toujours pour la création du mouvement. “C’est aujourd’hui que l’on construit demain, et c’est important qu’on s’y prenne tôt”.

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